Continuer
d’épingler comme des papillons dans une boîte les
déclarations contradictoires à propos de la restructuration de
la dette de la Grèce n’a pas de sens. Comprendre en quoi ce
serait « une recette pour la catastrophe » que certains
annoncent (Jürgen Stark de la BCE) ou un sujet qu’il n’est
« pas question de mettre sur la table » (Christine
Lagarde) pourrait être plus instructif, sauf que les raisons
données en restent vagues, une fois insisté avec des larmes de
crocodile sur les lourdes conséquences qui en résulteraient
pour la Grèce elle-même.
Une
telle véhémence doit pourtant bien avoir sa
justification ! Mais il ne faut pas en chercher l’origine du
côté des banques françaises, qui ont toutes
déclaré qu’elles pourraient soutenir
l’épreuve. On croit donc comprendre qu’il est difficile,
après avoir tant claironné que les banques n’avaient plus
de souci, d’admettre qu’elles pourraient être
déstabilisées par les effets domino potentiels d’une
telle mesure honnie.
Jean-Claude
Trichet, dont ce n’est pas le thème de prédilection,
revient d’ailleurs ces derniers temps sur celui de la régulation
du système financier, en faisant état de sa fragilité
maintenue. Une fois n’est pas coutume, il évoque aussi, mais
sans employer le terme, le secteur non régulé du shadow banking.
Faut-il
aussi citer, pour éclairer la scène du crime, Ben Bernanke, le président de la Fed, qui
déclarait dans un récent discours à Chicago :
« Il reste beaucoup à faire pour mieux comprendre les sources du
risque systémique » ? Ce qui, dans sa bouche, voulait dire
qu’il n’était pas écarté. Il y a
certainement de cela, mais alors pourquoi ne pas accepter la version douce
de la restructuration, un rééchelonnement ? Craint-on
simplement le précédent et d’être ensuite entraîné
sur une pente fatale ?
Ce
sont les Allemands qui entretemps glissent irrésistiblement sur une
autre pente. Elle les incite à refuser tout nouveau sauvetage,
créant les conditions d’une rupture pas plus tard que dans un
an, quand la Grèce fera un défaut non négocié si
rien n’intervient entretemps. Le choix est entre donner du temps
– ce qui ne mange pas de pain – ou prêter à nouveau
de l’argent. Si ni l’un ni l’autre ne se révèlent
toutefois possibles, il est totalement illusoire de parier sur la capacité
des Grecs à financer leur besoins par des privatisations dans ce
très court laps de temps.
Pour
la suite, on attendait l’Espagne – on l’attend toujours
– et on a eu la Grèce ! Une version un peu
améliorée des plans de sauvetage était
prévue pour 2013, sans avoir compris que c’était
l’éternité. Sans vouloir se résoudre à
admettre que le pari imposé est impossible, n’ayant pas de plan
B.
Les
Européens sont en bout de course au sein de la zone euro, et les
Américains le sont tout autant dans la zone dollar.
Tim
Geithner, secrétaire d’Etat au
Trésor, vient de déclarer que le projet des républicains
abaisserait les Etats-Unis au rang d’un pays en développement.
Car il prévoit « des coupes claires dans les dépenses,
mais alloue une portion considérable des économies ainsi
dégagées au maintien de bas taux d’imposition pour les
riches, et non uniquement pour la classe moyenne. » Cette approche
« imposerait des coupes d’une ampleur invraisemblable dans
les prestations sociales pour les personnes âgées et les pauvres ».
Mais,
signe des rapports de force, le Sénat où les démocrates
restent majoritaires vient de rejeter l’examen d’un projet de loi
supprimant les avantages fiscaux des compagnies pétrolières
– qui ont annoncé de très copieux bénéfices
(37,5 milliards de dollar au 1er trimestre pour le 5 principales) –
afin de contribuer à la réduction du déficit public.
Opposés à cette mesure, les républicains ont
expliqué qu’elle aurait pour conséquence une augmentation
du prix de l’essence, les bénéfices des compagnies
étant selon leur vision du monde intouchables et
incompressibles.
Qu’importe
à ce propos celle que la Banque Mondiale dévoile à
l’horizon 2025 dans son rapport sur « La nouvelle économie
mondiale », prédisant audacieusement
l’avènement d’un système monétaire reposant
sur le dollar, le yen et l’euro, pour remplacer la suprématie
actuelle du dollar. Elle s’appuie sur des projections selon lesquelles
la moitié de la croissance sera alors assurée par six
pays : Brésil, Chine, Corée du Sud, Inde, Indonésie
et Russie.
Les
échéances sont bien plus proches et, comme en Europe, il va
falloir trancher d’une manière ou d’une autre. Seul un
nouveau programme de Quantitative Easing de la Fed
permettra de gagner du temps. Une ressource alimentant à nouveau une
spéculation financière qui a redoublé, les grandes
frayeurs oubliées.
Le
désaccouplement entre l’économie – mal en point
– et la finance florissante s’accentue. Comme augmentent
d’ailleurs les inégalités sociales, si l’on en
croit une étude du groupe britannique Compass,
qui la détaille sur la base des données délivrées
par l’administration des impôts du pays. Les marchés des
matières premières et monétaires restent des terrains de
jeux incomparables. Si la machine à fabriquer de la dette n’est
plus ce qu’elle était, celle à faire de l’argent
avec l’argent fonctionne à plein rendement. Jusqu’à
quand ?
Les
pays émergents se protègent comme ils peuvent de
l’afflux des capitaux qui les déstabilisent ; les Britanniques
ne parviennent pas à se prémunir contre l’inflation importée
qui en résulte. L’inflation monte et atteint 4,5% sur un an en
Grande-Bretagne, alors que les prévisions de croissance ne cessent de
décroître, engageant le pays sur la voie maudite de la
stagflation, renouant avec les années 70. Certes la stagflation
favorise le désendettement, mais elle colle à une faible
croissance économique.
Au
Japon, enfin, une contraction du PIB est déjà intervenue au
dernier trimestre 2010, dans l’attente des résultats du premier
trimestre 2011. La production industrielle et la consommation se sont alors
effondrés en raison de la catastrophe, l’économie
totalement désorganisée. L’impact sera durable, la
réduction imposée de la consommation d’énergie
électrique y contribuant.
Contrariant
les espoirs qui fondaient le retour de la croissance économique sur la
prospérité retrouvée du système financier, pour
laquelle tout a été fait, l’ensemble du bloc occidental
rencontre des problèmes dont il devrait être reconnu –
pour employer son langage – qu’ils sont structurels et
réclament des remèdes hors normes. Bien que ce ne soient pas
ceux qui sont en cours et ont pour nom privatisations, coupes dans les
budgets sociaux ou lutte contre les rigidités du marché du
travail…
C’est
le système lui-même qui a dorénavant un grave
problème structurel dont il ne parvient pas à se
débarrasser.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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