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Camisoles de l’esprit

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Published : July 14th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Les yeux rivés exclusivement vers l’Europe et les Etats-Unis, il n’en faudrait pas pour autant négliger la Chine et le Japon, détenteurs des deuxième et troisième place au classement mondial des puissances économiques, pour faire le tour du propriétaire.


La Chine connaît un boom du crédit, dont la croissance n’est toujours pas enrayée. Selon l’agence Fitch, qui s’est penchée sur le dossier à la suite de Moody’s évaluant l’énorme endettement des collectivités locales, ce sont successivement pour 1.050 milliards d’euros en 2009, 870 milliards en 2010 et prévisionnellement 875 milliards en 2011 de crédits qui auraient ou vont être accordés. Mais il s’agit d’estimations ne prenant pas en compte les circuits parallèles, notamment les prêteurs sur gage, ni les crédits accordés par les banques de Hong Kong ou par des institutions non bancaires, ainsi que les lettres de crédit des entreprises. Selon l’agence, le volume total des crédits distribués en 2011 pourrait atteindre le montant de 2.000 milliards d’euros…


Par son ampleur, cette situation porte en germe la déstabilisation du système bancaire, en dépit des relèvements successifs du ratio de fonds propres des banques décidés par les autorités réglementaires. Les Chinois ont à leur tour cédé à la logique financière et mis en marche une machine à fabriquer de la dette, suscitant la formation d’une gigantesque bulle, avec comme seule perspective de la voir crever, faisant beaucoup de dégâts dans le secteur modernisé de l’économie du pays. Selon les statistiques officielles, la croissance continue de dépasser les 9% annuels.


La croissance en accéléré n’a donc pas comme seuls effets de gros dégâts environnementaux, mais aussi un apprentissage financier précipité, qui va difficilement conduire au recentrage sur le marché intérieur, comme proclamé.


Dans l’immédiat, c’est l’inflation qui sévit, y compris sur les produits alimentaires de base. En une seule année, le prix du porc a augmenté de 57,1%. La stabilisation des prix est donc l’objectif gouvernemental numéro 1, en raison de ses incidences sociales et des risques d’agitation, afin aussi d’éviter des hausses de salaire généralisées qui nuiraient à l’exportation. Mais la banque centrale chinoise a déjà augmenté ses taux d’intérêt à cinq reprises en huit mois, sans résultat.


L’économie japonaise devrait, selon la Banque du Japon, connaître en 2011 une croissance maximale de 0,4%, en baisse par rapport à ses précédentes prévisions. Contrairement aux attentes optimistes qui prédisaient une rapide relance en raison de la reconstruction des zones dévastées du pays, un ensemble de facteurs concourt à ces plus sombres présages. La localisation d’unités de production dans les zones sinistrées, le rationnement de l’électricité, ainsi que le baisse de la consommation des Japonais. Mais surtout la rupture de la chaîne d’approvisionnement de la production, occasionnée par les ravages du tsunami, et dont le rétablissement demande du temps. Les circuits logistiques ont été désorganisés, paralysant un appareil productif travaillant à flux tendu pour optimiser les coûts financiers, démontrant la grande fragilité de ce type de mécanique.


L’avenir ne s’annonce pas rose, étant donné la hausse prévisible du coût de l’énergie et la remise en service difficile de nombreuses centrales nucléaires – 35 centrales sur 54 sont actuellement à l’arrêt – sous la pression d’une opinion publique qui s’est réveillée à la faveur de la catastrophe de Fukushima.


Le Japon n’est pas prêt de sortir de sa trappe à liquidité, les facilités accordées par la Banque du Japon englouties en pure perte. La crise politique qui rebondit actuellement n’est pas de nature à régler ce problème lancinant. L’édifice financier japonais, longtemps considéré comme sain, au prétexte irréfléchi mais répété à satiété que la dette était financée en interne, pourrait à force donner des signes de grande faiblesse. L’actualité européenne a montré que ce qui était considéré comme un gage de solidité pouvait se révéler un grand danger.


« On ne peut plus soutenir que la politique menée jusqu’à présent garantisse la sécurité de l’exploitation de l’énergie nucléaire. Nous devons concevoir une société qui puisse s’en passer », vient de reconnaître Noato Kan, le premier ministre. Une sortie progressive du nucléaire du pays n’est encore qu’une perspective, pour laquelle aucun calendrier n’a été fixé, et qui va être vivement combattue par le complexe électro-nucléaire et les milieux industriels qui craignent que des délocalisations de la production en résultent. Mais, en tout état de cause, l’objectif de faire monter d’ici 2030 la part de l’électro-nucléaire de 30 à 50% de la production énergétique est d’ores et déjà mis en question, non sans conséquences pour l’appareil productif.


