Les jours se suivent et se ressemblent, certes. Mais il faut parfois relire deux ou trois fois les informations d’une presse débridée (mais toujours aussi subventionnée), qui tombent comme des obus de 155 au milieu des pâquerettes de notre naïveté pour se convaincre que tout est normal. Et parfois, c’en est trop, l’absurdité dépasse tous les niveaux habituels. La vérité, toujours sous la surface des eaux tumultueuses de l’actualité bouillonnante, remonte alors comme un bouchon avant de replonger à nouveau : le gouvernement se moque de nous.
Dernièrement, ce sont deux notules qui ont à nouveau, le temps fugace d’un billet, propulsé l’évidence hors du bouillon. L’une met en scène celui qui passe pour notre ministre des finances (parce que, oui, même si la France n’a plus de finances, elle a encore un ministre qui s’en occupe). L’autre enfile comme des petites saucisses-apéritif sur une brochette, notre premier ministre, la ministre de l’Éducation Nationale et un humoriste.
Et c’est donc grâce à Michel Sapin et au nouveau site du gouvernement qu’on découvre que ces gens nous prennent pour des enfants. Des enfants d’abrutis, très manifestement, si l’on en croit à la fois l’objectif affiché, officiel et décrit par le rondouillard ministre, et le design résolument gamin du site en question.
Car ici, mes petits enfants stupides, nous parlons impôts, thème de prédilection d’un ministre à la tête d’un pays en faillite, dont les ponctions n’ont pas arrêté d’augmenter sur les 20 dernières années, et dont la pression fiscale, ubuesque, ne préoccupe absolument pas le pouvoir en place si ce n’est pour son pendant désagréable : de moindres rentrées. Or, on le sait, le peuple grogne, ploie sous les charges, et les grognements, qu’on entend de-ci, de-là et de façon épisodique, pourraient ralentir la collecte des deniers.
Ces ronchonnements n’ont pas lieu d’être puisque chacun sait qu’une campagne d’impôts, c’est l’occasion d’une bonne rigolade en famille, même si, il faut le reconnaître, les cerfas d’impôts sont parfois un peu arides. Dès lors, pour notre ministre et son suintant factotum, Christian Eckert, il s’agissait de donner un petit caractère « populaire, accessible et disons-le, plus convivial » à une campagne de collecte d’habitude pas spécialement ludique. Quand on voit le résultat, on peut dire que c’est réussi :
Couleurs acidulées qui ne dépareilleraient pas une classe de maternelle, graphisme d’écolier, petits personnages rigolos, tout y est pour que l’impôt citoyen, fiscal et vexatoire soit enfin une opération adaptée au QI d’huître dont nous dotent explicitement nos ministres. L’impôt, celui qui détruit les sociétés et crée du chômage, ruine les Français et les entraîne tous les jours plus dans la pauvreté, celui qui n’a jamais été aussi inégalitaire qu’actuellement, se doit d’être convivial, (et probablement aussi festif que citoyen) comme un barbecue entre amis.
On peut le dire : ces gens qui, je vous le rappelle, sont normalement les valets des Français et vivent de leurs impôts, ont un culot en béton armé. Apparemment, populaire et accessible signifie pour eux « rigolo », « enfantin » et « niaiseux ».
Et pendant qu’Eckert et Sapin traitaient sous cape les Français de petits cons, le Premier Ministre et le Ticket-Parité du gouvernement s’exprimaient sur la pertinence de nouvelles matières innovantes au collège.
Dans une interview au magazine L’Œil, Manuel Valls glosait benoîtement sur la réforme des rythmes éducatifs et autres catastrophes joyeusement impulsée par le gouvernement et en a profité pour s’interroger, à la consternation générale, sur la possibilité d’« intégrer, dans nos écoles, l’art de l’improvisation que porte Jamel Debbouze » …
Le tout au moment même où l’on apprend que les programmes d’Histoire sont une fois de plus remaniés au tractopelle et à la dynamite : c’est décidé, en sixième, on ne parlera plus de l’Égypte, de la Mésopotamie, des royaumes assyriens, de Ninive et de Babylone. Si quelques notions seront obligatoires – l’islam, les traites négrières, par exemple – d’autres seront laissées au choix du professeur comme les guerres de religion ou les Lumières. Ben tiens. Voilà qui brosse un tableau délicieux, non ?
Autrement dit, pendant qu’on va très délicatement « reformater » l’histoire de France avec un doigté que n’aurait pas renié le Baron Haussman, Manu Les Bons Tuyaux envisage d’en ajouter une couche en proposant des cours de stand-up et d’improvisations à nos étudiants. Quelque part, ça se comprend : si pour le stand-up comique, il est clair que le gouvernement n’a de leçon à recevoir de personne, en matière d’improvisations, un grand chantier s’impose pour tout l’Exécutif français tant le résultat des siennes est calamiteux.
Tout ça pourrait être une amusante galéjade si la balle, lancée par le Premier ministre avec la décontraction et la nonchalance des gens qui n’en ont absolument rien à carrer, n’avait été récupérée au bond par la frétillante excuse qui sévit actuellement au maroquin de l’Éducation Nationale : le gouvernement est à ce point en manque de buzz et d’idées que toute chimère, même grotesque, surtout grotesque, sera rapidement montée en épingle et, encore mieux, mise en pratique.
Je ne reviendrai pas en détail sur l’absurdité que constitue tant l’idée de Valls que sur le surenchérissement burlesque de Vallaud-Belkacem, le blogueur Koz l’a déjà amplement fait.
En revanche, je n’hésiterai pas à constater encore une fois le délitement avancé de nos dirigeants, et leur déconnexion du réel, à nouveau prouvée par cette enfilade de bouffonneries. Si la situation du pays n’était pas à ce point préoccupante, on pourrait presque trouver ça drôle. Ou troll, disons, tant tout ceci apparaît comme une manœuvre de communication pour se foutre du peuple.
Cependant, à force de ne pas tenir compte de la réalité, à force d’agacer ceux qui payent pour ces clowneries, à force d’occuper le terrain avec une fanfreluche de plus en plus irritante, il va arriver un moment où le décalage sera amplement suffisant pour justifier tous les écarts, tous les débordements, toutes les violences … et tous les extrêmes.
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