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Bastiat
était un penseur génial. Probablement un des plus grands
économistes de tous les temps. Et ce n’est d’ailleurs pas
uniquement sur le terrain économique que sa pensée a
rayonné. Ses thèses sur la propriété
privée ne manquaient pas d’intérêt. Mais également
de lacunes.
Tout
d’abord, dans un texte intitulé « Discours
au cercle de la librairie », il rappela, très
justement, que la loi ne saurait réguler la propriété
puisque cette dernière lui est antérieure. Cette affirmation
n’a rien de farfelue : Louis XVI, lui-même, indiquait que le
droit de propriété est un droit naturel que l’homme tient
directement de Dieu et que le prince ne saurait violer en vertu de son
pouvoir législatif.
Évidemment,
à notre époque, les « princes
démocrates » n’ont que
faire de ce principe. Tout prétexte est bon pour violer le droit
de propriété, avec le soutien naïf de l’opinion
publique et des médias. En cela, la lecture des textes de
Frédéric Bastiat est utile, voire indispensable. Il avait
d’ailleurs prédit cet état de fait en 1847 :
« Plus la race humaine est faible, ignorante, passionnée,
violente, plus la propriété est restreinte et
incertaine. ». C’est ce qui se produit malheureusement
aujourd’hui.
Toutefois, le
texte de Bastiat comporte aussi des lacunes : tout d’abord, il a
tendance, comme John Locke, à succomber à un
propriétarisme à tous crins, évoquant, lui aussi, la
notion de « propriété sur sa personne ».
Cette notion traverse toute l’histoire de la pensée
libérale, mais elle n’en demeure pas moins erronée et est
totalement contradictoire.
En effet, la
personne et le corps se
confondent et il est difficile d’imaginer que l’on puisse
donc être propriétaire de sa personne ou de son corps.
Or, pour
reconnaître un droit sur quelque chose, il faut qu’il y ait
extériorité et donc qu’il y ait un sujet de droit et un
objet de droit. Où est cette dualité en matière de
propriété sur la personne ? Il n’est donc pas
incompréhensible que le Code civil français ignore
la notion de corps, auquel cas ce dernier serait assimilable à un bien
meuble ou immeuble, désacralisant, voire « salissant »,
de la sorte, la personne humaine.
« Le
corps n’est pas un tas de viande ou équivalent d’une somme
d’argent », disait le professeur Fenouillet. C’est
pourtant ce à quoi Bastiat le destine involontairement,
malheureusement.
Ensuite, autre
erreur, le natif de Bayonne consacre la « propriété
littéraire » qu’il assimile à la
propriété traditionnelle. Cette défense sera reprise,
d’abord par l’anarchiste individualiste, Lysander
Spooner, puis deux cents ans plus tard, par Alain
Laurent. Alain Cohen-Dumouchel leur répondra sur le site Contrepoints.
Alain
Cohen-Dumouchel rappelle que ce n’est pas parce qu’un individu
lambda photocopie un ouvrage qu’il viole la propriété
littéraire d’un auteur puisqu’en aucun cas, il ne
s’attribue les « droits moraux » sur le livre de
ce dernier. De même, contrairement à ce qu’indique
Bastiat, la propriété littéraire a besoin de l’État
pour exister. Ce dernier offre ainsi un monopole à l’auteur et,
en quelque sorte, un « droit à la
rémunération ».
Pourtant,
à l’heure d’Internet, un tel droit de
propriété littéraire apparaît complètement
désuet, tant il est aujourd’hui facile de lire des passage d’ouvrages, voire des livres entiers sur le
Net.
L’ultime
critique des défenseurs de la propriété
littéraire se fonde sur le fait que, sans elle, les auteurs
n’auraient aucune incitation à écrire. Il est vrai que
ces derniers doivent trouver de nouvelles manières d’obtenir des
rémunérations pour leurs œuvres. Et tel est
déjà le cas, auquel cas l’édition aurait
déjà complètement disparu.
Or,
actuellement, nous pouvons, par exemple, constater que
l’édition numérique est en pleine croissance, de
même que l’édition scolaire, la bande dessinée, les
essais, documents et reportages,…
En clair, le
secteur de l’édition, malgré la crise, continue
d’enregistrer des chiffres appréciables.
En conclusion,
l’œuvre de Frédéric Bastiat est éclatante
mais, comme tout autre travail, elle comporte indubitablement des lacunes
profondes.
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