Un tel rapide survol de la Chine et du Japon conduit à se poser une simple question, sachant ce qui se passe aux Etats-Unis et en Europe : où va ce système qui partout est désormais en échec ?


Pour l’Europe, le futur directeur général de la BCE, Mario Draghi, a fourni avec assurance une réponse, donnée à l’occasion d’une allocution prononcée devant l’Association bancaire italienne : « La solvabilité des Etats souverains n’est plus un fait acquis mais doit être gagnée sur le terrain avec une croissance forte et durable, seulement possible grâce à des comptes publics en ordre ». Il en a tiré comme corollaire que « Le coût du crédit reflète aujourd’hui cette nouvelle condition, il est plus élevé pour les pays à croissance basse et avec des finances publiques plus faibles », rendant « encore plus essentielles des réformes structurelles ». Il faut mériter le crédit, lui aussi.


Il n’est plus nécessaire de détailler ce qui est entendu par réformes structurelles. Il n’est pas un plan d’austérité européen qui ne soit assorti d’un programme de privatisations ou qui prépare l’essor des assurances médicales privées ou des fonds de pension par capitalisation, à force de restrictions. Exemple symbolique épinglé en France, une première route nationale sera bientôt sous régime concessif, devenant à péage. A la recherche de nouveaux centres de profits, le système financier continue de prendre ses aises. Le « moins d’Etat » n’a pas d’autre raison, si ce n’est la nécessité par ailleurs que les Etats cèdent la place sur le marché obligataire pour que les institutions financières puissent y être servies dans les meilleurs conditions.


Sous la pression des marchés le gouvernement italien vient de durcir son nouveau plan d’austérité, qu’il devrait selon des délais jamais atteint faire adopter dans l’urgence vendredi. Une leçon est à en tirer : les uns après les autres, les pays européens engagent un même régime sévère d’une ampleur jamais vue sans rencontrer d’autre réaction notable que celles des indignés. Le monde occidental a basculé dans une véritable hystérie collective et punitive. Mais sans aucune garantie de succès, tout au contraire.


Une logique d’enfermement est systématiquement utilisée, martelant qu’il n’y a pas d’alternative. Avec comme clé de voûte que le monde est dirigé par les marchés et qu’il faut s’y soumettre. La solvabilité des Etats doit « être gagnée sur le terrain » a énoncé à Rome Mario Draghi, il voulait dire sur les marchés. L’industrie électro-nucléaire nous a habitués à ces raisonnements d’enfermement, ces camisoles de l’esprit endossées au nom du réalisme. Hier pour répondre à la demande en croissance vertigineuse d’énergie, aujourd’hui pour combattre l’émission de CO2.


Sur la brisée des parlementaires allemands, qui ont initié cette mesure, et dans le cadre de la tarte à la crème du renforcement de la bonne gouvernance, le parlement français vient d’adopter une « règle d’or » de retour à l’équilibre budgétaire. Tentative de graver celui-ci dans la constitution, qui vise à la rendre le plus possible indiscutable, au prétexte d’être raisonnable. Aboutissant dans la pratique à sanctionner l’abdication du pouvoir électif au profit des marchés, mise en cause au nom des nécessités du moment de la démocratie politique, dans toutes ses imperfections mais avec également ses acquis.


Faut-il rappeler comment le système financier utilise aux Etats-Unis avec le succès que l’on sait les méandres de la loi, afin de garantir ses marges d’évasion. Les lois qui régissent l’activité financière sont d’une complexité folle, permettant de toujours y trouver des trous permettant de les contourner… en toute légalité. Mais ces mêmes lois sont parfois bien utiles. En décembre 2010, Philip Morris, la multinationale du tabac, a attaqué devant le Tribunal des résolutions de la Banque mondiale l’un des plus petits pays d’Amérique Latine, l’Uruguay, coupable d’avoir imposé une des législations les plus restrictives du continent à propos du tabac. Arguant d’une violation de ses droits intellectuels, Philip Morris poursuit le pays pour entrave à la liberté du commerce, mettant en cause une disposition prévoyant que sa marque ne pouvait au maximum occuper que 20% de la surface des paquets de cigarette…



Billet rédigé par François Leclerc


Paul Jorion



(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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