Il faudrait savoir, et ne pas l'oublier, que la « théorie de la quantité
de monnaie », théorie qui remonte au moins au XVIème siècle, n’a jamais
expliqué la quantité de monnaie.
Ce point, méconnu peut-être par habitude, est trop souvent laissé de côté
pour ne pas l’évoquer en quelques mots.
1. Un point sur la « théorie de la quantité de monnaie ».
Etant donné que, jusqu’au début du XXème siècle, il était admis, sans
réserve, que:
« Une marchandise en laquelle s'expriment les prix des autres
marchandises, est un numéraire ou une monnaie.
Le numéraire se distingue de la monnaie en ce que la monnaie intervient
matériellement dans les phénomènes économiques, et le numéraire n'intervient
pas matériellement.[...] » (Pareto, 1896-97, §269),
quoiqu'en faisant référence à Jevons (1896) 1),
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1) Fisher précisait ainsi :
« For discussions on the definition of money, see
A. Piatt Andrew, "what ought to be called
Money" in Quarterly Journal of Economics, Vol. XIII;
Jevons, Money and the Mechanism of Exchange,
London (Kegan Paul) and New York (Appleton), 1896;
Palgrave, Dictionary of Political Economy;
Walker, Money,
and other treatises and textbooks. » (Fisher,
1911, chap.II, §1)
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Irving Fisher (1911) n’ait pas hésité à écrire, avec raison, que :
« The so called ’quantity theory of money’ i.e. that
prices vary proportionately to money, has often been incorrectly formulated,
but (overlooking checks) the theory is correct in the sense that the level of
prices varies directly with the quantity of money in circulation.” (Fisher,
1911, p.14)
En français:
"La soi-disant «théorie de la quantité de monnaie », c'est-à-dire que
les prix varient proportionnellement à la monnaie, a souvent été mal
formulée, mais (mis à part les dépôts) la théorie est correcte en ce sens que
le niveau des prix varie directement en fonction de la quantité de monnaie en
circulation" 2).
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2) Et Fisher d’ajouter en note de bas de page :
« This theory, though often crudely formulated, has been
accepted by Locke, Hume, Adam Smith, Ricardo, Mill, Walker, Marshall, Hadley,
Fetter, Kemmerer and most writers on the subject.
The Roman Julius Paulus, about 200 A.D., stated his
belief that the value of money depends on its quantity.
See Zuckerkandl, Theorie des Preises;
Kemmerer, Money and Credit Instruments in their
Relation to General Prices, New York (Holt), 1909.
It is true that many writers still oppose the quantity
theory.
See especially, Laughlin, Principles of Money,
New York (Scribner), 1903. »
Pour sa part, Haavelmo (1978) a repris le propos de Wicksell (1929) sur
Ricardo qui suit:
« The only specific theory of the value of money which
has been formulated and the only one that can claim to be of real scientific
importance, is the so called Quantity Theory…” (Haavelmo,
1978, p.209)
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L’important de cette proposition n’est pas que Fisher fasse référence à la
quantité de monnaie en circulation qui n’est jamais qu’une comptabilisation
très particulière de la quantité de monnaie des banques.
Il tient dans le principe de la « proportionnalité » dont il parle.
La proportionnalité n’est jamais qu’une forme d’identité ou de tautologie,
entre
- d'un côté, la notion de variation de la quantité de monnaie en
circulation et
- de l'autre, la notion de variation du niveau des prix en monnaie,
un point c’est tout.
La « théorie de la quantité de monnaie » se référait donc, simplement, à
cette proportion entre les deux variations, rien d’autres.
2. Autres méconnaissances.
La « théorie de la quantité de monnaie » n’a jamais expliqué non plus le
niveau des prix en monnaie des marchandises à partir des variations de la
quantité de monnaie en circulation.
Elle n’était pas la relation de causalité que lui a donnée l’habitude,
aujourd’hui, et que des économistes dont on ne parle pas ont instaurée, mais
une relation de variations conjointes entre les deux éléments, une fois l’ «
équation des échanges » de Fisher résolue en une égalité ou identité.
