| Sans trop se soucier de sortir d’un mandat centré sur la conduite de la politique monétaire, Mario Draghi s’invite dans le débat européen, illustrant que la politique européenne va devoir évoluer d’une manière ou d’une autre. La nouveauté qu’il propose consisterait à « appliquer les mêmes principes à la gouvernance des réformes structurelles que ceux que nous avons adopté pour la gouvernance budgétaire », faisant d’un ensemble de critères structurels des règles qui devraient être appliquées et respectées au sein de la zone euro. En intervenant sur ce terrain, le président de la BCE n’innove pas, si on se souvient de l’intervention de Jean-Claude Trichet, son prédécesseur, dictant sa conduite au gouvernement italien par le biais d’un courrier qui avait provoqué quelques remous. Reprenant une idée défendue par le gouvernement allemand, des réformes concernant le marché du travail et les régimes de retraite seraient rendues obligatoires, les gouvernements pouvant ensuite se décharger de toute responsabilité. Car tel est le calcul poursuivi, qui n’augure pas d’une avancée de la démocratie politique. Mario Draghi n’en a pas fait mystère en faisant référence à l’expérience du FMI, qui « montre que la discipline imposée par des institutions supra-nationales peut faciliter le débat au niveau national »…. Certes, ce nouveau dispositif pourrait permettre de pratiquer le donnant-donnant que réclame Matteo Renzi, qui consisterait à échanger un allongement du calendrier de réduction du déficit contre la réalisation des réformes imparties, mais cela est loin d’être encore adopté. Dans le cadre d’un nouveau cadre contraignant, la Commission pourrait se voir attribuer la charge d’accorder des prolongations de jeu, moyennant contreparties préalables. Que va-t-il devoir être accompli pour le mériter ? Une telle évolution de la politique européenne représenterait non pas un simple assouplissement, mais un déplacement des priorités, les réformes structurelles prenant le pas sur un désendettement dont le rythme doit être ajusté. Comme s’il fallait se faire une raison et accepter une « stagnation séculaire » – selon l’expression qui a mouche de Larry Summers – reflet d’un désendettement des États et du système financier beaucoup plus long que prévu. La méthode des plans de sauvetage ayant fait son temps, un autre système de contrainte devrait être mis en place afin que l’essentiel – les réformes libérales qui vont redonner du souffle à l’économie – entrent en vigueur sans plus tarder. L’astuce étant de rendre l’étalement du désendettement conditionnel alors qu’il s’impose de toute manière… Changer son fusil d’épaule n’est cependant pas si facile que cela, après avoir accordé en le martelant la primauté au désendettement. Et les gouvernements devront montrer patte blanche côté réforme, quand le nouveau dispositif sera opérationnel, en expliquant à leurs administrés qu’il n’y a pas le choix, substituant à un marché ne remplissant plus sa fonction de grand méchant loup, des institutions communautaires sur lesquelles il n’y a pas d’avantage de prise. Des réglages fins restent à effectuer afin de poursuivre en l’adaptant la politique de consolidation fiscale chère à la BCE, car la « détricoter serait auto-destructeur » selon Mario Draghi. Ainsi est néanmoins envisagée dans ses grandes lignes la suite d’une politique qui a commencé en préconisant l’inscription dans la constitution des États membres de la zone euro des seuils admissibles de déficit et d’endettement, afin de rendre le plus irréversible possible leur adoption. En censurant les mesures d’austérité du gouvernement portugais touchant au régime des retraites, le Conseil constitutionnel portugais avait donné un signal d’alarme, imposant par précaution de monter un cran au-dessus, au niveau européen. | |