Devant
le tir de barrage de la BCE qui se poursuit, ou bien parce qu’il
en partagent ouvertement les objectifs pour leurs raisons propres,
comme les Français, les dirigeants européens
s’engouffrent vers la seule porte de sortie qu’il leur
reste : la vente du patrimoine grec, afin de rembourser un trou
financier que personne ne veut combler, chacun convaincu de ses bonnes
raisons. Un nouveau prêt complémentaire pourrait alors permettre
de rouler la dette restante, pour voir venir.
La
confiance, longtemps accordée aux Grecs, quitte à fermer
complaisamment les yeux quand il l’a fallu – comme pour
d’autres, et non des moindres – n’est plus au rendez-vous,
et le temps presse. Il est donc fortement question, en sous-main, de
créer une agence chargée de la vente de ces actifs, qui ne
serait plus pilotée par les autorités grecques
elles-mêmes mais par des experts. Ce qui s’apparente
à une pure et simple saisie, suivie d’une vente dans des
conditions douteuses, puisque effectuées dans la précipitation.
Il va y avoir de bonnes occasions à saisir, la financiarisation
va y trouver son compte.
Les
artisans de cette brillante idée seront jugés à
l’aune de leurs résultats. Mais en attendant, il n’est pas
inutile de revenir encore une fois sur le blocage de la BCE, dont les motifs
s’éclaircissent peu à peu.
Rappelons
les faits : bien que représentant 5% du PIB de la zone euro, les
banques grecques, irlandaises et portugaises ont à elles seules
emprunté 242 milliards d’euro à la BCE, soit 55% de
l’ensemble des liquidités que la BCE a apporté au
système bancaire dans toute la zone euro. N’ayant pas le choix,
celle-ci n’a pas été toujours regardante sur la
qualité des actifs pris en pension à titre de garantie. Il est
aussi estimé que 150 milliards d’euros d’actifs
détenus par la BCE à titre de collatéral proviennent des
banques grecques … munies de la garantie de l’Etat. Enfin, parmi
les 75 milliards d’euros d’obligations d’Etat
achetés par la BCE, au moins les deux tiers des titres sont grecs.
L’édifice
financier est donc fragile, même si JP Morgan Chase a calculé
que l’Eurosystème pourrait faire face
à une décote de 50% des obligations grecques, disposant de 81
milliards d’euros de fonds propres en totalité. Mais il
n’en serait pas de même si l’Irlande et le Portugal
s’engageaient dans la même voie, une reconstitution des fonds
propres aux frais des Etats étant alors inévitable.
Cette
exposition de la BCE est donc devenue problématique ; ne pouvant
arrêter la distribution de ses liquidités aux banques des pays
de la zone des tempêtes, elle ne peut céder en retour les actifs
pris en pension et menacés d’être dévalués.
Elle roule la dette de ces banques, en attendant mieux. Le plan de
sauvetage portugais, après l’irlandais, comporte certes un
financement destiné aux banques de ces pays – venant alors en
substitution de celui de la BCE – mais il s’est
déjà révélé insuffisant dans le cas de
l’Irlande.
L’impasse
dans laquelle se trouve la BCE n’est pas uniquement le produit
d’un enchaînement fatal, fait de ses mesures d’injection de
liquidité et des achats d’obligations souveraines
destinés à parer au plus pressé. C’est, pour aller
au fond des choses, l’expression de la faillite d’un
système financier reposant sur un endettement grandissant ainsi que
sur l’étroite interdépendance de tous ses acteurs. Avec
comme clé de voûte une banque centrale qui n’est pas
outillée pour faire face à ce déséquilibre. Ou,
pour le dire autrement, sur le bon fonctionnement d’une machine
à produire de la dette sur laquelle reposait une bonne partie de la
prospérité du système financier, et qui pour le coup
fait défaut dans son ensemble.
Ce
que la crise européenne de la dette publique et privée
conjointe est en train de démontrer, c’est que ce qui est en
priorité à redouter n’est pas la reprise des jeux dans le
grand casino, comme on pouvait le dénoncer. C’est la
constatation qu’un engrenage et levier essentiel du système est
grippé, et qu’il ne peut pas être réparé
avec les moyens envisagés. Aux Etats-Unis, le même
phénomène prend une autre forme, mais il est similaire.
