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Changer de lunettes

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Published : December 22nd, 2010
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Category : Editorials

 

 

 

 

Nous allons devoir chausser de nouvelles lunettes. En France, dans ce pays qui semblait comme protégé de la crise relativement à d’autres, une nouvelle vérité petit à petit se fait jour. Morceau par morceau, une description de la société émerge, qui ne correspond pas avec celle qui était communément admise, au sein de laquelle un certain confort pouvait encore prévaloir. Comme si un miroir était brisé, qui reflétait une image fausse afin de justifier tant qu’il était possible un ordre des choses se voulant immuable.

Les alertes n’avaient pourtant pas manqué, depuis la reconnaissance par Jacques Chirac – le temps d’un discours – de la fracture sociale et la montée de la précarité, jusqu’à la poussée sécuritaire alimentée par des campagnes anxiogènes et l’ancrage d’un racisme banalisé. Mais l’on s’était tant bien que mal accommodé, comme si de rien n’était ou presque, de cette situation dégradée. Est ensuite arrivée la crise financière, lourde de menaces potentielles au regard du mal qui se répand progressivement dans toute l’Europe, là où il est le plus visible, mettant en évidence que les Français n’allaient tôt ou tard pas être épargnés. Et cela change tout.

Celle-ci a en effet un unique avantage, à côté de tant de désastres : elle dévoile au moins partiellement un monde dont l’opacité est la marque de fabrique, laissant à penser que beaucoup encore est caché. Elle fait taire – au moins provisoirement – les thuriféraires de ce que l’on a appelé l’ ultra-libéralisme, comme si le libéralisme ne suffisait pas et qu’il fallait en rajouter. Symboles d’une finance restée mystérieuse, mais dont il a été compris qu’elle était aux commandes, les banques sont désormais l’objet de toutes les suspicions. Mais le constat est douloureux, car cette révélation n’est accompagnée d’aucun remède.

Rendant public le rapport d’une commission parlementaire, deux députés Français, Henri Emmanuelli (PS) et Jean-François Mancel (UMP), évoquent un monde qui les dépassent – et tout gouvernement avec – en rappelant la taille du Forex, le marché monétaire mondial ainsi que l’encours des produits dérivés, dont le montant notionnel représente dix fois le PIB mondial. Les liquidités disponibles dans le monde – les capitaux flottants – progressant de 15% annuellement, quatre fois plus vite que le PIB.

On ne peut qu’être frappé, à les lire, par la disproportion flagrante qui existe entre cet impressionnant rappel et les mesures qu’ils préconisent, mettant en évidence les limites du pouvoir politique qu’ils déplorent eux-mêmes. Ils n’en énumèrent pas moins un ensemble de dispositions animé par les meilleures intentions.

« Il faut mettre fin à l’économie de casino », proclament-ils avec une conviction que l’on ne peut que saluer, préconisant des mesures dont il est déjà certain qu’elles ne seront pas prises. Conscients de ces limites extrêmes et de leur impuissance, ils concluent en préconisant d’« imaginer les outils qui permettront d’éviter une nouvelle débâcle financière et anticiper ses signes avant-coureurs… ». On ne saurait être plus optimiste.

Chaque jour ou presque apporte dans l’actualité son lot de révélations. De toutes celles qui nous ont été données à connaître ces dernières jours, lesquelles peut-on relever ?

Menant l’enquête à la suite d’un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, le Journal du Dimanche dressait la liste des entreprises du CAC 40 ne payant aucun impôt sur les bénéfices en France : Arcelor Mittal, Danone, Essilor, Saint-Gobain, Schneider, Suez Environnement, Essilor et Total.

Rappelant que l’Impôt sur les sociétés (IS) était en France de 33%, le Conseil a calculé que les entreprises du CAC 40 ne sont dans la pratique taxées qu’à hauteur de 8% en moyenne (22% pour les PME). On se rappelle à ce propos que Nicolas Sarkozy s’est à plusieurs reprises vivement élevé contre l’impôt irlandais sur les bénéfices, pour qu’il soit augmenté, car il n’est que de 12,5% …

En soulevant ce lièvre, le Conseil renvoie en particulier à l’évasion fiscale des grandes entreprises grâce aux prix de transfert, ces facturations internes aux groupes transnationaux qui leur permettent d’évacuer leurs bénéfices vers les pays les plus fiscalement accueillants où ils disposent de filiales. Ce qui, une fois encore, renvoie au malheureux propos de Nicolas Sarkozy, selon qui « Les paradis fiscaux, c’est fini ! ».

S’agissant des recettes fiscales de l’Etat Français et de la réduction de la dette publique, un rapprochement s’impose avec le niveau que vient d’atteindre la prime d’assurance contre le non remboursement de celle-ci. Les CDS (Credit Default Swaps) correspondants s’affichaient hier à 106,83 points de base, ce qui signifie que la prime pour garantir 10 millions de dollars à cinq ans est de 106.830 dollars annuel. On sait que de telle augmentations sont toujours un signe prémonitoire de hausse sur le marché obligataire, et en tout cas le résultat de mouvements financiers spéculatifs. Quand il faudra d’urgence adopter un plan de diminution du déficit, à la britannique ou à l’espagnole, les grandes entreprises du CAC 40 compteront-elles au nombre des bons Français ?

De l’autre côté de l’échelle, c’est à dire en bas, les réseaux de discounters franchisés (les solderies) continuent de se développer. Parallèlement, leur clientèle s’élargit à des classes plus aisées, celle des cadres ayant doublé en une année pour s’établir à 8% de l’ensemble de celle-ci, selon une enquête de l’un de ces réseaux, Gifi.

Le concept en est simple : plus d’un produit sur deux est vendu moins de dix euros, les marges très faibles compensées par les volumes et des frais généraux tirés au maximum, l’approvisionnement se faisant grâce aux invendus et surtout de gros arrivages en provenance des pays émergents et en voie de développement. On observe dans ce secteur commercial, pour lequel peu de statistiques sont disponibles, de vieux comportements oubliés : le pic des achats correspond à la fin du mois et à la paie, puis ceux-ci décroissent jusqu’au mois suivant.

Cet instantané de la France pris au fil de l’actualité ne serait pas complet s’il n’était également fait mention d’un épisode illustrant on ne peut mieux la parfaite transparence des banques Françaises. BNP Paribas, la mégabanque bien connue, a décidé d’apporter à sa filiale ukrainienne UkrSibbank 160 millions de dollars, aux côtés de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), qui va cotiser à hauteur de 222 millions de dollars.

Bien que la banque ukrainienne soit en pleine déconfiture, BNP Paribas a récusé l’idée d’un quelconque sauvetage pour s’en tenir à un anodin approfondissement de son partenariat avec la Berd, qui ne trompe personne, selon La Tribune qui interrogeait sa porte-parole. Le journal s’interrogeant à juste titre sur cet écart de la Berd, dont la mission « d’investir dans les entreprises pour développer les économies d’Europe de l’Est, non de secourir des entreprises, comme le FMI le fait pour les Etats ». Pensant peut-être trouver un commencement d’explication dans la présence à l’état-major de BNP Paribas, comme conseiller du président, d’un ancien président de la Berd. Une assertion vigoureusement démentie, Monsieur Jean Lemierre n’ayant pas quitté son bureau une minute ce jour là, avec ses deux assistantes comme témoin.

 

Billet rédigé par François Leclerc

 

Paul Jorion

pauljorion.com

 

 

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

 

 

Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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