En septembre 2014, c’était l’effervescence en Socialie : tout le petit monde s’agitait à la découverte d’un paquet de propositions révolutionnaires émises par un MEDEF qui sortait son gros bazooka pour dynamiter le code du travail. SMIC, répartition du temps de travail, retour à des discussions employeur/salarié moins encombrées de formalisme, tous les ingrédients étaient réunis pour déclencher une véritable tempête chez les syndicats de salariés et au sein d’un gouvernement dont la doctrine n’a jamais su s’accommoder de la notion d’entrepreneur. Heureusement, ces propositions ne furent évidemment suivies d’aucune mise en pratique et la tension redescendit gentiment.
C’est donc avec une relative surprise qu’on apprend, un an tout juste après ce premier ballon d’essai patronal, que le gouvernement tendrait à présent une oreille attentive à une charrette de propositions toutes aussi révolutionnaires du célèbre Think-Tank Terra-Nova.
Terra Nova (avec Nova parce que c’est comme les étoiles du même nom, à savoir aveuglant et particulièrement destructeur, et Terra, parce que la « terra ne ment pas » je suppose), c’est cette association socialiste lucrative sans but pratique qui pond, de temps en temps, l’une ou l’autre étude richement médiatisée pour prouver que, par exemple, l’immobilier mérite d’être réformé à coup de trucs innovants comme des taxes et des contraintes supplémentaires ; c’est de ce Think-Tank cet aquarium à penseurs que sont régulièrement issues les subtiles recommandations économiques d’augmenter les dépenses et les taxations tous azimuts pour justifier la politique keynésienne ou carrément foutraque de l’actuel gouvernement. Bref, si Terra Nova était dans la Formule 1, ce serait la seule équipe à tout miser sur un tricycle à turbo.
On comprendra donc que c’est avec la plus grande circonspection qu’on devra accueillir leurs nouvelles idées concernant le code du travail. Utilisant sans doute la préparation psychologique du terreau socialiste par le travail de Robert Badinter et du professeur d’université en droit du travail Antoine Lyon-Caen, qui remettaient ouvertement en cause un droit du travail devenu illisible et proposaient même de le réformer en profondeur, le Think Tank s’est donc récemment fendu d’un rapport rédigé par Gilbert Cette, un économiste de gauche (comme si, en France, il y en avait encore de droite) et théoricien de la réduction du temps de travail, et de Me Barthélémy, spécialiste du droit social.
Première surprise (modérée) : le nouveau duo confirme qu’effectivement, le droit du travail français est un tantinet complexe et que cette complexité pourrait bien avoir des effets de bords négatifs sur le plan économique. Seconde surprise, plus fondamentale celle-ci : au lieu de préconiser une bonne volée de taxes, comme à l’habitude du Think Tank et des socialistes en général, nos deux rapporteurs tentent de promouvoir « autant que possible » la négociation collective et l’accord entre partenaires sociaux, c’est-à-dire de faire jouer un principe proche de la subsidiarité, qui veut que ce soit les acteurs les plus proches du problème qui le traitent, ce qui revient en substance à placer le code du travail comme norme par défaut, aisément remplaçable lorsqu’il le faut au niveau local entre adultes consentants. Autrement dit, on fait passer le droit conventionnel avant le droit règlementaire.
Dans cette vision franchement stupéfiante du travail en France, les partenaires sociaux, dans chaque entreprise ou chaque branche de métier, seraient considérés comme des gens normaux, pourvus d’un cerveau pas complètement spongieux, avec une responsabilité d’adultes consentants pas totalement annihilée et auraient donc toute latitude, via un accord collectif, de déroger à la loi et substituer les normes conventionnelles aux normes réglementaires, d’adapter les normes du code du travail (seuils sociaux, durée du travail, niveau des rémunérations) aux besoins locaux.
Alors oui, sur le papier, c’est carrément libéral.
Ça l’est même tellement que ça rejoint les travaux d’un autre think-tank, nettement moins à gauche que le Terra Nova en question, et qui aboutit globalement aux mêmes conclusions : l’Institut Montaigne, dans son étude « Sauver le dialogue social : priorité à la négociation d’entreprise », dénonce « la construction législative, jurisprudentielle et doctrinale du droit du travail (…) historiquement datée » (ce qui est pudiquement dit pour un code du travail asphyxiant écrit par des scribouillards qui n’ont, pour leur écrasante majorité, jamais été confronté au travail dans le privé), préconise lui aussi que les accords au niveau des entreprises ou des branche priment sur le Code du travail, ceci permettant de redonner un peu de marges de manœuvre et de performance au modèle actuel.
C’est même si libéral que la plupart des organes médiatiques, des syndicats et des politiciens n’ont pour le moment pas encore réagi devant ces éléments, captivés qu’ils étaient par d’autres sujets, plus graves ou plus cyniquement porteurs pour leurs petites affaires. Il est à noter qu’a contrario, tout comme le peuple a largement démontré à plusieurs reprises être bien plus souple que ses élites en matière de jour hebdomadaire chômé, un récent sondage montre que près des trois quarts des Français sont prêts à abandonner les 35 heures.
Devant ce genre de propositions, on comprend dès lors les petits pas feutrés et aussi discrets que possible de l’actuel gouvernement, franchement peu populaire, n’ayant finalement aucun cap (si ce n’est celui du changement, un peu mince pour faire une belle route décidée) et ayant abandonné toutes convictions quelque part dans une déserte campagne française il y a plusieurs mois de cela. Mais là où l’affaire prend un tour vraiment comique, c’est que ces propositions révolutionnaires seront présentées et discutées avec exactement la même démarche que celle qui présida pour la belle et grande réforme Macron.
En effet, dès le départ, la réforme du droit du travail se place avec un handicap de taille, certainement connu et déjà pris en compte par l’équipe en place : un accord de branche ou au sein d’une entreprise impose une forte syndicalisation des salariés, et, d’une façon ou d’une autre, que ces syndicats ne s’opposent pas stérilement à ces changements. Si, d’emblée, cette absence d’opposition paraît particulièrement difficile à obtenir, l’augmentation de la syndicalisation semble, elle, totalement inatteignable.
En outre, la moindre négociation concernant le droit du travail devra se faire en incluant le Ministère du Chômage Travail dont le ministre vient tout juste d’être renouvelé. Chouette, d’âpres dialogues, du compromis taillé au cordeau, de la réforme qui roxxe du chaton mignon, pas de doute, Myriam El Khomeri a tout ce qu’il faut pour tripoter le succès fiévreusement : elle s’y engage même et promet de mettre les doigts dans le droit !
Autrement dit, rassurez-vous : tout comme les propositions initiales de Macron furent copieusement rabotées pour n’être plus qu’une énième couche de législation dans un maquis franco-français de règlements touffus, on peut déjà parier que la réforme du droit du travail dont il est question fera le même trajet ridicule : celui d’une baudruche pleine d’air chaud, brutalement ouverte en plein air et dont le bruit de dégonflement, évoquant celui d’un pet gras, s’ajoutera à celui des autres « réformes » d’un quinquennat vide de sens.
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