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Benjamin Constant est né
en 1767 à Lausanne dans une famille française exilée en
Suisse pour échapper à la persécution religieuse. Sa
mère meurt à sa naissance. Son père s’occupe de
son éducation et l’envoie étudier à Édimbourg
ou le jeune Benjamin se familiarise avec l’école
écossaise de philosophie et d’économie. Ses professeurs sont
Adam Smith et Adam Ferguson. Constant étudie la tradition de
l’ordre spontané et il lit Godwin, qu’il traduira plus
tard en français. Il écrit : « La France avec l'Angleterre et l'Écosse, a contribué
plus que toute autre nation à la théorisation, si ce n'est
à la pratique, de la liberté. »
À vingt ans, il assiste
à la Révolution française. Il fréquente le salon
des Idéologues et rencontre Germaine de Staël, fille de Necker le
trésorier de Louis XVI, qui deviendra sa muse et sa maîtresse. Il
est nommé par Napoléon au Tribunat et joue un rôle
politique auprès de lui dans la rédaction d’une
constitution républicaine. Mais il devient vite un opposant à
Bonaparte, critiquant son militarisme et son despotisme. À cette époque, il rédige
son De l'esprit de conquête et
d’usurpation, qui démontre que les
gouvernements se servent de la guerre comme d'un « moyen d'accroître leur
autorité ». Ce livre,
paru en 1813, est une source majeure de la pensée industrialiste.
En 1803, il est interdit de
séjour en France avec Madame de Staël. C’est l’exil
au château de Coppet en Suisse, la demeure de Necker, père de
Germaine de Staël. Pendant plusieurs années, il sera le leader du
« groupe de Coppet ». Des intellectuels venus
de toute l’Europe vont se rencontrer là de façon
informelle et étudier la liberté sous toutes ses formes :
philosophie, littérature, histoire, économie, religion. Leurs
travaux portent sur
les problèmes de la création d’un gouvernement
constitutionnel limité, sur les questions du libre-échange, de
l’impérialisme et du colonialisme français, sur
l’histoire de la Révolution française et de
Napoléon, sur la liberté d’expression,
l’éducation, la culture, la montée du socialisme et de
l’État-providence, la philosophie allemande, le Moyen Âge,
etc.
En 1814, Constant revient
à Paris. À partir de 1816, il siège à la Chambre des
Députés et il devient le chef de file du Parti
libéral. Il meurt en 1830 et le marquis de La Fayette, son ami,
prononce son éloge funèbre. Sir Isaiah
Berlin a appelé Constant « le plus éloquent de tous
les défenseurs de la liberté et de la vie privée ».
En 1819, dans son célèbre discours à
l'Athénée royal, Benjamin Constant compare la liberté
des « modernes » à celle des « anciens ».
La liberté, dans nos sociétés modernes, ne peut plus se
comprendre à la manière des sociétés de
l’Antiquité comme participation directe aux affaires de la
cité. Chez les anciens, l’individu est souverain dans les
affaires publiques, mais esclave dans tous ses rapports privés. Le
sacrifice de la liberté individuelle est compensé par
l’usage des droits politiques : droit d’exercer directement
plusieurs parties de la souveraineté, de délibérer sur
la place publique, de voter les lois, de prononcer les jugements,
d’évaluer et de juger les magistrats. C’est une
liberté politique.
Benjamin Constant n’a
cessé de rappeler qu’une « ère du commerce »
avait remplacé « l’ère de la guerre »
et que la liberté des modernes, la liberté individuelle, était
aux antipodes de la liberté des anciens, la liberté collective.
Cette distinction entre la civilisation ancienne et moderne implique deux formes
d’organisation distinctes. C’est précisément ce que
Rousseau, et les révolutionnaires à sa suite, n’ont pas
compris. En voulant réactiver le modèle de la cité
antique, ils ont fait basculer la révolution dans la Terreur.
« La
liberté des anciens, écrit Benjamin Constant, se composait de la
participation active et constante au pouvoir collectif. Notre liberté,
à nous, doit se composer de la jouissance paisible de
l’indépendance privée ; il s’ensuit que nous devons
être bien plus attachés que les anciens à notre
indépendance individuelle. » La liberté moderne est une liberté
individuelle, elle repose sur le droit à la vie privée.
