L’histoire était destinée à la gaudriole dès le départ : créée pour des raisons purement politiques avec un but aussi vague que possible, la Banque Publique d’Investissement se sera en plus vue affublée d’une vice-présidente aussi médiatique qu’improbable en la personne de Ségolène Royal. Avec un tel attelage, la cascade dans le fossé était inévitable.
Depuis maintenant 40 ans, les gouvernements successifs s’emploient à intervenir dans l’économie française, de plus en plus fort, de plus en plus longtemps, et avec de plus en plus d’argent public. L’État, rapidement devenu un acteur majeur sur tous les marchés un peu importants, parvient à les déformer durablement. Et dans ces quatre décennies d’essais successifs, le constat est difficile à cacher : le tissus industriel français ne s’est jamais autant étiolé, les PME dépérissent, les grandes industries nous quittent, le chômage continue de grimper. La réaction des socialistes de gauche, arrivant au pouvoir, aura été d’une effrayante banalité : puisque toutes les tentatives précédentes d’interventionnisme massif ont échoué, remettons-en une nouvelle couche.
Le 31 décembre 2012, Ayrault créait la Banque Publique d’Investissement, énième avatar des ateliers nationaux. Le 20 février 2013, Ségolène Royal en était nommée vice-présidente et porte-parole. Le 21 février, elle loupait son train pour son premier conseil d’administration.
L’histoire commençait fort.
Quelques semaines plus tard, c’est donc en l’absence de toute surprise qu’on apprend qu’une bordée de tacles s’échange entre le président de la nouvelle structure épandeuse de pognon républicain et sa vice-présidente / porte-parole, dont le rôle est devenu, semble-t-il, de contredire son patron. Il faut dire que ce dernier, un certain Nicolas Dufourcq, n’est pas à proprement parler un politicien pur beurre de moraline puisqu’au contraire de Royal, il a pas mal trempé dans le privé plusieurs années (pouah !) et s’est donc assez bêtement imaginé que la Banque Publique d’Investissement aurait pour but d’aider des projets porteurs d’avenir.
Il s’en était d’ailleurs ouvert la semaine dernière en expliquant à ce sujet que sauver l’aciérie de Florange n’aurait pas été un bon business, qu’on y aurait perdu beaucoup d’argent, et que l’étude du cas Pétroplus révélait qu’il ne rentrait pas dans la définition de la France de 2030 qu’entend façonner la BPI. Après tout, le président de la BPI ne faisait là que reprendre l’idée maîtresse de Jean-Pierre Jouyet lorsque le projet de la Banque n’était encore qu’à son début : « Nous financerons les bons projets, pas les canards boiteux. »
La réaction n’a pas tardé.
Dès le lendemain sur RTL, Sa Grande Frétillance Arnaud Montebourg, ministre du Dressement Reproductif, a immédiatement expliqué qu’il avait remis Nicolas Dufourcq à sa place en lui rappelant que l’objectif de cette banque n’est pas de faire du business, hein, faut pas déconner non plus :
J’ai réprimandé le directeur général en lui faisant observer qu’il n’a pas à déclarer cela, que la banque est une œuvre collective, une banque pas comme les autres, qui doit justement essayer de financer là où le secteur financier ne veut pas financer.
Eh oui, mon brave Nicolas, ta banque machin-truc, là, c’est comme une grande fresque de maternelle, avec d’amusantes petites mains potelées peintes par appositions gluantes et colorées : c’est une « œuvre collective » et tout indique qu’il ne faudra surtout pas en attendre des résultats positifs sur le plan financier. On peut, au mieux, demander vaguement l’équilibre, mais si cette banque perd de gros wagons de pognon frais, ce serait assez chouette ! Une œuvre collective qui réalise des bénéfices, ce serait, comprends-tu mon brave Nicolas, une entreprise capitalistique. Et ça, ça ne se fait pas alors que le pays est en crise, enfin, voyons !
