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Les Questions d'économie politique
et de droit public (1961) sont composées de deux volumes
d'essais et d'articles écrits entre 1845 et 1861. Ils couvrent des
sujets tels que la liberté d'expression, le libre-échange,
l'offre privée de sécurité, le droit de la guerre, et la
propriété intellectuelle.
Suite
de l’article précédent
Les
travaux qui forment la matière des deux volumes que nous publions
aujourd’hui ne sont qu’un développement de ces
idées.
Dans
la première partie (*l’équilibre du monde
économique*) nous nous sommes appliqué à mettre en
lumière la grande loi qui gouverne la production et la distribution de
la richesse; nous avons montré comment la production naît et se
développe d’une manière harmonique, à mesure
qu’elle est sollicitée par les besoins de la consommation, dans
l’ordre et dans la proportion de ces besoins, sans pouvoir les
dépasser ni demeurer en dessous, au moins d’une manière
permanente; comment encore, sous l’influence de la même loi
d’équilibre qui règle le développement de la
production, [xxv] la justice tend incessamment et d’elle-même
à s’établir dans la distribution des richesses; comment
les profits des différentes branches de l’industrie humaine et
les rémunérations de leurs agents productifs, travail, capital
et agents naturels appropriés, tendent, en vertu d’une force
irrésistible, à se mettre en équilibre, de
manière à attribuer à chacun la juste part qui lui
revient dans les résultats de la production.
Cette
loi d’équilibre, qui agit par le moyen des quantités et
des prix, et que nous avons pour cette raison désignée sous le
nom de *loi des quantités et des prix*, a pour condition la
liberté. Il faut que la production soit libre pour pouvoir se
développer toujours conformément aux besoins de la consommation
et dans la mesure de ces besoins; il faut de même qu’aucun
obstacle ne vienne entraver les mouvements ou l’échange des
produits et des agents productifs, ou interdire leur accès quand il
s’agit de capitaux immobiliers, pour que la distribution de la richesse
puisse s’opérer d’une manière conforme à la
justice. Toute restriction opposée à la liberté ou
à la propriété, n’est pas seulement inutile en ce
sens que la production et la distribution de la richesse tendent
d’elles-mêmes, par une impulsion naturelle, à
s’opérer de la manière la plus utile et la plus
équitable, elle est encore nuisible en ce sens qu’elle [xxvi]
empêche ou qu’elle trouble l’action du mécanisme
naturel qui fait graviter le monde vers l’abondance et la justice.
Cela
étant, en quoi doit consister l’œuvre des amis du
progrès? Elle doit consister uniquement à détruire les
entraves que des intérêts étroits et
égoïstes, des passions aveugles ou des préjugés
à courte vue ont opposés depuis des siècles à la
liberté et à la propriété. Restituer aux hommes
la liberté de travailler, de s’associer,
d’échanger, de prêter, de donner, la libre jouissance et
la libre disposition de leurs propriétés, en empêchant
simplement les uns d’empiéter sur la liberté et sur la
propriété des autres, et pour éviter d’attenter
à la liberté et à la propriété sous
prétexte de les garantir, en se bornant à réprimer les atteintes
qui y sont portées, voilà ce qu’il y a à faire
aujourd’hui, rien de moins, mais aussi rien de plus!
Pour
rendre aussi saisissable que possible cette démonstration capitale,
nous avons passé en revue les différentes branches de
l’activité humaine et nous avons examiné quelle influence
exercent sur elles les entraves, les restrictions et les charges de tous
genres dont on les a accablées, tantôt dans des intentions
simplement et naïvement spoliatrices, tantôt encore, et plus
souvent en vue de les protéger. Comme résultats de cet examen,
[xxvii] nous avons constaté que partout les restrictions ou les
interventions artificielles dans le domaine de la production et de la
distribution des richesses, ont ralenti l’une et faussé
l’autre, soit qu’il s’agisse de l’industrie agricole
ou manufacturière, soit qu’il s’agisse encore de
l’enseignement, des cultes et des arts, soit enfin même
qu’il s’agisse de cette industrie spéciale qui a pour
objet de procurer à toutes les autres branches de la production la
sécurité qui leur est indispensable. Nous sommes convaincu que
cette industrie, qui est la branche essentielle des attributions
gouvernementales, est destinée à passer, tôt ou tard, du
régime du monopole ou de la communauté forcée au
régime de la liberté pure et simple, et que tel sera le «
couronnement de l’édifice » du progrès politique et
économique. En un mot, nous croyons que tout ce qui est organisation
imposée, rapports forcés, doit faire place à
l’organisation volontaire, aux rapports libres.
