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1. La
religion et la morale sociale
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Comme philosophie du monde, et non pas seulement comme Église, la
religion est un produit de la coopération sociale des hommes au
même titre que toute autre manifestation de la vie spirituelle. Notre
pensée ne se présente pas comme un fait individuel,
indépendant des relations et des traditions sociales; du seul fait
qu'elle a pour cadre les méthodes de pensée qui se sont
formées au cours des siècles par la collaboration de foules
innombrables, méthodes dont nous ne pouvons bénéficier
que comme membres de la société, notre pensée a un
caractère social. De même, on ne peut se représenter la
religion comme un phénomène isolé. Même le mystique
qui, dans les transes de l'extase, oublie le monde entier et communie avec
Dieu, n'est pas parvenu seul à sa religion. Les formes de
pensée qui l'y ont amené ne sont pas sa création
personnelle; elles appartiennent à la société. Un Kaspar
Hauser ne peut avoir une vie religieuse sans une aide
extérieure. La religion elle aussi est un produit de l'histoire et
elle participe à l'évolution continuelle de la
société.
Mais la
religion est encore un fait social en ce sens qu'elle considère les
rapports sociaux sous un angle déterminé et qu'elle fixe des
règles à l'action de l'homme en société. Elle ne
peut s'abstenir de prendre position dans les questions de morale sociale.
Aucune religion, soucieuse de donner aux croyants une réponse aux
énigmes que pose la vie et de lui apporter les consolations dont il a
le plus besoin, ne peut se contenter de donner une interprétation des
rapports de l'homme avec la nature, le devenir et la mort. Si elle
néglige de porter son attention sur les rapports des hommes entre eux,
elle est incapable de formuler des règles pour la vie terrestre et
elle abandonne le croyant à lui-même lorsqu'il se met à
réfléchir à l'imperfection de la société.
Lorsqu'il veut savoir pourquoi il y a des riches et des pauvres, des pouvoirs
publics et des tribunaux, des périodes de guerre et des
périodes de paix, la religion doit pouvoir lui fournir une
réponse sous peine de l'obliger à chercher cette réponse
ailleurs et de perdre ainsi son pouvoir sur les esprits. Sans morale sociale,
la religion est une chose morte.
L'islamisme et le
judaïsme sont aujourd'hui des religions mortes. Ils ne fournissent plus
à leurs fidèles que des règles rituelles: prier et
jeûner, s'abstenir de certains mets, circoncire, etc. Mais ils ne vont
pas plus loin. Ils n'offrent aucune nourriture à l'esprit; ils sont
déspiritualisés; leur enseignement ne consiste plus qu'en des
règles de droit et des prescriptions extérieures. Ils
emprisonnent le croyant dans un réseau de coutumes et de règles
de vie traditionnelles où il peut à peine respirer; mais ils ne
donnent aucune satisfaction à ses aspirations intérieures. Ils
écrasent l'âme; ils ne l'élèvent ni ne la sauvent.
Il n'y a pas eu de mouvement religieux depuis de nombreux siècles dans
l'islam, depuis bientôt deux millénaires dans le judaïsme.
La religion des juifs est encore aujourd'hui la même qu'au temps du
Talmud, celle de l'islam la même qu'au temps des invasions arabes. Leur
littérature, leur enseignement ressassent toujours les mêmes
choses et ne rayonnement pas en dehors du cercle des théologiens.
C'est en vain qu'on y cherche des hommes et des mouvements comme ceux qu'a
produits à toute époque le christianisme occidental. Le seul
lien qui maintienne la cohésion de ces reliques, c'est
l'hostilité à l'égard de tout ce qui est étranger
et différent, c'est la tradition et le conservatisme. Elles ne vivent
plus que par la haine de l'étranger qui seule encore les rend capables
de grandes actions. Toutes les sectes qui se constituent, toutes les
nouvelles doctrines qui se font jour, ne sont que des produits de cette lutte
contre l'étranger, contre la nouveauté, contre les incroyants.
La religion n'a ici aucune influence sur la vie spirituelle de l'individu,
dans la mesure où cette dernière peut encore se
développer sous le joug pesant d'un traditionalisme rigide.
