Des
œillères ou un farouche refus d’admettre
l’évidence sont indispensables pour continuer à ne pas
saisir dans toute sa dimension la crise de la dette européenne, et
prétendre en exclure la composante privée qui est portée
par le système bancaire. De nombreux analystes et journalistes
financiers – généralement anglo-saxons – ne font
pas preuve de la même cécité et considèrent que
des défauts sur la dette publique sont à terme
inévitables, expliquant qu’il est indispensable pour régler
la crise globale de s’attaquer au problème que
représentent les banques, ce sommet de l’iceberg du
système financier.
On
avait déjà remarqué comment le projet européen de
transposition de la réglementation du Comité de Bâle,
destinée à renforcer les fonds propres des banques, faisait
preuve d’une incontestable souplesse sur le point très sensible
des obligations convertibles, dont les bilans des banques européennes
sont farcis. Leur permettant de continuer à utiliser ce moyen commode
pour durcir leur capital en émettant tout simplement de la
dette (convertissable dans certaines conditions, et c’est
là tout le problème) !
Depuis,
le journal économique allemand Handelsblatt a pu relever un autre
glissement, la Commission prévoyant d’utiliser le mode de la directive,
comme c’est actuellement le cas, au lieu de celui de la
réglementation, le premier donnant plus de latitude à chaque
pays membre pour adapter les règles communautaires, comme
l’expérience l’a amplement montré.
Michel
Barnier, le commissaire européen chargé des services
financiers, a aussitôt réaffirmé devant l’outrage
que « l’Union européenne mettra en oeuvre comme elle l’a toujours fait, et a souvent
été la seule à le faire, l’accord de Bâle,
en respectant pleinement son niveau d’ambition et son
équilibre ». Des termes choisis qui ne sont pas
convaincants, Michel Barnier se prévalant du juste milieu et se
déclarant pas impressionné par les campagnes de lobbying de
tous bords l’enjoignant à assouplir ou à durcir les
règles.
Au
passage, il a lancé une pierre dans le jardin des Américains,
dont les banques n’ont toujours pas mis en vigueur
l’intégralité des mesures prévues par…
Bâle II. Des deux côtés de l’Atlantique, et parfois
de la Manche, c’est à qui accusera l’autre de fausser la
libre et saine concurrence en bénéficiant de conditions plus
favorables. Ce qui ne manque pas de rappeler l’histoire de cette chaise
dont les quatre pieds ne sont jamais de la même hauteur à force
d’être égalisés et dont le siège finit au
ras du sol.
Nouvel
épisode de cette saga sans fin, l’Autorité bancaire
européenne (EBA) vient de reporter la publication des résultats
des stress tests de 91 banques européennes représentant 62 %
des actifs bancaires européens, initialement prévue courant
juin. Selon le superviseur européen, dont c’est l’examen
de passage, de nouvelles données ont été
demandées aux banques « afin de corriger les
éventuelles incohérences ou des hypothèses
irréalistes » que ses experts ont décelé.
Ce que le Financial Times traduit aimablement par « rosy assumptions »
(littéralement, hypothèses roses).
Rappelons
que les tests sont menés par les banques elles-mêmes et que
l’hypothèse de défaut sur la dette souveraine a
été écartée. Seules les expositions devraient
être publiées, en application de l’un de ces compromis
boiteux dont les institutions européennes ont le secret. Et que seules
des recommandations seront ensuite formulées, dont les
régulateurs nationaux seront chargés de la mise en œuvre.
Sur
cette lancée, comment ne pas faire le point sur l’interminable
bataille de chiffonniers qui préside à la mise au point du plan
de sauvetage bis de la Grèce ? La manière de presser encore
davantage le citron du pays fait peu débat, sauf avec les Grecs, ce
qui n’est pas le cas des modalités de la participation au plan
des créanciers privés, c’est à dire des banques
européennes. Un point sur lequel les Allemands et la BCE, soutenus par
les Français, étaient au départ radicalement
opposés.
Tout
peut encore changer d’ici le sommet européen de fin juin, les
réunions et les rencontres se succédant à tous les
niveaux et sans discontinuer. Mais la brillante idée qui semble
émerger consisterait à demander à ces créanciers
de renouveler leurs engagements financiers en achetant à nouveau des
obligations grecques quand celles qu’ils possèdent viendront
à maturité, mais en contre-partie de
garanties béton. En appuyant cette dette sur des collatéraux
donnant toute garantie, comme des actifs du pays. Les grosses têtes
s’essayent actuellement à mettre en musique ce schéma,
qui pose plus de problèmes qu’il n’y parait… A
l’arrivée, il pourrait être affiché en
façade que le fardeau est partagé, but de
l’opération.
A
peine un trou est-il bouché, qu’un autre apparaît. Une
compétition d’un nouveau genre est engagée en Europe, qui
pourrait s’appeler « A qui le tour ? ».
L’Espagne semblait bien partie pour succéder au trio
formé par la Grèce, l’Irlande et le Portugal – la
Belgique et l’Italie dans le rôle des challengers – mais
l’Irlande semble s’être échappée,
confrontée au trou abyssal de ses banques. Une décote de 90 % a
finalement été infligée aux détenteurs des
obligations juniors des principales banques, mais on est très
loin du compte. L’étape suivante pourrait atteindre les
obligations seniors, actuellement sanctuarisées et
bénéficiant de toutes les attentions de la BCE qui veille au
grain, comme elle vient de le montrer sur cette même question dans le
cas de la Grèce.
Les
besoins de recapitalisation des banques irlandaises ont été
évalués à 70 milliards d’euros par la Banque
d’Irlande, le montant total des obligations juniors émises
étant de 7 milliards d’euros, soit un dixième. 16
milliards d’euros d’obligations seniors ont été par
ailleurs émises. Tout est dit. Les 85 milliards du plan de
sauvetage n’y suffiront pas, une rallonge sera nécessaire,
ainsi qu’un rééchelonnement.
La
Grèce aura montré le chemin, les mêmes recettes pourront
être appliquées… Peu importe, tant que les banques
européennes restent épargnées.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ » qui
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