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Une affiche attirait récemment mon attention dans le
métro de Montréal, celle de la guignolée de la
Société St-Vincent-de-Paul. Pour nos amis européens, la
guignolée est une tradition québécoise de la
période qui précède le temps des fêtes où
l'on recueille de l'argent et de la nourriture pour les pauvres.
Tradition excellente il va sans dire. Il est certes immoral de
redistribuer la richesse par des moyens coercitifs, c'est-à-dire avec
le bras armé de l'État (voir REDISTRIBUER LA RICHESSE EST
IMMORAL, le QL, no
80). Mais les initiatives privées, fondées sur l'action
bénévole et les dons de gens qui ont le choix de faire
quelque chose pour autrui et choisissent volontairement de le faire,
ne peuvent qu'obtenir l'approbation de ceux qui, comme nous, défendent
la liberté et la responsabilité individuelles.
Une tradition corrompue
Les guignolées d'aujourd'hui n'ont toutefois plus la
même nature modeste et locale que celles de l'ancien temps.
Après être un peu tombée en désuétude, la
tradition a été reprise il y a quelques années par des
stations de télévision, des journaux et des administrations
municipales. Les guignolées sont devenues des événements
médiatisés où l'on voit des journalistes, des vedettes
et des politiciens montrer à quel point ils ont un grand coeur et mousser leur carrière en faisant la promotion
de la solidarité (charité n'est plus un mot à la mode).
Ce sont les mêmes personnalités qui passent le reste de
l'année à faire l'apologie de l'étatisme et du
socialisme, ou à les mettre en pratique s'ils ont du pouvoir.
Pendant
ces guignolées, on sollicite évidemment des gens qui ont le
choix de donner ou non. Mais en fin de compte, ce sont moins les dons
ramassés qui importent que le spectacle lui-même et le message
qu'on cherche à faire passer, qui vise à promouvoir non pas le
don volontaire et la charité privée, mais l'égalitarisme
et le collectivisme.
Sur
cette affiche, c'est le slogan qui m'a fait tiquer: « Parce
que la pauvreté n'est pas un choix ». De prime
abord, cela semble évident. Personne ne se dit à un certain
moment: « Je veux devenir pauvre, je vais faire en sorte
d'être pauvre. » Dans ce sens-là, personne ne
choisit effectivement la pauvreté.
Sauf
qu'il y a un message sous-jacent qui est, lui, moins évident: personne
ne fait rien pour se retrouver dans la pauvreté, personne n'est responsable
du fait qu'il est pauvre. La pauvreté serait donc quelque chose
d'incontrôlable, on naît et on grandit dans un milieu pauvre et
ça nous suit tout le temps, ou encore ça nous tombe dessus sans
qu'on ne s'y attende, ça peut arriver à tout le monde. Le truc
de marketing est bien sûr de jouer sur l'ambiguïté entre
les deux interprétations et d'amener les gens à accepter
inconsciemment la seconde après avoir constaté
l'évidence de la première. C'est justement parce que la
très grande majorité des gens qui ont une tête sur les
épaules savent bien qu'on est au moins en partie responsable de ce qui
nous arrive que ce message cherche à les manipuler.
Riche par hasard
Essayons de voir le problème sous un autre angle.
Imaginez une affiche qui nous montre une famille de la classe moyenne devant
un beau bungalow avec une voiture récente dans l'entrée de
cour. Papa, maman, enfants bien habillés et qui semblent
épanouis. Bref, tout le contraire de la monoparentale paumée
qui vit dans un petit appartement avec son ado mal nourri, décrocheur
et affublé de trois anneaux dans le nez. L'affiche, qui fait la
promotion de la semaine de travail de 16 heures pour une coalition de syndicats
et de groupes sociaux, explique qu'il ne faut pas s'en faire avec le
développement économique, la productivité et toutes ces
notions ennuyantes associées au néolibéralisme. De toute
façon, ce n'est pas en travaillant plus qu'on s'enrichit. Comme le dit
son slogan: « La richesse leur est tombée dessus!