L'absence
complète d'influence du clergé est la manifestation la plus
caractéristique de cet état de choses. Le respect dont il est
entouré est purement extérieur. Il n'y a rien qui ressemble ici
à l'influence profonde qu'exerce le clergé des églises
occidentales, influence différente d'ailleurs suivant les cas (qu'on
songe par exemple au jésuite, à l'évêque
catholique et au pasteur protestant en Allemagne). Il en était de
même dans les religions polythéistes de l'antiquité et il
en est encore de même dans l'église orientale. L'église
grecque elle aussi est morte depuis plus de mille ans(1). Ce n'est que
dans la seconde moitié du XIXe siècle qu'elle a produit un
homme en qui la foi et l'espérance ont brûlé d'une flamme
ardente. Mais le christianisme de Tolstoï, si accentuée que soit
sa couleur spécifiquement russe et orientale, a en dernière
analyse ses racines dans la pensée occidentale. Et c'est un fait digne
de remarque que ce grand prophète de l'évangile ne soit pas
sorti des profondeurs du peuple, comme un saint François d'Assise,
fils d'un commerçant italien, ou un Martin Luther, fils d'un mineur
allemand, mais qu'il soit issu de l'aristocratie, dont les membres, par la
lecture et l'éducation, étaient devenus de véritables
occidentaux. Tout ce que l'Église russe a pu produire, ce sont des
hommes comme Jean de Cronstadt et Raspoutine.
À ces
églises mortes, il manque une morale sociale qui leur soit propre.
Harnack dit à propos de l'Église grecque: « La
sphère réelle de l'activité humaine, la vie
professionnelle, à laquelle la foi devrait imposer ses normes morales,
échappe entièrement à son contrôle. Ce domaine est
abandonné à l'État et à la nation. »(2) Mais
il en va tout autrement dans l'église vivante de l'Occident, où
la foi est encore vivante, où elle ne se réduit pas un
formalisme derrière lequel il n'y a rien que les gestes
dépouillés de toute signification des prêtres, où
elle embrasse encore l'homme entier. On assiste là à un effort
sans cesse renouvelé pour construire une morale sociale. Et les
croyants retournent toujours à l'évangile pour y puiser dans la
parole du Seigneur de nouvelles forces de vie.
2. La
Bible comme source de la morale sociale chrétienne
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Pour le
croyant, l'Écriture sainte est le dépôt de la
révélation divine, la parole adressée par Dieu à
l'humanité, parole qui doit rester pour toujours le fondement
inébranlable de toute religion et de toute conduite réglée
par elle. Il n'en est pas ainsi seulement du protestant qui n'accepte
l'enseignement de l'église que dans la mesure où il concorde
avec les écritures, mais aussi du catholique qui d'un
côté fait dériver l'autorité de l'Écriture
de l'Église elle-même, mais qui, cependant, reconnaît d'un
autre côté à l'Écriture elle-même une
origine divine en enseignant qu'elle a été
rédigée avec l'aide du Saint-Esprit: dualisme qui est ici
surmonté par le fait que l'interprétation dernière et
authentique – infaillible – de l'Écriture est
réservée à l'Église. Cette double croyance
implique l'unité logique et systématique de l'Écriture
tout entière; la résolution des difficultés qui naissent
de cette conception constitue dès lors une des tâches
essentielles de la doctrine et de la science ecclésiastique. La
recherche scientifique voit dans les écrits de l'Ancien et du Nouveau
Testament des monuments historiques qu'elle considère de la même
façon que toutes les autres sources de l'histoire. Elle détruit
l'unité de la Bible et cherche à assigner à chaque
passage la place qu'il doit occuper dans l'histoire de la littérature.
Ces recherches modernes concernant la Bible sont incompatibles avec la
théologie, et c'est un fait que l'Église catholique a bien
reconnu, tandis que l'Église protestante cherche encore à
l'éluder. C'est une tentative dépourvue de sens que de chercher
à reconstruire la figure historique de Jésus pour fonder sur
les résultats de cette recherche une doctrine de foi et de
moralité. De telles tentatives n'ont pas seulement pour effet
d'entraver la recherche scientifique en la détournant de son but
véritable et en lui assignant des tâches qu'elle est incapable
de remplir sans recourir à des échelles de valeurs modernes:
elles sont déjà en elles-mêmes contradictoires.
