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Les
yeux rivés exclusivement vers l’Europe et les Etats-Unis, il
n’en faudrait pas pour autant négliger la Chine et le Japon,
détenteurs des deuxième et troisième
place au classement mondial des puissances économiques, pour
faire le tour du propriétaire.
La
Chine connaît un boom du crédit, dont la croissance n’est
toujours pas enrayée. Selon l’agence Fitch,
qui s’est penchée sur le dossier à la suite de
Moody’s évaluant l’énorme endettement des
collectivités locales, ce sont successivement pour 1.050 milliards
d’euros en 2009, 870 milliards en 2010 et prévisionnellement
875 milliards en 2011 de crédits qui auraient ou vont être
accordés. Mais il s’agit d’estimations ne prenant pas en
compte les circuits parallèles, notamment les prêteurs sur gage,
ni les crédits accordés par les banques de Hong Kong ou par des
institutions non bancaires, ainsi que les lettres de crédit des
entreprises. Selon l’agence, le volume total des crédits
distribués en 2011 pourrait atteindre le montant de 2.000 milliards
d’euros…
Par
son ampleur, cette situation porte en germe la déstabilisation du
système bancaire, en dépit des relèvements successifs du
ratio de fonds propres des banques décidés par les
autorités réglementaires. Les Chinois ont à leur tour
cédé à la logique financière et mis en marche une
machine à fabriquer de la dette, suscitant la formation d’une
gigantesque bulle, avec comme seule perspective de la voir crever, faisant
beaucoup de dégâts dans le secteur modernisé de
l’économie du pays. Selon les statistiques officielles, la
croissance continue de dépasser les 9% annuels.
La
croissance en accéléré n’a donc pas comme seuls
effets de gros dégâts environnementaux, mais aussi un
apprentissage financier précipité, qui va difficilement
conduire au recentrage sur le marché intérieur, comme
proclamé.
Dans
l’immédiat, c’est l’inflation qui sévit, y
compris sur les produits alimentaires de base. En une seule année, le
prix du porc a augmenté de 57,1%. La stabilisation des prix est donc
l’objectif gouvernemental numéro 1, en raison de ses incidences
sociales et des risques d’agitation, afin aussi d’éviter
des hausses de salaire généralisées qui nuiraient
à l’exportation. Mais la banque centrale chinoise a
déjà augmenté ses taux d’intérêt
à cinq reprises en huit mois, sans résultat.
L’économie
japonaise devrait, selon la Banque du Japon, connaître en 2011 une
croissance maximale de 0,4%, en baisse par rapport à ses
précédentes prévisions. Contrairement aux attentes
optimistes qui prédisaient une rapide relance en raison de la
reconstruction des zones dévastées du pays, un ensemble de
facteurs concourt à ces plus sombres présages. La localisation
d’unités de production dans les zones sinistrées, le
rationnement de l’électricité, ainsi que le baisse de la consommation des Japonais. Mais surtout la
rupture de la chaîne d’approvisionnement de la production,
occasionnée par les ravages du tsunami, et dont le
rétablissement demande du temps. Les circuits logistiques ont
été désorganisés, paralysant un appareil productif
travaillant à flux tendu pour optimiser les coûts financiers,
démontrant la grande fragilité de ce type de mécanique.
L’avenir
ne s’annonce pas rose, étant donné la hausse
prévisible du coût de l’énergie et la remise en
service difficile de nombreuses centrales nucléaires – 35
centrales sur 54 sont actuellement à l’arrêt – sous
la pression d’une opinion publique qui s’est
réveillée à la faveur de la catastrophe de Fukushima.
Le
Japon n’est pas prêt de sortir de sa trappe à
liquidité, les facilités accordées par la Banque du
Japon englouties en pure perte. La crise politique qui rebondit actuellement
n’est pas de nature à régler ce problème
lancinant. L’édifice financier japonais, longtemps considéré
comme sain, au prétexte irréfléchi mais
répété à satiété que la dette
était financée en interne, pourrait à force donner des
signes de grande faiblesse. L’actualité européenne a
montré que ce qui était considéré comme un gage
de solidité pouvait se révéler un grand danger.
« On
ne peut plus soutenir que la politique menée jusqu’à
présent garantisse la sécurité de l’exploitation
de l’énergie nucléaire. Nous devons concevoir une
société qui puisse s’en passer », vient de
reconnaître Noato Kan, le premier ministre.