La mauvaise habitude a surtout fait que cet ensemble de données a été en
grande partie ignoré.
Elle explique le grand nombre de travaux empiriques sur les effets de la
quantité de monnaie à quoi ils ont pu donner lieu depuis lors et qui
ont conduit à ce que la causalité perdurât dans beaucoup de têtes.
3. Le fond de la « théorie de la quantité de monnaie ».
La "théorie de la quantité de monnaie" a été d’une logique
imparable malgré son origine mal cernée par les économistes,.
En effet, il n’est guère de proposition de logique - au bon sens du mot
(cf. Peikoff,
1967) - plus certaine que celle qu'elle était.
Peut-être même, pour cette raison, aurait-il été plus efficace d’éviter de
parler de « théorie », mais plutôt, en permanence, de tautologie ou
d’identité.
La tautologie reposait sur les trois faits de la réalité économique que
sont:
1- le fait que les prix en monnaie des marchandises ou, si on préfère, les
quantités de monnaie unitaires convenues par les personnes ("vous et
moi") étaient des notions synonymes,
2- le fait que les quantités de monnaie unitaires convenues par les
personnes, sous couvert de la notion de niveau des prix en monnaie des
marchandises, allaient implicitement de pair avec la notion de quantité de
monnaie en circulation à quoi elles étaient liées, à chaque instant, par le
simple calcul arithmétique:
quantité de monnaie en circulation et niveau des prix en monnaie des
marchandises renvoyaient l’un à l’autre ;
3- il en était ainsi à l'instant intermédiaire de temps "t",
mais il en était de même sur une succession d’instants intermédiaires passés
observés :
la variation de la quantité de monnaie en circulation et la variation du
niveau des prix en monnaie des marchandises allaient de pair .
En d'autres termes, le tout et les parties de la « théorie de la quantité
de monnaie » allaient doublement de pair, la tautologie était parfaite,
achevée.
Et la théorie a mis l'accent sur le point (3).
Dans le cas où les taux de variation étaient positifs, il a été question
d' "inflation" et, dans le cas de taux négatifs, il a été question
de "déflation".
Tout était "clair".
Cela l'est resté jusqu'à ce que, face aux innovations monétaires, les
gouvernements trouvent des remèdes au moyen qu'ils jugeaient leur échapper.
4. Le marché politique des réglementations monétaires.
Et ce fut la création de privilèges donnés à des banques dites
"centrales", une par pays, qui obtenaient le monopole de
l'émission de billets (forme de "substituts de monnaie bancaires")
et qui mettaient en tutelle les banques dites "de second rang",
puis l'interdiction des "substituts de monnaie bancaires" en
monnaie-or ou -argent,
et enfin, pour ce qui concerne des pays de l'Europe géographique, la
création de ce qu'on dénomme "€uro".
Toutes ces réglementations ont progressivement transformé ce qu'on
dénommait "monnaie" et, par conséquent, elles ont amené des
économistes à modifier la "théorie de la quantité de monnaie",
plus ou moins sans le dire.
Elles ont aussi fait prendre pour "chiens", à savoir pour
"monnaie", des chats, à savoir des "substituts de monnaie
bancaires" désormais sans contrepartie et qu'on devrait dénommer
"substituts de rien bancaires".
Elles ont enfin amené d'autres économistes à dénaturer ce qu'ils
dénommaient la "théorie de la quantité de monnaie" en lui
donnant une causalité qu'elle n'avait jamais eue.
Et les économistes ont fait feu de tout bois dans la voie ouverte.
La quantité de "monnaie" est devenue la cause des effets de
toute nature qu'ils voulaient expliquer, en sus des prix en monnaie.
5. La monnaie n'est pas causale.
Au moins un économiste, en grande partie méconnu, s'est opposé à ce
déchaînement des théories, à savoir Jacques Rueff (cf. photographie ci-contre
et ce texte de
juin 2007) pour qui, selon ses propres mots, "la monnaie
n'était pas causale".
On comprendra ainsi l'aberration actuelle sur le prétendu
"quantitative easing program" (cf. ce texte
d'actualité).