D'une part,
elles essaient d'expliquer le Christ et l'origine du christianisme d'une
façon historique; mais d'autre part, elles considèrent ces
phénomènes historiques comme la source éternelle
d'où doivent découler les normes de la vie religieuse, même
dans le cadre entièrement nouveau du monde actuel. C'est se contredire
que de considérer le christianisme avec les yeux de l'histoire et de
vouloir ensuite appliquer au présent le résultat des recherches
historiques. Ce que l'histoire peut déterminer, ce n'est pas le
christianisme dans sa « forme pure », mais le
christianisme dans « forme originelle ». Confondre les
deux choses, c'est fermer les yeux à une évolution qui a
duré déjà presque deux millénaires(3).
L'erreur dans laquelle de nombreux théologiens protestants sont
tombés à ce propos est la même que celle qu'ont commise
certains historiens du droit quand ils ont voulu utiliser les
résultats de leurs travaux pour la législation et la
juridiction de l'époque contemporaine. Ce n'est pas là
procéder en véritable historien; c'est nier toute
évolution et toute possibilité d'évolution.
Comparé au dogmatisme de ce point de vue, le dogmatisme tant
décrié des « plats » rationalistes du
XVIIIe siècle, lesquels insistent précisément sur cet
élément de progrès et d'évolution, apparaît
comme une conception véritablement historique.
Il ne faut donc pas,
quand on considère le rapport de la morale chrétienne au
problème du socialisme, procéder comme le font ces
théologiens protestants dont tous les efforts s'appliquent à la
recherche de l'« essence » immuable et invariable du
christianisme. Si l'on regarde le christianisme comme un
phénomène vivant et qui par conséquent se transforme
sans cesse – conception qui n'est pas aussi incompatible avec le point
de vue de l'Église catholique qu'on pourrait le croire au premier
abord –, on doit renoncer, a priori, à chercher si
c'est le socialisme ou si c'est la propriété privée qui
correspond le mieux à l'idée chrétienne. Tout ce qu'on
peut faire, c'est parcourir l'histoire du christianisme et chercher si elle
peut faire naître de quelque façon un préjugé
favorable en faveur de telle ou telle forme d'organisation sociale.
L'intérêt que nous portons aux Écrits de l'Ancien et du
Nouveau Testament est justifié par l'importance qu'ils ont encore
aujourd'hui comme source de la doctrine de l'Église, et non par
l'espoir d'y découvrir ce qu'est réellement le christianisme.
La fin dernière
de telles recherches ne peut consister qu'à déterminer si le
christianisme doit nécessairement, à la fois aujourd'hui et
dans l'avenir, rejeter une organisation économique fondée sur
la propriété privée des moyens de production. Il ne
suffit pas pour répondre à cette question d'établir
– ce qui est connu de tous – que le christianisme a su depuis
bientôt deux mille ans s'accommoder de la propriété
privée. Car il pourrait se faire que le christianisme ou la
propriété privée soient parvenus à un stade de
leur évolution où ils ne seraient plus compatibles –
à supposer qu'ils l'aient jamais été.
3. Le
christianisme primitif et la société
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Le christianisme primitif n'était pas ascétique; il acceptait
joyeusement la vie et repoussait délibérément à
l'arrière-plan les idées ascétiques dont de nombreuses
sectes contemporaines étaient imprégnées (même
saint Jean-Baptiste vivait en ascète). Ce n'est qu'aux IIIe et IVe
siècles que l'ascétisme fut introduit dans le christianisme et
c'est de cette époque que datent l'interprétation nouvelle et
la réforme de la doctrine évangélique. Dans
l'Évangile, le Christ goûte aux joies de la vie avec ses
disciples, mange et boit comme tout le monde et prend part aux fêtes du
peuple. Il est aussi éloigné de l'ascétisme et du
désir de fuir le monde que de l'intempérance et de la
débauche(4). Seule sa conception des rapports des deux sexes
nous paraît ascétique. Mais comme toutes les autres doctrines
pratiques de l'Évangile – et l'Évangile n'offre d'autres
règles de vie que des règles pratiques –, elle s'explique
par la conception fondamentale qui explique tous les gestes de Jésus,
l'idée du Messie.
