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Banques qui rient, banques qui pleurent

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Paul Jorion.
Published : May 27th, 2010
1771 words - Reading time : 4 - 7 minutes
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)



C’est en passe d’être réalisé : une loi de régulation financière va être dans les semaines à venir promulguée par Barack Obama, après un rapprochement des textes successivement adoptés par la Chambre des représentants et du Sénat qui va permettre d’encore en édulcorer l’ensemble. Les mégabanques ont d’ores et déjà remporté aux Etats-Unis une écrasante victoire dont elles entendent se prévaloir, dans le monde entier, afin de poursuivre leurs jeux délétères. Il n’y a pas à tergiverser, mais à s’interroger sur ses conséquences.

Avec l’appui de l’administration – en dépit de quelques batailles menées par des agences de régulation et d’escarmouches à portée limitée – et avec le soutien qui ne s’est pas démenti, sauf à l’occasion d’alertes qui n’ont pas duré, d’un Congrès miné par le lobbying et la corruption, les mégabanques viennent d’illustrer le fameux « à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». La gloire n’était qu’accessoire, elles se contenteront de la victoire. Seuls quelques élus auront tenté de sauver l’honneur, sans succès.

Durant ces mois de travail législatif, Barack Obama n’aura cessé de mettre en scène son courroux et sa détermination pour masquer qu’il n’entendait pas mettre la bride sur le cou au capitalisme financier dont il est en réalité, avec son administration, partie largement prenante. Justifiant l’utilisation du concept d’oligarchie pour qualifier le pouvoir qu’il représente, certains préférant le terme de ploutocratie.

Le sort réservé à la réforme du trading des produits dérivés est symbolique, illustrant à lui seul la faible portée de la loi qui se prépare. Pour s’en assurer, il suffit de se pencher sur les termes du débat qui va avoir lieu dans la discrète enceinte de la conférence réunissant les représentants du Sénat et de la Chambre des représentants. D’un côté, des dispositions présentées comme dures visent à imposer aux banques bénéficiant d’une garantie fédérale la constitution d’une filiale afin de gérer leur activité produits dérivés, rejetant de fait celle-ci dans l’économie de l’ombre; de l’autre il est revendiqué la suppression de cette intolérable mesure, la légalité formelle étant considérée comme préférable à la poursuite la tête haute de ces activités oligopolistiques hautement rentables et risquées. Ciment d’un royaume sur lequel règnent le haut du pavé des mégabanques : Goldman Sachs, Morgan Stanley, Deutsche Bank, Credit Suisse, Citigroup, Wells Fargo, BNP Paribas, JP Morgan… Des noms qu’il faut retenir, puisque ce sont ceux des puissances à côté desquelles les Etats plient.

Le chemin emprunté par les réformateurs pour tenter de réguler les produits dérivés, ou pour limiter les dégâts en séparant les activités, a depuis le début illustré leur échec annoncé. Au lieu de fermer les salles du casino et d’interdire certains produits financiers, ils ont prétendu en rejeter l’usage hors du cercle considéré comme convenable de l’activité financière, la laissant aux voyous réfugiés dans l’ombre des paradis fiscaux de l’extraterritorialité. Avec comme unique résultat de prétendre les couper de toutes aides légales, comme si leur inévitable effondrement ne rejaillirait pas sur les maisons mères, impliquant de les sauver encore une fois. Au final, ils n’auront même pas gain de cause, l’amendement scélérat allant passer à la trappe, le commerce des produits dérivés retrouvant droit de cité, pour le meilleur de la finance et le pire de la société.

Barney Franck, le président de la commission des services financiers de la Chambre des représentants, vient de siffler la fin de la récréation. La réglementation Volcker prévue par le Sénat est, dit-il, suffisante. D’autant qu’elle a subi une cure d’amaigrissement conséquente à l’occasion de son adoption par le Sénat, les représentants l’ayant ignorée car elle est survenue trop tard. Le régulateur est désormais chargé d’en définir les modalités d’application, ce qui n’augure rien de strict et au contraire de prévisibles accommodements. Ce marché, estimé aujourd’hui à 615.000 milliards de dollars, dégagerait selon les spécialistes de loin la plus importante contribution aux revenus des mégabanques.

La fête est toutefois gâchée, car simultanément de sombres nuages s’accumulent, sonnant de toute part l’alerte dans le système bancaire mondial. Les éléments d’une nouvelle crise systémique se mettant en place. Perturbant une politique de communication consacrée à la crise de la dette publique et impliquant que le pompier en chef sorte à nouveau de sa caserne. En deux jours à partir d’aujourd’hui, Tim Geithner va rencontrer George Osborne et Wolfgang Schäuble, ses homologues britannique et allemand, ainsi que Mervyn King et Jean-Claude Trichet, les boss de la Banque d’Angleterre et de la BCE.

Rien ne va plus, ni sur le marché interbancaire, ni sur le marché obligataire, pas plus que sur celui des CDS sur la dette bancaire. Tous les taux et les indices continuent de grimper ou de s’élargir, comme autant d’inquiétants signes annonciateurs des dangers qui assaillent à nouveau le système bancaire.

