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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
C’est
en passe d’être réalisé : une loi de
régulation financière va être dans les semaines à
venir promulguée par Barack Obama, après un rapprochement des textes
successivement adoptés par la Chambre des représentants et du
Sénat qui va permettre d’encore en édulcorer
l’ensemble. Les mégabanques ont
d’ores et déjà remporté aux Etats-Unis une
écrasante victoire dont elles entendent se prévaloir, dans le
monde entier, afin de poursuivre leurs jeux délétères.
Il n’y a pas à tergiverser, mais à s’interroger sur
ses conséquences.
Avec
l’appui de l’administration – en dépit de quelques
batailles menées par des agences de régulation et
d’escarmouches à portée limitée – et avec le
soutien qui ne s’est pas démenti, sauf à l’occasion
d’alertes qui n’ont pas duré, d’un Congrès
miné par le lobbying et la corruption, les mégabanques
viennent d’illustrer le fameux « à vaincre sans
péril, on triomphe sans gloire ». La gloire
n’était qu’accessoire, elles se contenteront de la
victoire. Seuls quelques élus auront tenté de sauver
l’honneur, sans succès.
Durant
ces mois de travail législatif, Barack Obama n’aura cessé de mettre en scène
son courroux et sa détermination pour masquer qu’il
n’entendait pas mettre la bride sur le cou au capitalisme financier
dont il est en réalité, avec son administration, partie
largement prenante. Justifiant l’utilisation du concept
d’oligarchie pour qualifier le pouvoir qu’il représente,
certains préférant le terme de ploutocratie.
Le sort
réservé à la réforme du trading
des produits dérivés est symbolique, illustrant à lui
seul la faible portée de la loi qui se prépare. Pour s’en
assurer, il suffit de se pencher sur les termes du débat qui va avoir
lieu dans la discrète enceinte de la conférence
réunissant les représentants du Sénat et de la Chambre
des représentants. D’un côté, des dispositions
présentées comme dures visent à imposer aux
banques bénéficiant d’une garantie fédérale
la constitution d’une filiale afin de gérer leur activité
produits dérivés, rejetant de fait celle-ci dans l’économie
de l’ombre; de l’autre il est revendiqué la
suppression de cette intolérable mesure, la légalité
formelle étant considérée comme préférable
à la poursuite la tête haute de ces activités
oligopolistiques hautement rentables et risquées. Ciment d’un
royaume sur lequel règnent le haut du
pavé des mégabanques : Goldman
Sachs, Morgan Stanley, Deutsche Bank, Credit
Suisse, Citigroup, Wells Fargo, BNP Paribas, JP
Morgan… Des noms qu’il faut retenir, puisque ce sont ceux des
puissances à côté desquelles les Etats plient.
Le
chemin emprunté par les réformateurs pour tenter de
réguler les produits dérivés, ou pour limiter les
dégâts en séparant les activités, a depuis le
début illustré leur échec annoncé. Au lieu de
fermer les salles du casino et d’interdire certains produits
financiers, ils ont prétendu en rejeter l’usage hors du cercle
considéré comme convenable de l’activité
financière, la laissant aux voyous réfugiés dans
l’ombre des paradis fiscaux de l’extraterritorialité. Avec
comme unique résultat de prétendre les couper de toutes aides
légales, comme si leur inévitable effondrement ne rejaillirait
pas sur les maisons mères, impliquant de les sauver encore une fois.
Au final, ils n’auront même pas gain de cause, l’amendement
scélérat allant passer à la trappe, le commerce des
produits dérivés retrouvant droit de cité, pour le
meilleur de la finance et le pire de la société.
Barney
Franck, le président de la commission des services financiers de la
Chambre des représentants, vient de siffler la fin de la
récréation. La réglementation Volcker
prévue par le Sénat est, dit-il, suffisante. D’autant
qu’elle a subi une cure d’amaigrissement conséquente
à l’occasion de son adoption par le Sénat, les
représentants l’ayant ignorée car elle est survenue trop
tard. Le régulateur est désormais chargé d’en
définir les modalités d’application, ce qui n’augure
rien de strict et au contraire de prévisibles accommodements. Ce marché,
estimé aujourd’hui à 615.000 milliards de dollars,
dégagerait selon les spécialistes de loin la plus importante
contribution aux revenus des mégabanques.
La
fête est toutefois gâchée, car simultanément de
sombres nuages s’accumulent, sonnant de toute part l’alerte dans
le système bancaire mondial. Les éléments d’une
nouvelle crise systémique se mettant en place. Perturbant une
politique de communication consacrée à la crise de la dette
publique et impliquant que le pompier en chef sorte à nouveau de sa
caserne. En deux jours à partir d’aujourd’hui, Tim Geithner va rencontrer George Osborne et Wolfgang Schäuble, ses homologues britannique et allemand,
ainsi que Mervyn King et Jean-Claude Trichet, les boss
de la Banque d’Angleterre et de la BCE.
Rien
ne va plus, ni sur le marché interbancaire, ni sur le marché
obligataire, pas plus que sur celui des CDS sur la dette bancaire. Tous les
taux et les indices continuent de grimper ou de s’élargir, comme
autant d’inquiétants signes annonciateurs des dangers qui
assaillent à nouveau le système bancaire.