« Le temps
est accompli et le royaume de Dieu est proche. Repentez-vous et croyez
à l'Évangile. » Telles sont les paroles qui dans
l'Évangile de saint Marc accompagnent l'apparition du
Rédempteur(5). Jésus se considère comme
l'annonciateur du royaume du Dieu qui s'approche, de ce royaume qui,
d'après les prédictions des prophètes, fera
disparaître toute imperfection terrestre, libérant donc aussi
l'humanité de tout souci économique. Ses disciples n'ont rien
d'autre à faire que de se préparer à cet avènement.
Il ne s'agit plus de se préoccuper des choses terrestres: l'attente du
royaume est autrement importante. Jésus n'apporte pas de règle
pour la vie terrestre, car son royaume n'est pas de ce monde; les
règles de conduite qu'il a données à ses disciples n'ont
de valeur que pour le court espace de temps qu'il faut encore passer dans
l'attente des grands événements. Dans le royaume de Dieu, les
soucis économiques seront inconnus. Là, les croyants mangeront
et boiront à la table du Seigneur(6). Édicter des
prescriptions économiques pour un tel royaume serait dépourvu
de sens. Les règles que pose Jésus n'ont qu'une valeur
transitoire(7).
C'est en ce sens
seulement qu'on peut comprendre le sermon sur la montagne où
Jésus recommande aux siens de n'avoir aucun souci de la nourriture ni
du vêtement, où il leur conseille de ne pas semer, de ne pas
moissonner, de ne pas remplir les granges, de ne pas travailler, de ne pas
filer. Le « communisme » de Jésus et de ses
premiers disciples ne souffre pas d'autre interprétation. Ce n'est pas
un socialisme, un système de production et de moyens de production
relevant de la société. Ce n'est rien de plus que le partage
des biens de consommation entre les membres de l'église « suivant
les besoins de chacun »(8). C'est un communisme des biens
de jouissance, non des moyens de production. Produire, travailler, amasser,
les premiers chrétiens n'en ont aucun souci; ils vivent du produit de
la vente des biens des nouveaux convertis, qu'ils se partagent entre eux.
Mais une telle méthode ne saurait avoir de durée. Elle ne peut
constituer qu'un état de choses provisoire, et c'est bien ce qu'elle
était en fait. Le disciple de Jésus vit dans l'attente du salut
qui peut venir d'un jour à l'autre.
L'idée
fondamentale du christianisme primitif, selon laquelle l'accomplissement de
la promesse est imminent, se transforme peu à peu en l'idée du
jugement dernier, idée qui est à la base de tous les mouvements
religieux qui ont eu quelque durée. Parallèlement à
cette transformation, les règles de vie du christianisme devaient
elles aussi subir une modification complète. Elles ne pouvaient plus
avoir pour base l'attente de l'avènement imminent du royaume de Dieu.
Dès lors que les communautés devaient s'organiser pour
durée plus longue, elles devaient cesser d'exiger de leurs membres
qu'ils s'abstinssent de tout travail pour se consacrer à une vie
contemplative en vue de la préparation du royaume de Dieu. Elles ne
devaient pas seulement tolérer mais exiger que les frères
demeurassent dans la vie active, sous peine de rendre impossible l'existence
du christianisme. Ainsi l'Église commença de s'adapter à
l'organisation sociale de l'empire romain et le christianisme, qui
était parti de l'indifférence complète à
l'égard des réalités sociales, fut ainsi amené
à canoniser pour ainsi dire l'organisation de l'empire romain à
son déclin.