Si
nous sommes dans le vrai sur ce point, si la liberté est
destinée à se substituer à la contrainte et au monopole
dans toutes les branches de l’activité humaine, on
conçoit que la Paix puisse s’établir d’une
manière permanente entre les différentes ramifications de la
grande famille humaine. La paix est, en effet, la conséquence
naturelle et nécessaire de la liberté. La liberté
commerciale, [xxviii] par exemple, rend sans objet les guerres entreprises
pour conquérir un marché puisqu’elle rend tous les
marchés accessibles à tous; les guerres religieuses n’ont
plus de motifs ou de prétextes lorsque chacun peut exercer, sans
entraves, le culte particulier dans lequel il a foi; les guerres politiques
enfin n’ont plus de raison d’être lorsque chacun,
individuellement, peut donner librement sa clientèle à
l’établissement dans lequel il a le plus de confiance pour
assurer sa liberté et garantir sa propriété. La paix
naît ainsi d’elle-même, non d’une organisation
artificielle, d’un système quelconque destiné à
assurer la paix perpétuelle, mais de l’élimination
successive des causes de guerre.
En
attendant toutefois que ces causes de conflagrations aient été
éliminées, on peut, en s’appuyant sur les vrais principes
du droit public, invoquer *le droit d’intervention* actuellement
méconnu par une réaction inévitable de l’opinion
contre l’abus qui en a été fait, pour empêcher la
guerre et les révolutions de troubler et de désoler le monde.
On peut encore diminuer les maux de la guerre en soustrayant, autant que
possible à ses atteintes, la propriété et la
liberté des particuliers. A l’époque où nous avons
abordé cette dernière question (au commencement de la guerre
d’Orient), la thèse que [xxix] nous soutenions paraissait
entachée d’utopie, et le *Journal des Débats* entre
autres se moquait agréablement des disciples du bon abbé de
Saint-Pierre, qui essayaient de prouver que le pillage, le viol et le
massacre ne sont pas des nécessités de la guerre. Mais,
bientôt après, le gouvernement des États-Unis, en
accordant son adhésion à cette prétendue utopie et en
proposant de la consacrer par l’accord des puissances, a donné
à réfléchir à nos adversaires, et si le respect
de la propriété et de la liberté des particuliers en
temps de guerre n’a pas passé encore complètement dans le
droit des gens, il a du moins gagné du terrain dans l’opinion
publique.
Nous
avons consacré notre dernière partie à l’examen et
à la démonstration du principe de la propriété
intellectuelle, question encore fort controversée parmi les
économistes eux-mêmes. Les uns refusent, comme on sait,
absolument, de reconnaître ce genre de propriété; les
autres, tout en admettant la propriété littéraire,
repoussent la propriété des inventions. A nos yeux, la
propriété intellectuelle, dans ses diverses applications, est
aussi légitime et aussi utile que la propriété
matérielle; elle sert à assurer une juste et nécessaire
rémunération à la catégorie la plus importante
des travaux de l’intelligence, à celle qui agit de la [xxx]
manière la plus directe pour améliorer le sort de
l’espèce humaine en agrandissant la sphère de la
civilisation.
En
résumé, les questions diverses qui se trouvent exposée
dans ces deux volumes gravitent autour d’une même idée,
d’un même principe, qu’elles servent à *illustrer*,
savoir que le monde économique obéit comme le monde physique
à une loi naturelle d’équilibre en vertu de laquelle la production
tend à s’organiser toujours de la manière la plus utile,
et la distribution des produits à s’opérer de la
manière la plus équitable; qu’il suffit en
conséquence d’assurer à chacun des membres de la
société le libre usage de son activité et la possession
des fruits de cette activité libre, pour arriver au *maximum* possible
de richesse et de justice.
Ainsi
donc, établir dans toutes les branches de l’activité
humaine la liberté, et garantir la propriété qui
n’en est que le corollaire; substituer les rapports libres aux rapports
forcés, voilà le but que doivent poursuivre les amis du
progrès.
Ce
but, ils doivent encore s’en tenir pour l’atteindre à *la
persuasion* et à *l’exemple*, comme aux moyens les plus
efficaces et les plus économiques, dans l’état actuel de
la civilisation, de réaliser le *progrès au meilleur
marché possible*. [xxxi]
Nous
ne nous dissimulons pas, au surplus, tout ce que les travaux que nous
réunissons aujourd’hui présentent d’incomplet et
d’insuffisant. Plusieurs démonstrations, et en particulier
celles qui concernent la liberté des cultes et la liberté de
gouvernement sont à peine ébauchées, d’autres
manquent tout à fait. Nous espérons toutefois que la grandeur
et l’harmonie du système dont nous avons esquissé les
principaux traits éclateront aux regards, malgré ces lacunes de
nos démonstrations, et nous nous croirons suffisamment récompensé de nos peines si nous sommes
parvenu à recruter quelques prosélytes de plus à la
cause à laquelle nous avons voué notre vie, et dont le *Credo*
peut se résumer en ces mots : *la Liberté et la Paix*.
FIN
A
lire pour approfondir :
Les
Soirées de la rue Saint Lazare
(édition numérique Institut Coppet)
L’article
Molinari par Damien Theillier,
dans le Dictionnaire
du libéralisme (Larousse)
Textes
de Molinari sur le site d’Hervé de Quengo
De la
production de sécurité (Article
d’Aurélien Biteau, Contrepoints)
Molinari, cet oublié
(Article de Ludovic Delory, Contrepoints)
La
bibliographie de Molinari sur le site de David Hart
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