Le
Libor à trois mois, qui évalue le
taux auquel les banques se prêtent entre elles,
s’élève pour progressivement retrouver un niveau de
crise. Il a doublé en un an, entraînant derrière lui
à la hausse 360.000 milliards de dollars de prêts de toute
nature qui sont indexés sur lui. Les banques, même les plus
prestigieuses, voient les taux qu’elles doivent consentir pour
emprunter sur le marché obligataire également monter, devenus
de même niveau que ceux que des entreprises. Les CDS sur la dette
bancaire ont atteint leur plus haut niveau depuis 10 mois. Enfin,
l’écart entre les taux des swaps à deux ans et les taux
obligataires de la dette publique à maturité identique, intitulé
swap spreads et considéré
comme un indicateur performant, s’est considérablement
élargi, signifiant que les investisseurs cherchent refuge sur le
marché de la dette souveraine.
Quelle
est l’origine de la montée de ces périls ? La situation
européenne en est dans l’immédiat le catalyseur. En
conséquence, les investisseurs (pour ne pas dire les marchés)
dégradent comme on le voit les banques, avant même que les
agences de notation ne le fassent, craignant pour la solvabilité du
marché obligataire européen et la diminution des marges
bancaires si les mesures de régulation qui y sont prônées
sont appliquées.
Selon
l’Independant Credit
View, une agence de notation Suisse, le
système bancaire européen devrait faire face fin 2011 à
un besoin en capitaux estimé à plus de 1.500 milliards de
dollars, au terme de calculs reposant sur des hypothèses
explicitées et revendiquées. Une situation impliquant
nécessairement un sauvetage public et permettant de mieux
apprécier la forte et préoccupante incidence de la montée
des taux obligataires. L’agence confirme par ailleurs que les banques
allemandes et françaises sont les plus exposées au risque, ce
qui n’est pas une nouveauté.
Les
Américains craignent les effets sur leurs propres banques de cette
situation européenne tendue qui pourrait déraper, en raison de
leur exposition au risque. D’autant qu’une enquête
menée par la SEC, que le Wall Street Journal vient
d’évoquer, montre comment les mégabanques
américaines, en particulier les 18 d’entre elles qui ont le
statut de primary dealers (ayant un
accès direct aux guichets de la Fed) trichent pour se présenter
à chaque fin de trimestre sous leur meilleur jour. Dans
l’obligation de publier des résultats trimestriels, elles
évacuent systématiquement à cette occasion de leur bilan
– par une manoeuvre similaire au maintenant
fameux Repo 105 S
utilisé autrefois par Lehman Brothers – une partie estimée à 42%
de leur endettement à court terme par rapport aux pics de celui-ci sur
la période, afin d’améliorer leur ratio. Ce n’est
rien d’autre qu’une manipulation de leurs bilans, la SEC
étudie des normes plus strictes de publication des résultats.
Bank of America, Citi et
Deutsche Bank seraient particulièrement sur la sellette,
d’après le Journal, montrant que certaines mégabanques
européennes ont vite appris de leurs grandes soeurs
américaines.
Une
toute autre approche est rapportée par le Financial Times, qui fait
état de la réserve que les investisseurs asiatiques, Chinois ou
Japonais pour les plus importants, sont en train d’adopter vis à
vis du marché obligataire européen. Gillian Tett,
pour expliquer celle-ci, établit une éclairante comparaison
entre les CDO (collateralized debt obligation) de triste mémoire et la dette
souveraine des pays de la zone euro. Les uns et les autres, selon cette
analyse qui serait selon elle partagée par ces investisseurs, sont une
même manière de masquer derrière une apparence flatteuse
un mélange détonnant de valeurs de plus ou moins bonnes qualités,
certaines franchement mauvaises. Or, la solidité de la zone euro est
maintenant en question…
Ces
éclairages confirment bien que la situation du système bancaire
continue d’être le problème numéro un, non
résolu, la problématique de la dette publique ne tenant en
réalité qu’une place secondaire au sein de la crise
générale, exacerbée par la crainte qu’ont les
banques de voir leur accès au marché obligataire devenir de
plus en plus coûteux.
La
question est alors posée de savoir de quelle marge de manoeuvre les Européens disposent. Ce n’est
pas sans raison que Tim Geithner a inclus sur son
agenda des rendez-vous avec les responsables des banques centrales, car
c’est eux qui possèdent, de son point de vue, les clés de
la situation.
Ainsi,
on sait que la BCE a déjà acheté pour successivement
16,5 et 10 milliards d’euros d’obligations d’Etat les deux
semaines qui viennent de s’écouler. Jusqu’où
devra-t-elle aller, sachant que la dette cumulée de la Grèce,
de l’Espagne du Portugal et de l’Irlande est estimée
à 2.400 milliards d’euros ? Le montant de 600 milliards
d’euros est déjà avancé. La BoE,
quant à elle, pourrait reprendre ses acquisitions de la dette
souveraine britannique, qu’elle n’a d’ailleurs que supendues.
La
BCE, enfin, pourrait abaisser encore son principal taux directeur,
figé à 1% depuis le début de la crise, dans
l’espoir de diminuer le risque d’une dépression
généralisée en Europe. Car les Américains ont
besoin de la croissance européenne pour que la leur prenne corps,
facilitant la diminution de leur énorme impasse budgétaire.
Vaste
programme, rebondissement de la crise qui n’y figurait pas. Demain sera
un autre jour
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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