C’est au travers des crises que les individus se révèlent, et le Brexit, crise européenne et internationale par excellence, n’échappe pas à la règle. Ces quelques jours écoulés depuis le vote crucial des Britanniques ont été l’occasion pour beaucoup de politiciens de montrer ainsi leur vraie force de détermination, leur capacité d’analyse et, plus intéressant, leur vrai visage.
Et c’est un peu l’avalanche.
Elle était prévisible, et pour qui avait déjà passé un peu de temps à réfléchir à la situation, elle n’étonnera pas. Depuis le traité de Maastricht, les institutions avaient pris un tournant bien déplorable qui s’était confirmé avec le fiasco politique du Traité Constitutionnel en 2005 : passée d’un ensemble de traités essentiellement économiques visant à l’abaissement des frontières et des tarifs douaniers pour faciliter la libre circulation des capitaux, des biens et des personnes sur le continent européen, les institutions avaient commencé puis accéléré leurs extensions dans différents domaines politiques pour, selon les dirigeants de l’époque, accroître l’intégration européenne.
À mesure que cette intégration se faisait plus étroite, les institutions européennes se sont piquées d’intervenir tous les jours plus massivement dans les vies des citoyens européens, et au lieu d’aider à « l’amitié entre les peuples », petit couplet régulièrement chanté en louange des efforts pro-européens, les tensions n’ont pas arrêté d’augmenter, culminant au moment de la crise grecque.
Mais voilà : l’Union européenne, présentée systématiquement par les sociaux-démocrates comme la seule voie possible d’une paix durable sur le continent, n’est parvenue qu’à accroître le ressentiment des peuples qui ont, depuis plusieurs années, le sentiment grandissant de ne pas être écoutés. Et ce, d’autant plus que le Camp du Bien s’est, à chaque coup de semonce, à chaque référendum qui n’allait pas dans son sens, contenté de ne trouver dans ces revers qu’un petit contretemps au plan général arrêté par eux depuis longtemps : à la fin, le super-état européen devrait prendre la place des entités locales trop à l’écoute des béotiens de la base.
Ici, peu importe que ces institutions ne sont que le reflet des lâchetés et des petites magouilles de chaque politicien de chaque État membre. Peu importe que ces institutions n’ont de fait pas plus de pouvoir que chaque État le lui accorde. Peu importe puisque les institutions forment à la fois le bouclier pratique permettant pour ces politiciens d’avancer les législations les plus excentriques ou contraignantes sous couvert d’une « imposition par Bruxelles », et le bouc-émissaire encore plus commode quand il s’agit de dénoncer l’ultranéolibéralisme galopant qui gangrène la gentille société dont ils sont les gardiens auto-proclamés.
Au final, l’Union devient la source de tous les maux et le déversoir de toutes les lubies législatives qui passent par la tête de nos dirigeants. Si ça ne marche pas au niveau national, poussons l’idée au niveau européen. De fil en aiguille, tous ont donc construit un énorme Golem, monstre idiot aux pieds d’argile qu’ils poussent dans l’une ou l’autre direction et qui écrase tout sur son passage.
Et lorsqu’enfin, les peuples se rebiffent, disent « assez ! » … C’est l’avalanche que j’évoquais.
Faisant fi de toute prise de recul, les politiciens de l’Union prennent la parole pour, vite, vite, expliquer à qui voudra l’entendre que cette situation, ô combien délicate, mérite d’être traitée avec la plus grande rapidité.
Jean-Marc Ayrault, ectoplasme diaphane qui n’existait quasiment plus depuis son départ de Matignon, se rematérialise soudainement pour éructer quelques âneries sur une nécessaire (?) ouverture rapide des négociations afin que le Royaume-Uni quitte l’Union aussi vite que possible, car la hâte aide toujours en période de crise. Nicolas Sarkozy, jamais en retard d’une effervescence ridicule, propose un nouveau traité suivi d’un nouveau référendum, pensant comme à son habitude que le problème d’institutions en total décalage avec les aspirations populaires est soluble dans une myriade d’agitations politiques périphériques. Juncker, l’actuel président de la Commission, mettant (comme à son habitude) toute diplomatie de côté, prévient qu’il ne fera pas de cadeau au Royaume-Uni, parce qu’après tout, autant ruiner durablement toute entente entre les Britanniques et le reste de l’Europe ce qui sera forcément profitable à tout le monde.
Du côté des députés européens, on n’est pas en reste : il n’aura pas fallu plus d’une poignée d’heures pour aboutir à une proposition de résolution de la part d’une cinquantaine d’entre eux. Il suffit de la parcourir pour comprendre qu’encore une fois, intelligence, pondération et synthèse réfléchie ont été soigneusement passés au broyeur : qu’on active l’article 50 au plus vite, qu’on refuse tout nouveau traité avec les félons britanniques tant qu’ils ne seront pas définitivement exclus, qu’on exclut des votes les parlementaires britanniques au parlement européen, et qu’on renforce bien sûr le projet européen par exemple en prohibant toute solution étudiée en fonction des désidératas des Etats membres et de leurs peuples, ce qui serait par trop crasseux.
À cette lecture, on ne peut s’empêcher de penser qu’il aurait été dommage de se priver d’une telle proposition, tant elle semble aller dans le bon sens, celui qui revient à pacifier les relations des institutions avec les États membres et avec les peuples aux intérêts desquels elles sont censées travailler. Il n’y manque plus que le projet d’une humiliation publique (mettre les parlementaires britanniques au pilori pourrait constituer une attraction amusante dans les rues de Bruxelles, par exemple), et on aurait toute la panoplie des trucs et astuces finauds pour relancer l’idée d’une Belle et Grande Europe, acceptée de tous, ou sinon…
– @quatremer : "Pour éviter l'effet de contagion, il faut que le départ soit douloureux" #Brexit #EuropeHebdo pic.twitter.com/m6qkryLyKZ
— LCP (@LCP) June 22, 2016
Dans la presse, c’est un peu la même averse de propos consternants. Je passerai pudiquement sur les eurolâtres aveuglés qui, fiers porteurs de l’étendard du Camp du Bien, ne renonceront pas de si vite à une intégration encore plus forte, une étreinte encore plus étroite et étouffante et proposent donc à mots à peine cachés quelques rétorsions contre les traitres à la cause.
Vous l’avez compris : tout se déroule malheureusement comme prévu, et on ne pourra s’empêcher de noter que les partisans de la construction du Golem, qui lui reprochaient régulièrement d’être bien trop pro-capitaliste et de ne pas donner suffisamment de pouvoir aux États, ne peuvent à présent s’empêcher de louanger les avantages de la libre circulation des biens, des personnes et des capitaux en pleurnichant sur le départ britannique qui viendraient ainsi briser ce magnifique succès.
Réaction parfaitement émotionnelle, incohérente, irrationnelle, toute en duplicité et en hypocrisie de ces soldats du Camp du Bien qui n’ont toujours pas compris que la seule intégration européenne possible est celle vers la liberté, celle qui consiste à diminuer l’importance des systèmes collectivistes, institutions européennes y compris, et pas le contraire.
Cette réaction émotionnelle incontrôlée n’entraîne dans son sillage que ressenti, aigreur voire haine, et montre incontestablement le vrai visage de ceux qui nous dirigent et que – ne l’oublions pas – les peuples européens ont porté là de leurs votes. Ces dirigeants ont, très clairement, perdu pied avec la réalité et ont complètement oublié qu’une construction qui ne tient que par la force et la menace est destinée à l’échec, que des relations basées sur le mensonge et la duplicité se finissent toujours mal.