C'est à tort
qu'on a parlé de doctrines sociales du christianisme primitif. La
figure historique du Christ et ses enseignements, tels qu'ils apparaissent
dans les plus anciens monuments du Nouveau Testament, demeurent
complètement indifférents à tout ce qui concerne la
société. Le Christ a sans doute critiqué violemment
l'état de choses existant, mais il n'a pas jugé utile de
s'occuper en quoi que ce soit de son amélioration ou même d'y
réfléchir. Tout cela est l'affaire de Dieu qui établira
lui-même son royaume dont la venue est imminente dans toute sa
splendeur et sa perfection. Ce que sera ce royaume, on l'ignore mais on sait
bien qu'on y vivra libre de tout souci. Jésus s'abstient d'en parler
de façon trop précise. Cela n'était d'ailleurs nullement
nécessaire car les Juifs de son époque ne doutaient pas que la
vie qu'on mènerait dans le royaume de Dieu serait magnifique. Les
prophètes l'avaient annoncé et leurs paroles demeuraient
vivantes dans l'âme du peuple et constituaient le contenu essentiel de
sa pensée religieuse.
L'attente d'un ordre
nouveau, établi prochainement par Dieu lui-même, la
concentration de tous les actes et de toutes les pensées sur la venue
imminente du royaume de Dieu font de la doctrine de Jésus une doctrine
purement négative. Il veut dénouer tous les liens sociaux
existants. Non seulement le disciple ne doit ni se soucier des besoins de son
existence, ni travailler, ni chercher à posséder aucun bien; il
doit encore haïr « père, mère, femme, enfant,
frère, soeur, et même sa propre vie »(9). Si
Jésus tolère les lois terrestres de l'empire romain et les
prescripteurs de la loi juive, c'est parce qu'il est indifférent
à leur égard et considère que leur importance est
nécessairement limitée dans le temps, mais ce n'est pas parce
qu'il reconnaît leur valeur. Son ardeur à détruire tous
les liens sociaux existants ne connaît aucune limite. La pureté
et la force de cette doctrine absolument négative se fondent sur une
inspiration mystique, sur l'espoir enthousiaste d'un monde nouveau. C'est de
là qu'elle tire la passion avec laquelle elle s'attaque à tout
ce qui existe. Elle peut tout détruire puisque les fondations de l'ordre
nouveau doivent être posées par Dieu lui-même dans sa
toute-puissance. Elle ne se préoccupe pas de savoir si quelque chose
de l'ordre nouveau pourrait être transporté dans le royaume
futur, puisque ce royaume naîtra sans l'intervention de l'homme. Aussi
n'exige-t-elle des disciples aucune morale, aucune conduite orientée
dans un sens déterminé; croire et rien que croire,
espérer, attendre, voilà tout ce qu'elle demande. Ils n'auront
aucune part active à l'édification du royaume: Dieu seul y
pourvoira. Ce caractère de la doctrine chrétienne primitive, se
bornant à la négation absolue de l'ordre existant,
apparaît dans toute sa netteté quand on la compare au
bolchevisme. Les bolcheviks eux aussi veulent détruire tout ce qui
existe, parce qu'ils estiment qu'il n'y a rien à en espérer.
Mais ils ont une certaine représentation de la société
future, si imprécise et chargée de contradictions qu'elle
puisse être. Ils n'exigent pas de leurs partisans qu'ils se
préoccupent seulement de la destruction de l'ordre existant; ils leur
demandent aussi une conduite déterminée en fonction du royaume
futur dont ils rêvent. La doctrine de Jésus au contraire est
purement négative(10).
C'est
précisément le fait que Jésus n'est pas un
réformateur de la société, que son enseignement ne
renferme aucune morale applicable à la vie terrestre, et que les
instructions qu'il donne à ses disciples n'ont de sens que pour ceux
qui attendent le maître « la ceinture aux reins et les
lampes allumées... afin que, dès qu'il arrivera et frappera
à la porte, ils lui ouvrent aussitôt »(11),
qui a permis au christianisme sa carrière triomphante à travers
le monde. Ce n'est que parce qu'il est complètement asocial et amoral
qu'il a pu traverser les siècles sans succomber dans les bouleversements
de la vie sociale. C'est ainsi seulement qu'il a pu être la religion
d'empereurs romains et d'hommes d'affaires anglo-saxons, de nègres
d'Afrique et de Germains d'Europe, de seigneurs féodaux du
moyen-âge et de travailleurs de l'industrie moderne. Parce qu'il ne
renfermait rien qui le liât à une organisation sociale
déterminée, parce qu'il était hors du temps et
étranger aux partis, toutes les époques et tous les partis ont
pu lui faire des emprunts répondants à leurs besoins.