Le Libor à trois mois, qui évalue le taux auquel les banques se prêtent entre elles, s’élève pour progressivement retrouver un niveau de crise. Il a doublé en un an, entraînant derrière lui à la hausse 360.000 milliards de dollars de prêts de toute nature qui sont indexés sur lui. Les banques, même les plus prestigieuses, voient les taux qu’elles doivent consentir pour emprunter sur le marché obligataire également monter, devenus de même niveau que ceux que des entreprises. Les CDS sur la dette bancaire ont atteint leur plus haut niveau depuis 10 mois. Enfin, l’écart entre les taux des swaps à deux ans et les taux obligataires de la dette publique à maturité identique, intitulé swap spreads et considéré comme un indicateur performant, s’est considérablement élargi, signifiant que les investisseurs cherchent refuge sur le marché de la dette souveraine.

Quelle est l’origine de la montée de ces périls ? La situation européenne en est dans l’immédiat le catalyseur. En conséquence, les investisseurs (pour ne pas dire les marchés) dégradent comme on le voit les banques, avant même que les agences de notation ne le fassent, craignant pour la solvabilité du marché obligataire européen et la diminution des marges bancaires si les mesures de régulation qui y sont prônées sont appliquées.

Selon l’Independant Credit View, une agence de notation Suisse, le système bancaire européen devrait faire face fin 2011 à un besoin en capitaux estimé à plus de 1.500 milliards de dollars, au terme de calculs reposant sur des hypothèses explicitées et revendiquées. Une situation impliquant nécessairement un sauvetage public et permettant de mieux apprécier la forte et préoccupante incidence de la montée des taux obligataires. L’agence confirme par ailleurs que les banques allemandes et françaises sont les plus exposées au risque, ce qui n’est pas une nouveauté.

Les Américains craignent les effets sur leurs propres banques de cette situation européenne tendue qui pourrait déraper, en raison de leur exposition au risque. D’autant qu’une enquête menée par la SEC, que le Wall Street Journal vient d’évoquer, montre comment les mégabanques américaines, en particulier les 18 d’entre elles qui ont le statut de primary dealers (ayant un accès direct aux guichets de la Fed) trichent pour se présenter à chaque fin de trimestre sous leur meilleur jour. Dans l’obligation de publier des résultats trimestriels, elles évacuent systématiquement à cette occasion de leur bilan – par une manoeuvre similaire au maintenant fameux Repo 105 S utilisé autrefois par Lehman Brothers – une partie estimée à 42% de leur endettement à court terme par rapport aux pics de celui-ci sur la période, afin d’améliorer leur ratio. Ce n’est rien d’autre qu’une manipulation de leurs bilans, la SEC étudie des normes plus strictes de publication des résultats. Bank of America, Citi et Deutsche Bank seraient particulièrement sur la sellette, d’après le Journal, montrant que certaines mégabanques européennes ont vite appris de leurs grandes soeurs américaines.

Une toute autre approche est rapportée par le Financial Times, qui fait état de la réserve que les investisseurs asiatiques, Chinois ou Japonais pour les plus importants, sont en train d’adopter vis à vis du marché obligataire européen. Gillian Tett, pour expliquer celle-ci, établit une éclairante comparaison entre les CDO (collateralized debt obligation) de triste mémoire et la dette souveraine des pays de la zone euro. Les uns et les autres, selon cette analyse qui serait selon elle partagée par ces investisseurs, sont une même manière de masquer derrière une apparence flatteuse un mélange détonnant de valeurs de plus ou moins bonnes qualités, certaines franchement mauvaises. Or, la solidité de la zone euro est maintenant en question…

Ces éclairages confirment bien que la situation du système bancaire continue d’être le problème numéro un, non résolu, la problématique de la dette publique ne tenant en réalité qu’une place secondaire au sein de la crise générale, exacerbée par la crainte qu’ont les banques de voir leur accès au marché obligataire devenir de plus en plus coûteux.

La question est alors posée de savoir de quelle marge de manoeuvre les Européens disposent. Ce n’est pas sans raison que Tim Geithner a inclus sur son agenda des rendez-vous avec les responsables des banques centrales, car c’est eux qui possèdent, de son point de vue, les clés de la situation.

Ainsi, on sait que la BCE a déjà acheté pour successivement 16,5 et 10 milliards d’euros d’obligations d’Etat les deux semaines qui viennent de s’écouler. Jusqu’où devra-t-elle aller, sachant que la dette cumulée de la Grèce, de l’Espagne du Portugal et de l’Irlande est estimée à 2.400 milliards d’euros ? Le montant de 600 milliards d’euros est déjà avancé. La BoE, quant à elle, pourrait reprendre ses acquisitions de la dette souveraine britannique, qu’elle n’a d’ailleurs que supendues.

La BCE, enfin, pourrait abaisser encore son principal taux directeur, figé à 1% depuis le début de la crise, dans l’espoir de diminuer le risque d’une dépression généralisée en Europe. Car les Américains ont besoin de la croissance européenne pour que la leur prenne corps, facilitant la diminution de leur énorme impasse budgétaire.

Vaste programme, rebondissement de la crise qui n’y figurait pas. Demain sera un autre jour



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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