»
Absurde, n'est-ce-pas? Il est vrai qu'il existe une petite minorité de
gens qui gagnent à la loterie, héritent d'une fortune ou, par
des concours de circonstances absolument extraordinaires, s'enrichissent et
réussissent leur vie pratiquement sans faire d'effort. La très
grande majorité des gens qui sont prospères et qui
mènent une vie heureuse et épanouie sont toutefois responsables
de leur situation. Ils ont étudié, travaillé fort,
épargné – ou en tout cas évité de
s'endetter de façon irresponsable –, ont fait des choix dans
leur vie personnelle qui ont favorisé la stabilité plutôt
que l'incertitude et les bouleversements constants.
Le
slogan de la guignolée de la St-Vincent-de-Paul est pourtant tout
aussi absurde. Personne ne conteste le fait que les pauvres ne choisissent
pas délibérément de devenir pauvres. Et oui, il y a des
pauvres qui ont peut-être fait tout ce qu'il fallait pour mener une vie
normale, mais qui ont eu malchance sur malchance, maladie, accident, et qui
ont constamment été repoussés dans le trou dont ils
essayaient de se sortir. Ces cas sont réellement des tragédies
humaines et ces personnes sont les seules de qui on peut vraiment dire qu'elles
ne sont pas responsables de leur condition malheureuse.
Mais de la même façon qu'on ne s'enrichit pas par
hasard, la très grande majorité des pauvres se retrouvent dans
la pauvreté pour des raisons bien précises, dont ils sont
responsables. Ils ont décroché et n'ont jamais repris leurs
études; ils n'ont jamais développé d'éthique du
travail et s'attendent à ce qu'on leur donne tout cru dans le bec; ils
ont voulu vivre au-dessus de leurs moyens et se sont endettés; ils
n'ont pas fait d'effort pour s'en sortir à moyen ou long terme,
cherchant toujours la solution magique à court terme; ils ont fait des
enfants alors qu'ils étaient encore adolescents, n'ont jamais pu
s'engager dans une vie de couple stable; ils prennent des décisions
sur un coup de tête et sont incapables de prendre un engagement
à long terme.
On peut
bien invoquer toutes les raisons possibles et imaginables pour expliquer
pourquoi quelqu'un se retrouve dans une telle situation et fait preuve d'une
telle attitude: milieu pauvre, enfance malheureuse, violence familiale,
mauvaise éducation, etc. Oui, tout le monde ne part pas avec les
mêmes chances dans la vie, c'est une réalité
incontournable. Mais les êtres humains peuvent changer, peuvent
s'adapter. Dans une société riche comme la nôtre,
lorsqu'on est sain de corps et d'esprit, et malgré tous les obstacles
qui peuvent exister, si on reste pauvre pendant des décennies, c'est
qu'on fait le choix de ne pas se sortir de la pauvreté.
Ça se passe dans la tête
La pauvreté est d'abord un phénomène
psychologique. Pendant plusieurs années, j'ai eu comme jeune adulte
des revenus qui me plaçaient dans la catégorie officielle de «
pauvre ». Dans mon cas, c'était effectivement un choix
conscient, je travaillais à temps partiel pour pouvoir faire autre
chose. Je ne me suis pourtant jamais senti pauvre. J'ai voyagé,
étudié, j'ai écrit un livre, je me suis impliqué
en politique et dans diverses activités, j'ai continué à
investir dans mon avenir de diverses façons au lieu de me morfondre
sur mes maigres revenus. Je savais que j'en recueillerais un jour les
dividendes. Pendant ce temps, d'autres qui vivaient dans les mêmes
conditions se considéraient rejetés de la société
et perdaient leur temps à regarder la télévision en attendant
les chèques.
L'industrie de la pauvreté a cependant tout intérêt
à nous faire croire qu'il y a des millions de pauvres autour de nous.