C’est le droit de n’être soumis à aucun arbitraire,
le droit d’expression, de réunion, de déplacement, de
culte et d’industrie. Pas de liberté sans la possibilité
de choisir son mode de vie et ses valeurs, donc pas de liberté sans la
possibilité de se soustraire à la communauté et par
conséquent pas de liberté sans une limitation de
l’État pour permettre l'existence de cet espace privé.
C’est une liberté civile, qui correspond à ce que les Américains appellent les droits civiques. Le
pouvoir politique correspondant à la liberté des modernes est
donc un pouvoir limité : « Que l’autorité se borne à être juste, nous
nous chargeons de notre bonheur ». Ce n’est pas à l’État de nous dire
comment être heureux.
Or, selon Constant, « la confusion de ces deux espèces de
libertés a été, parmi nous, durant des époques
trop célèbres de notre révolution, la cause de beaucoup
de maux ». Jean-Jacques Rousseau, en
pensant la liberté uniquement comme participation collective des
citoyens à l’action politique, a incité Robespierre
à contraindre les citoyens par la terreur. Les errements de la
Révolution sont donc le résultat de l’application moderne
de principes politiques valables chez les anciens.
Mais
il n’est pas question pour autant de sacrifier la liberté
politique, la participation au pouvoir. Constant précise qui si la
liberté moderne diffère de la liberté antique, elle est
menacée d’un danger d’une espèce différente.
Le danger de la liberté des anciens était l’arbitraire.
Le danger de la liberté des modernes serait de renoncer aux garanties politiques de cette liberté par une sorte
d’indifférence au bien public. Autrement dit, il
appartient aux citoyens d’exercer une surveillance permanente sur leurs représentants.
Dans ses Principes
de politique, Benjamin Constant affirme : « la
souveraineté du peuple n’est pas illimitée, elle est
circonscrite dans les bornes que lui tracent la justice et les droits des
individus. La volonté de tout un peuple ne peut rendre juste ce qui
est injuste ». C’est une nouvelle
critique de Rousseau et du Contrat
Social : même une volonté générale est
soumise à des limites et elle ne peut changer ce qui relève du
droit naturel. Il existe un droit
antérieur et supérieur à l’autorité
politique : c’est le droit naturel. Ce droit fixe les bornes du
pouvoir politique et limite les libertés individuelles.
Dire que tout pouvoir légitime doit être
fondé sur la volonté générale ne veut pas dire
que tout ce que la volonté générale décide est
légitime. Constant se rattache ainsi à la Déclaration
des droits de l’homme de 1789, article II, qui stipule que
l’État n’est institué que pour conserver les droits
naturels. Il y a donc des domaines dans lesquels le pouvoir politique
n’a aucune influence : la morale et la religion, mais aussi la
science (les mathématiques, l’histoire) qui relève de
l’autorité du savoir.
Pour
finir, Benjamin Constant ne sépare pas libéralisme politique et
libéralisme économique. La liberté est une et le
libéralisme est une seule et même doctrine :
J’ai défendu quarante ans
le même principe, liberté en tout, en religion, en philosophie,
en littérature, en industrie, en politique : et par liberté,
j’entends le triomphe de l’individualité, tant sur
l’autorité qui voudrait gouverner par le despotisme, que sur les
masses qui réclament le droit d’asservir la minorité à
la majorité. Le despotisme n’a aucun droit. La majorité a
celui de contraindre la minorité à respecter l’ordre :
mais tout ce qui ne trouble pas l’ordre, tout ce qui n’est
qu’intérieur, comme l’opinion ; tout ce qui, dans la
manifestation de l’opinion, ne nuit pas à autrui, soit en
provoquant des violences matérielles, soit en s’opposant
à une manifestation contraire ; tout ce qui, en fait
d’industrie, laisse l’industrie rivale s’exercer librement,
est individuel, et ne saurait être légitimement soumis au
pouvoir social.
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