Une horloge cassée dont le cadran est difficilement lisible sous la rouille et la moraline indique malgré tout l’heure exacte deux fois par jour. Bruno Le Maire, c’est un peu cette grosse horloge normande dont le balancier ne bouge plus, qui encombre dans l’entrée, mais qui, à la faveur d’un courant d’air, va finir par faire tinter un petit carillon.
En effet, le ministre de ce qui reste d’économie en France vient récemment de tenter une explication sur le recul de la production. Pour lui, trois difficultés majeures semblent expliquer la déroute française. Stupéfaction : il n’a pas tort.
Selon lui et après une analyse pointue, la première raison serait les impôts de production trop élevés. La puissance de cette révélation donnera tout son sel à ce qui suit et permet de mieux comprendre pourquoi l’horloge, dans la tête de Bruno, s’est arrêtée il y a bien, bien longtemps, dans une galaxie fort, fort lointaine.
La seconde raison tiendrait à un déficit de compétences, ce que la composition de l’actuel gouvernement permet de confirmer avec certitude si tant est que les gouvernements doivent être une image à peu près fidèle du pays.
Enfin, pour notre brave Bruno, la troisième raison tient en un triste constat. Selon lui, les Français « ne travaillaient pas assez (…) Le volume des heures travaillées en comparaison de nos voisins du G7 et des grands pays de l’OCDE est insuffisant ».
Stricto sensu, il n’a donc pas tort puisque la France peut s’enorgueillir d’avoir tout fait pour saboter la moindre velléité de ses citoyens à travailler plus, que ce soit pour gagner plus, pour créer de la richesse, ou pour simplement joindre les deux bouts. Entre les 35 heures, appliquées nulle part sauf en France, un code du travail à la fois rigide et limitatif que personne ne nous envie, des restrictions de tous ordres à l’exercice de tous travaux et tous métiers, des normes à foison, tout a été fait pour que non seulement, travailler en France soit compulsivement encadré, mais sévèrement puni quand c’est fiscalement ou électoralement rentable.
Heureusement, Bruno Les Bons Tuyaux n’est pas en reste de solutions pour nous sortir de l’ornière.
Trop d’impôts, pas assez de travail ? Qu’à cela ne tienne !
Pour nous donner du cœur à l’ouvrage, le voilà donc qui monte directement au créneau. Ah, c’est qu’il ne faut pas lui en conter, au petit Bruno. Il va nous montrer de quel bois il est fait, notre ministre, scrogneugneu.
Et pour cela, il part donc à la conquête d’un territoire inexploré, armé de ses compétences multiples (notamment en technologies de l’information) et d’une idée aussi originale que géniale : on va faire du cloud souverain mes petits amis !
Alors franchement, je dis chapi chapo Chapeau Bruno ! Voilà qui nous change de tes âneries habituelles : pour éviter de te planter, tu as eu l’excellente idée de sortir l’ânerie d’un autre, en l’occurrence une resucée consternante du gouvernement Ayrault de 2012 lorsqu’il lança alors, tout en frétillements, le Cloud Souverain à la française pour lutter lui aussi contre l’hégémonie américaine, tralala.
Pour s’assurer d’un ratage sans précédent, l’offre était bien évidemment bicéphale, avec Numergy d’un côté, et Cloudwatt de l’autre. L’État y avait pris des participations de multiples façons (notamment au travers de la CDC). L’initiative qui devait foirer dès le départ foira exactement comme prévu (c’est une habitude). La facture finale fut adressée (il y a quelques mois seulement) au contribuable qui en est encore à se passer la Préparation H.
À l’époque, j’en avais parlé ici et là, par exemple, pour noter à la fois le désastre à venir et faire le bilan, désastreux comme il se doit.
Cette fois-ci, les acteurs changent (OVH et Dassault). Même si leurs compétences sont reconnues, on peut émettre les mêmes critiques qu’à l’époque sur la faisabilité générale du « projet » de Bruno et raisonnablement parier sur un nouveau dérapage public qui n’empêchera pas Bruno de pavaner quelques temps encore. Et comme le plantage fut sévère au niveau français, Bruno envisage d’ores et déjà de se placer au niveau européen, pour transformer je suppose la catastrophe en séisme continental…
Oui, vraiment, il nous montre bien de quel bois il est fait : si ce n’est pas le bois du pipeau, c’est celui du cercueil.
Et attendez un peu, mes petits amis : ceci n’était que le volet destiné à répondre à la remarque sur la quantité de travail. Parce que Bruno, il a plus d’un tour dans son sac à malice !
Pour le volet « trop d’impôts », il a une autre idée géniale : et pourquoi ne mettrions-nous pas en place une bonne petite taxe carbone sur les carburants des avions et des bateaux ? Et pour s’assurer d’un succès retentissant, pourquoi ne pas la proposer au niveau européen ?
Comme pour Numergy et Cloudwatt qui n’ont pas fonctionné au niveau français et qui, c’est évident, fonctionneront au niveau européen parce que, parce que, parce que Union Européenne C’est Magique Par Ici La Monnaie, la taxe carbone, qui a déclenché les Bonnets Rouges d’abord puis les Gilets Jaunes ensuite a toutes les chances de mieux marcher au niveau européen, parce que Union Européenne C’est Magique Par Ici La Monnaie. Non ?
Et après tout, si, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas demander à tous nos partenaires européens de renoncer à des budgets sains, des taxes pas trop violentes et des prix compétitifs ? Pourquoi ne pas enfin, tous ensemble, aller d’un pas guilleret vers une avalanche de taxes et d’impôts pour soigneusement casser les petites pattes de marchés pourtant porteurs comme le transport ou l’aviation, pour saboter durablement le pouvoir d’achat non plus des seuls Français mais aussi de tous ces gros richous d’Europe du Nord qui ont la fort mauvaise idée de ne pas s’adonner à la taxation folle ? Hein, pourquoi pas ?
Pour Bruno, pas de doute : une Europe de la taxe musclée, ça aurait de la gueule ! Et quelles belles perspectives de croissance et de richesse ! Quelle idée merveilleuse pour attirer les entreprises et les capitaux ! Quelle lumineuse trouvaille dont les résultats, probants en France, donneront envie à toute l’Europe de nous rejoindre, elle qui fait – c’est évident – les yeux de Chimène à notre sémillant Grand Leader !
Même une horloge cassée dont le cadran est difficilement lisible sous la rouille et la moraline indique l’heure exacte deux fois par jour, à condition d’avoir deux aiguilles. Las, notre ministre de l’Économie n’en a qu’une, et encore, pas bien vaillante.
Il faut se résoudre à l’évidence : Bruno Le Maire est une horloge cassée qui montre le Sud.