Toutes les technologies de rupture sont sujettes aux maladies de jeunesse. Bitcoin n’échappe pas à la règle. Or, depuis août 2015, date de mon dernier billet sur le sujet, l’actualité de cette monnaie numérique a beaucoup évolué et la récente publication d’un pilier de son développement déchaîne les passions.
Son nom ne parle probablement qu’à ceux qui suivent Bitcoin depuis un moment, mais Mike Hearn est un développeur qui a quitté Google pour se consacrer à plein temps à la maintenance et l’évolution du code source officiel de la monnaie numérique, et qui a publié il y a quelques jours un billet particulièrement pessimiste sur l’avenir du projet.
Pour Hearn, qui n’y va pas par quatre chemins,
« Bitcoin a échoué (…). Les fondamentaux sont brisés et, quelle que soit l’évolution du prix à court terme, la tendance à long terme sera probablement à la baisse. »
Le développeur, qui a expliqué avoir revendu tous ses bitcoins, a depuis quitté l’équipe de développement et a rejoint R3CEV, un groupe de banques décidées à intégrer les principes de fonctionnement de la blockchain, la technologie derrière Bitcoin.
Diable. L’avenir de Bitcoin est-il si sombre ? S’agit-il d’un vrai chant du cygne ou de la 90ème annonce d’un décès sans cesse reporté ? Et surtout, pourquoi Mike Hearn déclare-t-il ainsi forfait ?
Les raisons qu’il donne dans son assez long billet en forme de lettre d’adieu sont multiples mais se rangent toutes sous deux catégories. D’une part, il cite certains problèmes techniques que le protocole actuel sur lequel fonctionne la blockchain ne serait pas à même de surmonter. Et d’autre part, les solutions techniques avancées, qui existeraient cependant, semblent impossibles à mettre en place pour des raisons essentiellement politiques.
Les problèmes techniques sont de deux natures. Pour rappel, Bitcoin est une monnaie numérique dont chaque transaction est enregistrée dans un grand livre dont la tenue est réalisée en pair-à-pair, par l’ensemble des participants volontaires au réseau. Par une utilisation astucieuse de la cryptographie et de la répartition des données sur un grand nombre de pairs, la falsification de ce grand livre est sinon impossible, disons extrêmement compliquée à réaliser, assurant ainsi qu’à tout moment, ce dernier représente une vue fidèle et exhaustive des transactions réalisées.
Pour fonctionner, le protocole Bitcoin impose certaines limites dont, notamment, la taille des blocs de données que les participants (les nœuds du réseau pair-à-pair) s’échangent entre eux. Cette taille (1 Mégaoctet actuellement) impose par nature une limite supérieure au nombre de transactions que l’ensemble du réseau est capable d’absorber à tout instant. Actuellement, la taille moyenne des blocs échangés oscille entre 600 et 700 Ko et, selon Hearn, le réseau ne pourra que très mal gérer des tailles moyennes supérieures, le rendant instable et mettant directement en danger la fiabilité des échanges.
Là où les remarques et la récente réaction de Hearn prennent un tour intéressant, c’est qu’à ces problèmes techniques s’ajoutent des problèmes plus politiques. En effet, un ensemble de solutions a été proposé pour corriger les problèmes identifiés du protocole à la communauté des développeurs et des participants du réseau, qui a eu tout loisir de décider, par elle-même et de façon fort démocratique, ce qu’il convenait de faire. Ce fut l’épisode du « fork » entre Bitcoin XT et Bitcoin Core (raconté ici)… qui aboutit au rejet de la proposition de Hearn.
Pour ce dernier, ce rejet aurait été dû en grande partie par le choix délibéré des participants chinois de conserver le statu quo, ces derniers ayant lourdement investi dans une technologie spécifique et ne pouvant rentrer dans leur frais facilement avec la modification proposée.
Enfin, pendant que la communauté discute âprement des changements à apporter, le réseau n’est pas mis à jour et souffre donc de délais de transactions qui s’accroissent, et, conséquemment, de frais de transaction qui augmentent (pour rappel, chaque utilisateur de Bitcoin peut choisir le niveau de rémunération que les participants au réseau toucheront lorsqu’ils valideront leur transaction ; plus le montant est élevé, plus vite la transaction est traitée et plus rapide sera donc sa validation).
On comprend que, devant l’amoncellement de problèmes décrits par Mike Hearn, la communauté ait réagi assez vivement. Et dans le même temps, suite à une telle annonce par un membre proéminent de l’équipe de développement Bitcoin, on ne s’étonnera pas de constater un vif décrochage du cours qui est passé rapidement des 430$ par bitcoin le 14 janvier dernier à 360 un jour plus tard.
Il n’aura cependant pas fallu longtemps pour que plusieurs réponses apparaissent, par plusieurs des membres actifs de la communauté de développement, qui se chargent de discuter point par point les arguments techniques développés par Hearn.
En définitive et pour ces développeurs-là, Bitcoin n’est pas si foutu que ça : en réalité, il existe bien d’autres propositions de résolutions des problèmes techniques que la seule augmentation de la taille de bloc. La discussion n’est donc pas encore finie et se déplace lentement vers deux pôles : d’un côté, BitcoinCore (composée d’une équipe qui continue sur le développement initial) et BitcoinClassic, composée d’une équipe plus réduite ; cette dernière propose une version de blocs à 2 Mo, quand la première a déjà établi un plan clair d’améliorations passant notamment par une gestion de blocs pouvant aller jusqu’à 4Mo.
Quelle équipe recueillera le plus d’assentiment de la part de toute la communauté Bitcoin ? Difficile à dire. Mais au-delà du débat technique que ces colonnes n’ont pas pour prétention d’aborder, force est de constater qu’on est en réalité devant un problème connu de limites techniques, pas du tout insurmontable mais qui réclame une prise de conscience de l’ensemble d’une communauté. Or, tout montre que cette communauté est maintenant clairement informée, et qu’elle est majoritairement composée de personnes de bonne volonté qui ont, pour l’écrasante majorité, investi du temps, de l’argent ou les deux dans cette technologie.
On peut donc raisonnablement parier que ces personnes n’entendront pas laisser l’ensemble de ce qu’elles ont construit s’effondrer sans rien faire. Certes, il existe dans l’histoire des exemples de communautés qui n’ont pas survécu malgré la motivation de chacun de ses membres, mais des récents exemples, technologiques et autres, permettent de conserver une bonne part d’optimisme. On peut citer le cas du bug de l’an 2000 – bien sûr, l’apocalypse vendue par les uns était évidemment exagérée, mais en définitive, les problèmes, bien réels, qui furent identifiés furent corrigés à temps par les autres. De la même façon, le passage d’IPv4 à IPv6 (la taille des adresses internet) n’a pas déclenché de catastrophe, même si certains l’envisageaient.
Bref, si les problèmes soulevés par Mike Hearn existent bien, il reste heureusement encore des éléments solides pour conserver un minimum d’optimisme dans une technologie qui, quoi qu’il advienne, que Bitcoin survive ou périsse, aura montré au monde qu’il est techniquement possible d’échanger des biens et des services sans passer par un tiers de confiance (banque ou monnaie étatique).
Quelque part, c’est le principal.
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