Sa Grande Frétillance ayant remis les choses au clair, on aurait pu s’attendre à ce que la pression retombe sur le pauvre président. C’était sans compter sur les désirs d’avenir de certaine qui n’a évidemment pas réussi à empêcher des sons de sortir de sa bouche : Ségolène Royal, porte-parlote officielle de la Banque, s’est donc directement exprimée contre son Nicolas de président en lui mettant une volée de points sur ses i :
« Les déclarations du directeur général de la BPI sont un grave dérapage, déjà condamné par le ministre du Redressement productif, qui n’ont aucune raison d’être et qui ne se reproduiront pas »
Voilà, c’est dit : demander à une institution publique d’examiner avec attention les dossiers dans lesquels le contribuable injectera son argent, afin d’en minimiser les pertes voire d’en maximiser les effets bénéfiques, c’est, de toute évidence, un « grave dérapage ». Et a contrario, le fait que s’exprime ainsi une vice-présidente et porte-parlote, dont le titre et la fonction indiquent clairement la subordination au président de l’institution, ce n’est pas un dérapage. Le fait que cette même subordonnée indique à son Nicolas de président de se tenir à carreau est parfaitement normal, tout comme le fut sa propre nomination alors que notre Ségolène nationale n’a jamais eu la moindre compétence financière, bancaire ou même économique, et que les performances de la région actuellement sous sa responsabilité indiquent sans ambiguïté qu’une incompétente avec un pouvoir de coercition est largement suffisant pour déchaîner de graves dérapages budgétaires.
Comme on le voit, la priorité de nos politiciens n’a finalement rien à voir avec un projet industriel ou financier : la BPI n’est qu’un nouvel instrument politique pour briller en société, ou, plus tristement, le prétexte pour des individus bouffis de suffisance et d’amour d’eux-mêmes à ramener leur fraise dans les médias, quitte à proférer des insanités économiques alors que tout le pays ploie sous les coups d’une crise économique sans précédent.
Et, ironie d’une actualité qui fournit au méchant chroniqueur que je suis plus de sujets par jour que je ne peux en traiter, pendant que Royal et Montebourg fustigeaient dans un beau duo d’incapables économiques les malheureuses tentatives du patron de la BPI à limiter la gabegie étatique, le président Hollande, toujours aussi pertinent et affûté dans ses décisions politiques, décidait d’ajouter une « Commission d’Innovation 2030« aux bricolages publics déjà lancés.
Joie, bonheur et petites saucisses apéritives ! On va enfin avoir une Commission qui va se pencher sur l’innovation en France ! Et puis, ce n’est pas comme si ce genre de commission, on n’en trouvait dans chaque chambre de commerce et d’industrie régionale depuis des années ! Ce n’est pas non pus comme si la France avait tant de commissions que ça ! Et dans cette Nouvelle Commission Qui Fera Date, on trouve, au milieu d’une poignée de chefs d’entreprise, le nuage habituel de courtisans, de députés, de journalistes et de piposophes, d’économistes de combat et de fonctionnaires recasés dans des grandes sociétés d’état. La banalité de la sélection parmi l’éternel « vivier » des habituels grouillots républicains permet d’affirmer que cette Commission, après avoir lâché son petit prout livre blanc ou son rapport en 170 pages avec des graphiques en couleur, sera bien vite oubliée.
Mais le plus troublant est qu’une telle commission devrait être l’appendice obligé d’une banque d’investissement qui se veut tournée vers la France de 2030. Cette Commission n’aurait-elle pas, en effet, toute sa place dans le staff de la BPI, auquel cas, sa direction par Lauvergeon semble grotesquement empiéter sur les prérogatives du président de la BPI ? En mettant ce dernier parmi les membres de la première, n’a-t-on pas encore inversé les rôles (comme la Ségolène et son Nicolas de président) ?
Et surtout, comment imaginer sans sourire que ces inversions de rôle vont bénéficier aux Français ?