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Presque tout le monde aujourd'hui, y
compris la presque totalité des soi-disant économistes, croit
que la banque centrale peut augmenter la quantité de crédit
dans l'économie. Et presque tout le monde croit que lorsque
l'État garantit des prêts à des entreprises ou à
des particuliers, cela permet aussi de rendre le crédit plus
facilement disponible, ce qui ne peut qu'être bénéfique.
La banque centrale
peut créer plus d'argent, non? Et le gouvernement n'enlève rien
à personne en garantissant simplement des prêts. Qu'y a-t-il de
mal à permettre à plus d'entreprises d'avoir accès
à ce crédit? Ne veut-on pas plus d'investissements pour
permettre d'accroître la production et ainsi augmenter la
prospérité?
Ceux qui croient que
le crédit peut être augmenté sans épargne
correspondante succombent en fait à une illusion qui découlent
de la présence de l'intermédiaire qu'est l'argent. L'argent
n'est pas une ressource réelle ou un facteur de production. Il n'est
que l'unité d'échange qui permet de les obtenir. Lorsqu'on
crée de l'argent, on n'augmente pas la quantité de ressources
dans l'économie. La création de crédit ne fait pas
soudainement apparaître plus de travailleurs, de matériaux, de
moyens de transport, d'énergie ou de logiciels informatiques. On ne
fait qu'augmenter le nombre d'unités monétaires permettant de
se les procurer. Et inévitablement, si des ressources en quantité
limitée vont aux uns, elles ne pourront être utilisées
par d'autres.
Voilà pourquoi
ces manipulations monétaires ne constituent en fait qu'une
création de faux crédit et qu'elles résultent simplement
en un transfert de ressources des uns vers les autres, vers ceux qui ont la
chance de mettre la main sur les fonds nouvellement créés
à partir de rien.
Les illettrés
économiques ne font tout simplement pas cette distinction très
simple entre l'unité d'échange et les ressources
réelles. Ils confondent le crédit permettant d'obtenir les
facteurs de production qu'on souhaite investir avec les facteurs de
production disponibles pour être investis. On peut bien multiplier le
premier par cent, les seconds n'apparaîtront pas par magie pour
répondre à la nouvelle demande ainsi créée. On
aura par contre créé de nombreuses distorsions dans la
production, qu'il faudra un jour réparer en liquidant les
investissements non rentables que le faux crédit aura financés.
On ne se surprendra
pas que le plus grand vulgarisateur de la science économique de
l'histoire, Frédéric Bastiat, ait consacré une section
de son immortel Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas à cette question du
crédit. Les mêmes sophismes étaient courants à son
époque. Pour bien comprendre la situation, Bastiat nous demande
d'oublier l'argent et de nous concentrer sur ce qui arrive aux ressources
réelles quand on augmente artificiellement la quantité de crédit.
En quelques paragraphes que n'importe qui peut comprendre, il démolit
la théorie débile selon laquelle le crédit pousse dans
les arbres, propagée aujourd'hui par presque toute la
classe politique, bureaucratique, médiatique et universitaire.
Voici l'explication
simple mais lumineuse de Bastiat, qui vaut plus que tous les modèles
mathématiques utilisés par les charlatans qui sévissent
dans nos départements d'économie.
M.M.
IX. Le
crédit
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Frédéric
Bastiat
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De tous les temps, mais surtout dans les dernières années, on a
songé à universaliser la richesse en universalisant le
crédit.
Je ne crois pas
exagérer en disant que, depuis la révolution de Février,
les presses parisiennes ont vomi plus de dix mille brochures
préconisant cette solution du Problème social.
Cette solution,
hélas! a pour base une pure illusion d'optique, si tant est qu'une
illusion soit une base.
On commence
par confondre le numéraire avec les produits, puis on confond le
papier-monnaie avec le numéraire, et c'est de ces deux confusions
qu'on prétend dégager une réalité.
Il faut absolument, dans cette question, oublier l'argent, la monnaie,
les billets et les autres instruments au moyen desquels les produits passent
de main en main, pour ne voir que les produits eux-mêmes, qui sont la
véritable matière du prêt.
Car quand un laboureur emprunte cinquante francs pour acheter une charrue, ce
n'est pas en réalité cinquante francs qu'on lui prête,
c'est la charrue.
Et quand un marchand emprunte vingt mille francs pour acheter une maison, ce
n'est pas vingt mille francs qu'il doit, c'est la maison.
L'argent n'apparaît là que pour faciliter l'arrangement entre
plusieurs parties.
Pierre peut n'être pas disposé à prêter sa charrue,
et Jacques peut l'être à prêter son argent. Que fait alors
Guillaume? Il emprunte l'argent de Jacques et, avec cet argent, il
achète la charrue de Pierre.
Mais, en fait, nul n'emprunte de l'argent pour l'argent lui-même. On
emprunte l'argent pour arriver aux produits.
Or, dans aucun pays, il ne peut se transmettre d'une main à l'autre
plus de produits qu'il n'y en a.
