Une
fois encore, un de ces bras de fer entre dirigeants européens se
terminant par un compromis boiteux se profile. A propos de l’Espagne,
bien entendu. Depuis plusieurs semaines couvait lentement à Bruxelles
un plan de soutien à ses banques, avec pour objectif de ne pas engager
la procédure lourde et politiquement difficile à assumer
d’un nouveau plan de sauvetage. Car ce qui fait tache en
Espagne, c’est que les faits ne sont pas conformes à une
théorie qu’il n’est pas question de changer : la dette qui
menace n’y est pas publique mais privée.
Un
écueil identifié était sur ce chemin : les
prérogatives du fonds de stabilité économique (le FESF)
ne lui permettent d’intervenir que via les États, en
assortissant ses prêts de strictes conditionnalités. Or,
le récif est droit devant. Devant l’imminence du
problème, le gouvernement allemand a fait savoir qu’il est hors
de question de dévier de la route et de soulager l’État
espagnol de ce nouveau fardeau allant alourdir sa dette publique, alors
qu’il est déjà incapable de réduire son
déficit budgétaire.
Impensable
de remettre en cause par un biais ou par un autre une discipline
budgétaire conçue comme l’alpha et l’oméga
de toute politique économique ! Il y a encore peu, il était
même question d’en faire graver les principes dans la
Constitution des États de l’Union européenne. En
conséquence, on enregistre un durcissement alors qu’une solution
en souplesse était largement esquissée, dont l’adoption
était réclamée par le FMI et la BCE… Cette
dernière n’a en effet pas l’intention d’engager un
troisième round en injectant des liquidités dans le
système bancaire à nouveau massivement. Mais comment
l’éviter, si les États n’interviennent pas ?
Comment
expliquer une telle intransigeance allemande ? A Berlin, la crainte est grande
de voir remise en question par un biais ou par un autre une stratégie
difficilement imposée. Aucune incitation à relâcher
l’effort budgétaire, aucune incitation au « laxisme
» pour lâcher le mot, ne doit être acceptée, quitte
à assigner aux gouvernements des missions impossibles et à
créer des situations sociales intenables.
D’autant
qu’une offensive en ce sens est en cours, masquée par la
discussion sur la croissance qui vient de démarrer, celle-ci promise
à faire l’objet d’un raccommodage de façade ;
Angela Merkel vient d’en accepter le
principe, reste à en trouver les modalités. A toutes fins
utiles, dans le cadre de la préparation de la réunion des 28 et
29 juin prochains des chefs d’État et de gouvernement, la commission
a laissé fuiter un projet de plan au financement mixte
privé-public et mobilisant 200 milliards d’euros. Toujours la
même manie de mettre en avant des chiffres ronflants qui la plupart du
temps se dégonflent ensuite ! Quand on en arrive au montage financier,
les choses sont assez floues : il serait question d’utiliser 12
milliards d’euros de fonds du Fonds de stabilité européen (FESF) et de s’appuyer sur la Banque
européenne d’investissement (BEI) pour aller emprunter sur le
marché. Quel serait l’usage des fonds ? Comme d’habitude :
infrastructures, secteur des énergies renouvelables et des
technologies de pointe…
On
va racler les fonds de tiroir pour financer des projets
d’investissements qui seront ensuite sélectionnés pour
les besoins de la cause, tout en esquivant l’émission par trop
symbolique de « project bonds ». Car ce
ne sont rien d’autre que des euro-obligations, même si elles sont
bridées et destinées au seul financement de programmes
d’investissement stratégiques et non de la dette
souveraine. En tout état de cause, combien d’épisodes
à rebondissements vont-ils être nécessaires pour arriver
à un accord européen sur un quelconque plan, avec quels
résultats et pour quand ?
Dans
les coulisses, Mario Monti est à la manœuvre avec son vieux
projet consistant à soustraire du calcul des déficits publics
le montant des investissements de l’État, afin de le distinguer
du financement de son fonctionnement. Avec comme effet de soulager la peine
des États et de leur permettre de s’engager dans une stratégie
de croissance. Tout en maintenant dans son esprit l’application
d’un programme de réformes structurelles
d’inspiration libérale très prononcée. Somme
toute, selon Mario Monti, il y aurait de bonnes et de mauvaises
dépenses budgétaires ; pas question d’échapper
à la discipline budgétaire mais seulement de rendre la dette
soutenable… Mais comment parvenir à réunir un consensus
sur une telle remise en cause de l’orthodoxie budgétaire vue de
Berlin ?
Une
troisième brèche est en train de s’ouvrir. On
réclame des comptes afin de comprendre où sont passés
les 1.000 milliards d’euros prêtés par la BCE aux banques,
puisqu’ils n’ont pas atterri comme annoncé dans
l’économie. On relève qu’aucun engagement ne leur a
été demandé, soulignant le contraste avec les conditions
que les États doivent accepter.
Les
députés européens s’interrogent donc et
l’Autorité des banques européennes (EBA) a lancé
pour enquêter ses meilleurs limiers sur une question, subsidiaire mais
tournée vers l’avenir : comment les banques vont-elles
désormais se refinancer, si la BCE ne remet pas le couvert ?
L’EBA
est manifestement inquiète. Non pas tant en raison des restrictions du
crédit aux entreprises, justifié par les banques par la
faiblesse de la demande, mais de peur qu’elles soient incapables de
renforcer leurs fonds propres comme assigné. Sous-entendu, afin de
rétablir un semblant de solvabilité et de permettre ainsi le
redémarrage du marché interbancaire, dont beaucoup
d’entre elles continuent d’être coupées.
Mettant
en évidence le poids de la dette bancaire, le recentrage qui est en
train de s’opérer n’est pas de nature à conforter
une stratégie orientée toute entière vers la
résorption de la dette publique. La publication des résultats
trimestriels des banques va rendre public qu’ils s’effritent
encore. En Bourse, les cours des valeurs financières ont
recommencé à s’effondrer (environ 20% ces
dernières semaines), et le coût des Credit-Default
Swaps (CDS) des banques est fortement à la hausse.
On
est toujours dans l’attente d’une nouvelle dégradation de
la note des grandes banques par Moody’s. Les programmes de cession
d’actif destinés à réduire les bilans et
améliorer le ratio d’engagement – substitut au
renforcement des fonds propres – traînent en longueur quand ils
ne marquent pas le pas. Enfin, fin juin s’approche et le respect du
ratio de fonds propres durs fixé par l’EBA apparaît
pour beaucoup de banques comme un objectif bien lointain. Autant de signaux
qui s’accumulent.
Tenant
jeudi prochain sa réunion à Barcelone sous haute protection
policière, le conseil des gouverneurs de la BCE est pris en tenailles,
voué dans l’immédiat à cultiver
l’immobilisme et à renvoyer la balle aux États. Or
ceux-ci ont déjà fort à faire et leurs
représentants cherchent à soulager la pression qu’ils
subissent.
Quelqu’un
pourrait-il indiquer la porte de sortie ?
Billet rédigé par
François Leclerc
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