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On lit
à peu près tout et son contraire sur l'opération de
"prêts à 3 ans et à 1%" lancée par la
BCE vers les banques de la zone Euro, poétiquement
dénommée "LTRO", Long Term Refinancing Operation. Et bien
sûr, la question que tout le monde pose est : "Pourquoi cette LTRO
? Est-ce le début d'une monétisation larvée des dettes
de la zone euro ?".
Mario Draghi parle pour en dire le moins
possible
Tout d'abord, voyons ce qu'en dit Mario Draghi
lui-même (Financial Times, 18/12/2011) :
MD : The objective is to ease the funding pressures that banks are experiencing. They will then decide
what the best use of these funds is (...)"
FT : Is this Europe’s version of
“quantitative easing” ?
MD : Each jurisdiction has not only its
own rules, but also its own vocabulary. We call them non-standard measures.
They are certainly unprecedented. But the reliance on the banking channel
falls squarely in our mandate, which is geared towards price stability in the
medium term and bound by the prohibition of monetary financing [central bank
funding of governments].
Coming back to what banks are going to do with this money :
we don’t know exactly. The important thing was to relax the funding
pressures. Banks will decide in total independence what they want to do,
depending on what is the best risk / return combination for their businesses.
One of the things that they may do is to buy sovereign bonds. But it is just
one. And it is obviously not at all an equivalent to the ECB stepping-up bond
buying.
Question langue de bois, Super
Mario n'a pas de leçons à prendre : "faciliter le
financement des banques", "Elles en feront ce qu'elles
voudront", "on n'appelle pas ça du quantitative easing chez les gens bien élevés",
"les banques pourront acheter de la dette souveraine mais pas
nécessairement", etc...
La LTRO : simple opération classique d'apport de liquidité ?
Certainement pas.
Essayons donc de procéder par élimination : la LTRO "3 ans
- 1%" est-elle une opération de "prêt en dernier
ressort classique" ?
Selon la sagesse des banquiers centraux, incarnée par Sir Mervyn King,
patron de la banque d'Angleterre :
"L'expression prêteur en dernier ressort" est employée
par des gens qui (...) ne savent pas de quoi ils parlent (...). Il est clair
depuis l'origine que, pour une banque centrale, être prêteur de
dernier recours signifie prêter à des institutions bancaires
réputées solvables (Ndvb : et qui
ont simplement un problème de liquidité). Cela ne peut
être fait que contre du bon collatéral, et à un taux
d'intérêt pénalisant. Voilà ce que signifie
"prêteur de dernier ressort".
Il est clair que la LTRO ne répond pas à cette
définition : le collatéral exigible peut n'être
noté que "Simple A", ce qui est juste correct, et le taux
d'intérêt exigé est tout sauf pénalisant. En fait,
le taux exigé par la BCE est très inférieur à ce
que le marché exigerait d'un placement noté simple A
actuellement. En clair, cela veut dire que la BCE ACCEPTE DE PRENDRE A SON
COMPTE DANS SON BILAN, POUR TROIS ANS, les risques portés par des
placements notés "A" et sur lesquels les banques ont de
sérieux doutes (elles veulent donc s'en débarrasser), et
permet à ces mêmes banques de rechercher des usages moins
risqués et correctement rémunérés pour cet
"argent frais" créé de nulle part la BCE... Si tant
est que de tels placements existent aujourd'hui.
Par conséquent, la LTRO ne peut en aucun cas être
considérée comme une opération "classique"
d'amélioration de la liquidité des placements bancaires. Est-ce
un outil de monétisation des dettes souveraines ?
La LTRO : Pas un outil de monétisation massive des dettes
souveraines
La LTRO risque t-elle de rendre plus facile le
placement des dettes des pays périphériques ? C'est improbable.
Selon une analyse de TF market advisor,
un banquier normalement constitué recherchera à utiliser la
LTRO en priorité pour substituer cette modalité de financement
contre d'autres plus chères ou plus risquées, puis, seulement,
pour éventuellement acheter des bons à moins de 3 ans (il
serait suicidaire d'acheter des bons d'une maturité supérieure
à la période de remboursement de la LTRO) et d'un rendement
correct (c'est à dire nettement supérieur à 1%). Et de
ce point de vue, seuls les bons à 2 ans belges, espagnols ou italiens
pourraient convenir... Sauf que les banques n'en prendront que si elles
pensent que le risque de non remboursement est nul. Seule les plus
téméraires se lanceront donc dans l'achat de bons, même
de court terme, de pays du "club med",
car structurellement, rien n'a vraiment changé chez les PIIGS, et l'on
ne voit pas d'où la croissance indispensable pour améliorer la
situation pourrait venir.
Les banques n'utiliseront donc pas, sauf incitation cachée au grand
public, les fonds levés par la LTRO pour acheter massivement des bons
italiens à 10 ans.
La LTRO : un Bailout furtif du système
bancaire, au risque de ruiner les épargnants
La LTRO est donc principalement une opération de transfert de risque
de portefeuille EXISTANT porté par les banques privées vers la
BCE. En clair : un "bailout furtif" de
banques qui, sans cela, seraient clairement insolvables. En agissant de
la sorte, la BCE est en contradiction avec toutes les règles de bonne
gestion des banques centrales rappelées par Mervyn King.
Il ne s'agit donc pas d'une monétisation des dettes souveraines, mais
d'une monétisation furtive d'actifs de banques privées dont la
valeur est sujette à caution.
Naturellement, la BCE espère que, dans les 3 ans, les banques
pourront, grâce à une reprise venue d'on ne sait où, se
"refaire la cerise", rembourser les sommes empruntées au
titre du LTRO, reprendre leur collatéral et absorber les
éventuelles pertes sur ces titres grâce aux gains
engrangés pendant les 3 ans du deal. Mais que cette reprise ne veuille
pas se manifester, qu'un nouveau cygne noir vienne plomber un peu plus les perspectives
de la zone euro, alors c'est la BCE qui subira les pertes que les banques
commerciales auraient dû porter. Pertes qui seront absorbées par
la production Ex Nihilo d'euros tous neufs, ce qui détruira lentement
d'abord, puis rapidement ensuite, la valeur de l'épargne
européenne...
Notons que les politiciens, qui n'en sont pas à une contradiction
près, affirment souvent qu'il faut "sauver les banques" pour
éviter que votre épargne ne soit mise en danger. Et donc, pour
sauver votre épargne, il faut la détruire ! Orwellien
en diable. Rappelons pour la quantième fois que des banques centrales
responsables ont d'autres moyens, respectueux des déposants, pour
gérer des faillites bancaires.
Italian Job 3.0
En clair, l'Euro Hold Up continue, mais cette fois,
grâce à M. Draghi, c'est la banque qui
braque les épargnants. Sans doute la version 3 du "braquage
à l'italienne"...
Que cela ne vous empêche pas de passer de joyeuses fêtes.
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Remerciement à MM. Pierre Leconte, du Forum Monétaire de
Genève, et à M. Charles De Smet, compagnon de route de
l'institut Hayek, pour leurs explications lumineuses qui m'ont grandement
aidé à y voir plus clair.
Vincent
Bénard
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