Quelle que soit la somme de numéraire et de papier qui circule,
l'ensemble des emprunteurs ne peut recevoir plus de charrues, de maisons,
d'outils, d'approvisionnements, de matières premières, que
l'ensemble des prêteurs n'en peut fournir.
Car mettons-nous bien dans la tête que tout emprunteur suppose un
prêteur, et que tout emprunt implique un prêt. Cela posé,
quel bien peuvent faire les institutions de crédit? c'est de
faciliter, entre les emprunteurs et les prêteurs, le moyen de se
trouver et de s'entendre. Mais, ce qu'elles ne peuvent faire, c'est
d'augmenter instantanément la masse des objets empruntés et
prêtés.
Il le faudrait cependant pour que le but des Réformateurs fût
atteint, puisqu'ils n'aspirent à rien moins qu'à mettre des
charrues, des maisons, des outils, des approvisionnements, des
matières premières entre les mains de tous ceux qui en
désirent.
Et pour cela qu'imaginent-ils?
Donner au prêt la garantie de l'État.
Approfondissons la matière, car il y a là quelque chose qu'on voit et quelque chose qu'on ne voit pas. Tâchons
de voir les deux choses. Supposons qu'il n'y ait qu'une charrue
dans le monde et que deux laboureurs y prétendent.
Pierre est possesseur de la seule charrue qui soit disponible en France. Jean
et Jacques désirent l'emprunter. Jean, par sa probité, par ses
propriétés, par sa bonne renommée offre des garanties. On croit en lui; il a du crédit. Jacques
n'inspire pas de confiance ou en inspire moins. Naturellement arrive que
Pierre prête sa charrue à Jean.
Mais voici que, sous l'inspiration socialiste, l'État intervient et
dit à Pierre: Prêtez votre charrue à Jacques, je vous
garantis le remboursement, et cette garantie vaut mieux que celle de Jean,
car il n'a que lui pour répondre de lui-même, et moi, je n'ai
rien, il est vrai, mais je dispose de la fortune de tous les contribuables;
c'est avec leurs deniers qu'au besoin je vous payerai le principal et l'intérêt.
En conséquence, Pierre prête sa charrue à Jacques: c'est ce qu'on voit.
Et les socialistes se frottent les mains, disant: Voyez comme notre plan a
réussi. Grâce à l'intervention de l'État, le
pauvre Jacques a une charrue. Il ne sera plus obligé à
bêcher la terre; le voilà sur la route de la fortune. C'est un
bien pour lui et un profit pour la nation prise en masse.
Eh non! messieurs, ce n'est pas un profit pour la nation, car voici ce qu'on ne voit pas.
On ne voit pas que la charrue n'a été à Jacques
que parce qu'elle n'a pas été à Jean.
On ne voit pas que, si Jacques laboure au lieu de bêcher, Jean
sera réduit à bêcher au lieu de labourer.
Que, par conséquent, ce qu'on considérait comme un accroissement de prêt n'est qu'un déplacement de prêt.
En outre, on ne voit pas que ce déplacement implique deux profondes
injustices.
Injustice envers Jean qui, après avoir mérité et conquis
le crédit par sa probité et son activité s'en voit
dépouillé.
Injustice envers les contribuables, exposés à payer une dette
qui ne les regarde pas.
Dira-t-on que le gouvernement offre à Jean les mêmes
facilités qu'à Jacques? Mais puisqu'il n'y a qu'une charrue
disponible, deux ne peuvent être prêtées. L'argument
revient toujours à ce que, grâce à l'intervention de
l'État, il se fera plus d'emprunts qu'il ne peut se faire de
prêts, car la charrue représente ici la masse des capitaux
disponibles.
J'ai réduit, il est vrai, l'opération à son expression
la plus simple; mais, éprouvez à la même pierre de touche
les institutions gouvernementales de crédit les plus
compliquées, vous vous convaincrez qu'elles ne peuvent avoir que ce
résultat: déplacer le crédit, non l'accroître. Dans un pays et
dans un temps donné, il n'y a qu'une certaine somme de capitaux en
disponibilité et tous se placent. En garantissant des insolvables,
l'État peut bien augmenter le nombre des emprunteurs, faire hausser
ainsi le taux de l'intérêt (toujours au préjudice du
contribuable), mais, ce qu'il ne peut faire, c'est augmenter le nombre des
prêteurs et l'importance du total des prêts.
Qu'on ne m'impute point, cependant, une conclusion dont Dieu me
préserve. Je dis que la Loi ne doit point favoriser artificiellement
les emprunts; mais je ne dis pas qu'elle doive artificiellement les entraver.
S'il se trouve, dans notre régime hypothécaire ou ailleurs, des
obstacles à la diffusion et à l'application du crédit,
qu'on les fasse disparaître; rien de mieux, rien de plus juste. Mais
c'est là, avec la liberté, tout ce que doivent demander
à la Loi des Réformateurs dignes de ce nom.
Article
originellement publié par le Québéquois Libre ici
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