On nous répète constamment que la pauvreté
s'étend « même dans les quartiers favorisés
», que de plus en plus de gens ont recours aux banques alimentaires.
À entendre le lobby « antipauvreté
», c'est pratiquement la moitié de la population qui a
besoin d'être entretenue par l'autre moitié. La
réalité est plutôt que de plus en plus de gens qui vivent
dans un confort relatif se mettent dans la tête qu'ils sont pauvres
parce qu'ils ont moins que leurs voisins et qu'il est devenu acceptable
– et même à la mode dans certains milieux – de se
dire pauvre. La plupart des pauvres le sont de façon temporaire. Les
étudiants pauvres ne sont aucunement à plaindre, ils
investissent dans leur avenir et auront des salaires intéressants dans
quelques années. D'autres pauvres le sont pendant quelques mois ou
années, après une perte d'emploi ou une
séparation.
Selon
la définition (généreuse et pas très logique) de
Statistique Canada, environ 13% de la population canadienne peut à un
moment ou un autre être considérée comme « à
faible revenu ». Toutefois, il existe une grande
mobilité sociale au Canada et les gens ne restent en
général pas pauvres bien longtemps. Si l'on observe la
situation sur une période de six années (1993-98), ce sont
seulement 3,3% des Canadiens qui sont restés pauvres durant toute
cette période. En fait, de 50 à 60% des gens qui ont connu
une période de faible revenu pendant une année n'étaient
plus dans cette situation l'année suivante (voir LA
PAUVRETÉ N'EST PAS UNE CONDITION PERMANENTE, une étude de
l'Institut économique de Montréal).
Bref,
la plupart des pauvres ne le sont pas vraiment ou ont en fait tous les moyens
à leur disposition pour s'en sortir. S'ils ne le font pas, c'est qu'il ont choisi d'une manière ou d'une autre de se
contenter de leur sort. Il faut arrêter de leur dire qu'ils sont des victimes,
qu'ils ne sont pas responsables de ce qui leur arrive, qu'il n'y a rien
à faire à part les entretenir. Il faut arrêter de «
respecter leurs choix », leurs attitudes, les
valeurs mauvaises et néfastes qui les ont conduits dans la situation
précaire où ils sont. Il n'y a rien de respectable dans le
parasitisme.
Valeurs bourgeoises
Il y a toujours eu deux interprétations
principales des causes de la pauvreté. D'un côté, les
socialistes et autres gauchistes nous disent que les individus ne sont pas
responsables de leur sort, que ce sont les riches qui les exploitent, que le «
système » est responsable et qu'il faut le changer. De
l'autre, les libéraux affirment que dans une économie libre
(même relativement libre comme la nôtre), c'est l'effort, le bon
jugement, la prudence et la persévérance des individus, bref,
la pratique des bonnes vieilles valeurs bourgeoises, qui déterminent
en grande partie leur sort.
Le
slogan de la Société St-Vincent-de-Paul n'est pas
formulé aussi crûment que celui des mouvements
marxistes-léninistes des années 1970 (« Faisons
payer les riches! »), mais il véhicule
fondamentalement la même idée et invite à adopter les
mêmes solutions. Et pourtant, le seul remède à la
pauvreté – la seule raison pour laquelle il y a moins de pauvres
en Occident qu'ailleurs dans le monde – ce n'est pas la redistribution
de la richesse, c'est le capitalisme. Plus nous aurons de liberté, de
responsabilité individuelle et de libre marché, moins il y aura
de pauvres.
En fin
de compte, faire un don lors de ces guignolées, c'est appuyer les
campagnes d'autopromotion des guignols médiatiques, artistiques et
politiques et participer à la propagation de la propagande socialiste.
Ces guignolées ne contribuent aucunement à la réduction
de la pauvreté, elles se servent de la rhétorique antipauvreté pour faire avancer l'idéologie
socialiste. Elles mériteront nos contributions lorsqu'elles renoueront
avec leur véritable tradition et s'occuperont des vrais
pauvres.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
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