L’Etat n’est pas en mesure de digérer son sauvetage du
système financier, sauf à pratiquer des coupes
budgétaires qui sanctionneront le déclin du pays et rendront
structurelle l’aggravation de la crise sociale.
Il
en ressort deux conséquences :
1/
La croissance économique reposant sur l’endettement est pour
partie compromise, ne pouvant pas retrouver les sommets atteints. Elle est
donc désormais condamnée à rester réduite dans
les pays occidentaux. L’équation sur laquelle repose leur
désendettement n’a alors plus de solution.
2/
En menaçant la solidité financière des Etats, le
système s’est mis lui-même en danger, car il est en train
de perdre son point d’appui financier : la dette souveraine dont
le remboursement est désormais entaché d’incertitude.
La
situation que nous connaissons a un côté fin de fête avec
d’une part une monnaie internationale de référence dont
les années sont nécessairement comptées, et de
l’autre des obligations souveraines qui ne sont plus le roc sur lequel
le système pouvait s’appuyer pour faire levier.
Avec
une bourse toujours incertaine, des matières premières dont le
cours monte et baisse sans crier gare, sans autre raison qu’une
spéculation orchestrée par un nombre très réduit
d’intervenants, et un marché monétaire sur lequel les
possibilités spéculatives du carry trade
connaissent de premières menaces avec l’élévation
de barrières réglementaires au sein des pays émergents
(même l’OCDE l’admet du bout des lèvres), les
marchés cherchent où placer leurs gigantesques
liquidités, les obligations devenues à leur tour suspectes. Le
marché des obligations sécurisées, que les banques
émettent en ce moment à tour de bras afin de renforcer leurs
fonds propres, n’étant pas en mesure de répondre à
l’offre…
Annoncée
comme résultant d’une surproduction de biens et de services
associée à un chômage structurel grandissant, la crise
aboutit à une surproduction de capitaux, également à la
recherche de leur emploi en quelque sorte…
Le
système financier est donc menacé par une singulière
situation dont il est lui-même à l’origine. Il a
réussi à conserver la maitrise de ses instruments
spéculatifs à fort rendement, mais il a lui
même sapé le socle qui lui est nécessaire afin de
se reposer sur des actifs de qualité, avec un moindre rendement mais
de tout repos. Il est parvenu à largement se défausser de sa
dette, mais celle-ci ne peut être comme espéré
digérée et menace de se représenter à lui.
Que
peut faire dans l’immédiat la BCE ? La stratégie
qu’elle défend repose sur trois piliers : éviter que
les créanciers privés de la dette publique ne soient atteints
par une décote, obtenir que les Etats se substituent à elle
pour intervenir sur le marché obligataire (via leur fond de
stabilité européen), et parvenir à ce qu’ils adoptent
un régime de sanctions automatiques en cas de dépassement de
leurs limites de déficit, afin de résorber la dette publique
par eux-mêmes. Les plans de sauvetage qu’ils adoptent ayant
vocation à financer les banques via les Etats qui en
bénéficient afin que la BCE puisse stopper ses injections
massives de liquidité sous la forme actuelle.
Ce
programme reporte sur les Etats européens la totalité du poids
d’une dette que les plus faibles ne parviennent pas à supporter,
déjà entrés dans la zone des tempêtes ou pouvant
vite y être entraînés. Sa réalisation implique de
facto une mutualisation de la dette sous une forme ou sous une autre. Faute
de celle-ci, la BCE n’aura comme choix que de laisser éclater la
zone euro – aux risques et périls de tous – ou de manger
son chapeau.
Dans
ce dernier cas, elle affrontera alors la situation que rencontrent
déjà la Banque d’Angleterre et la Fed, qui ne s’en
dépêtrent pas, bien maigre consolation ! La crise
européenne de la dette n’est qu’une version
particulière de la crise générale de la dette que
connaît le capitalisme financier.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
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