Une sortie progressive du nucléaire du pays n’est encore
qu’une perspective, pour laquelle aucun calendrier n’a
été fixé, et qui va être vivement combattue par le
complexe électro-nucléaire et les
milieux industriels qui craignent que des délocalisations de la
production en résultent. Mais, en tout état de cause,
l’objectif de faire monter d’ici 2030 la part de l’électro-nucléaire de 30 à 50% de la
production énergétique est d’ores et déjà
mis en question, non sans conséquences pour l’appareil
productif.
Un
tel rapide survol de la Chine et du Japon conduit à se poser une
simple question, sachant ce qui se passe aux Etats-Unis et en Europe :
où va ce système qui partout est désormais en
échec ?
Pour
l’Europe, le futur directeur général de la BCE, Mario Draghi, a fourni avec assurance une réponse,
donnée à l’occasion d’une allocution
prononcée devant l’Association bancaire italienne :
« La solvabilité des Etats souverains n’est plus un
fait acquis mais doit être gagnée sur le terrain avec une
croissance forte et durable, seulement possible grâce à des comptes
publics en ordre ». Il en a tiré comme corollaire que
« Le coût du crédit reflète aujourd’hui
cette nouvelle condition, il est plus élevé pour les pays
à croissance basse et avec des finances publiques plus
faibles », rendant « encore plus essentielles des
réformes structurelles ». Il faut mériter le
crédit, lui aussi.
Il
n’est plus nécessaire de détailler ce qui est entendu par
réformes structurelles. Il n’est pas un plan
d’austérité européen qui ne soit assorti
d’un programme de privatisations ou qui prépare l’essor
des assurances médicales privées ou des fonds de pension par
capitalisation, à force de restrictions. Exemple symbolique
épinglé en France, une première route nationale sera
bientôt sous régime concessif, devenant à péage. A
la recherche de nouveaux centres de profits, le système financier
continue de prendre ses aises. Le « moins
d’Etat » n’a pas d’autre raison, si ce
n’est la nécessité par ailleurs que les Etats cèdent
la place sur le marché obligataire pour que les institutions
financières puissent y être servies dans les meilleurs
conditions.
Sous
la pression des marchés le gouvernement italien vient de durcir son nouveau plan
d’austérité, qu’il devrait selon des délais
jamais atteint faire adopter dans l’urgence vendredi. Une leçon
est à en tirer : les uns après les autres, les pays
européens engagent un même régime sévère
d’une ampleur jamais vue sans rencontrer d’autre réaction
notable que celles des indignés. Le monde occidental a basculé
dans une véritable hystérie collective et punitive. Mais sans
aucune garantie de succès, tout au contraire.
Une
logique d’enfermement est systématiquement utilisée,
martelant qu’il n’y a pas d’alternative. Avec comme
clé de voûte que le monde est dirigé par les
marchés et qu’il faut s’y soumettre. La solvabilité
des Etats doit « être gagnée sur le
terrain » a énoncé à Rome Mario Draghi, il voulait dire sur les marchés.
L’industrie électro-nucléaire
nous a habitués à ces raisonnements d’enfermement, ces
camisoles de l’esprit endossées au nom du réalisme. Hier
pour répondre à la demande en croissance vertigineuse
d’énergie, aujourd’hui pour combattre
l’émission de CO2.
Sur
la brisée des parlementaires allemands, qui ont initié cette
mesure, et dans le cadre de la tarte à la crème du renforcement
de la bonne gouvernance, le parlement français vient
d’adopter une « règle d’or » de
retour à l’équilibre budgétaire. Tentative de
graver celui-ci dans la constitution, qui vise à la rendre le plus
possible indiscutable, au prétexte d’être raisonnable.
Aboutissant dans la pratique à sanctionner l’abdication du
pouvoir électif au profit des marchés, mise en cause au
nom des nécessités du moment de la démocratie politique,
dans toutes ses imperfections mais avec également ses acquis.
Faut-il
rappeler comment le système financier utilise aux Etats-Unis avec le
succès que l’on sait les méandres de la loi, afin de
garantir ses marges d’évasion. Les lois qui régissent
l’activité financière sont d’une complexité
folle, permettant de toujours y trouver des trous permettant de les
contourner… en toute légalité. Mais ces mêmes lois
sont parfois bien utiles. En décembre 2010, Philip Morris, la
multinationale du tabac, a attaqué devant le Tribunal des
résolutions de la Banque mondiale l’un des plus petits pays
d’Amérique Latine, l’Uruguay, coupable d’avoir
imposé une des législations les plus restrictives du continent
à propos du tabac. Arguant d’une violation de ses droits
intellectuels, Philip Morris poursuit le pays pour entrave à la
liberté du commerce, mettant en cause une disposition prévoyant
que sa marque ne pouvait au maximum occuper que 20% de la surface des paquets
de cigarette…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
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