4.
L'interdiction canonique de l'intérêt
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Chaque époque a trouvé dans les Évangiles ce qu'elle
voulait y découvrir et a négligé d'y voir ce qu'il ne
lui convenait pas d'y voir. C'est un fait qu'on ne saurait mieux prouver
qu'en se référant à l'importance prépondérante
attachée pendant des siècles par la morale sociale de
l'Église à la doctrine de l'usure(12). Ce qui, dans les
Évangiles et dans les autres Écrits du Nouveau Testament, est
exigé des disciples du Christ, ce n'est pas de renoncer à
l'intérêt produit par des capitaux prêtés.
L'interdiction canonique de l'intérêt est un produit de la
doctrine médiévale de la société et du commerce;
elle n'avait à l'origine rien à voir avec le christianisme et
ses enseignements. La condamnation morale de l'usure et l'interdiction de
l'intérêt sont antérieures; elles furent
empruntées aux écrivains et aux législateurs de
l'antiquité et transformées à mesure que la lutte des
agriculteurs contre les marchands et les commerçants, dont la
puissance croissait, devint plus violente; c'est alors seulement qu'on
chercha à leur trouver un fondement dans l'Écriture Sainte. Le
prêt à intérêt ne fut pas combattu parce que le
christianisme l'exigeait; c'est parce que l'usure fut combattue que l'on
s'avisa de découvrir sa condamnation dans les enseignements du
christianisme. Comme le Nouveau Testament ne semblait pas au premier abord
pouvoir répondre à ce dessein, on dut recourir à
l'Ancien Testament. Pendant des siècles personne n'eut l'idée
de chercher aussi dans le Nouveau Testament un passage justifiant
l'interdiction de l'intérêt. Ce n'est que plus tard que l'art de
l'interprétation scolastique réussit à découvrir
le texte tant désiré dans un passage bien connu(13) de
saint Luc. Ce résultat ne fut atteint qu'au début du XIIe
siècle et c'est seulement depuis le décret consuluitd'Urbain
III que ce passage sert à justifier l'interdiction de
l'intérêt(14). Mais l'interprétation que l'on
donnait des paroles de l'Évangéliste était absolument
insoutenable; dans le passage en question il n'est nullement question de
l'intérêt. Il est possible que dans le contexte les
mots Mhden apelpizontez signifient: « ne comptez pas sur
la restitution de ce qui a été prêté »,
ou plus probablement: « vous ne devez pas prêter seulement
à l'homme aisé qui lui-même pourra vous prêter un
jour, mais aussi à celui dont vous ne pouvez rien espérer en
retour, au pauvre. »(15)
L'importance
considérable attachée à ce passage de l'Écriture
contraste violemment avec l'indifférence où l'on tient d'autres
commandements et interdictions de l'Évangile. L'Église du
moyen-âge s'efforçait de tirer toutes les conséquences de
l'interdiction de l'intérêt, mais elle omettait
délibérément d'appliquer la plus petite partie des
efforts qu'elle déployait pour interpréter ainsi ce passage de
saint Luc à obtenir le respect de nombreux autres commandements clairs
et sans ambiguïté contenus dans l'Évangile. Le même
chapitre de l'Évangile de saint Luc où se trouve la
prétendue interdiction de l'intérêt contient bien
d'autres commandements et interdictions expressément formulés.
Mais l'Église ne s'est jamais souciée sérieusement
d'interdire à celui qui a été victime d'un vol de
réclamer son bien et de résister au voleur; jamais elle n'a
cherché à flétrir l'action de la justice comme un acte
antichrétien. Et elle n'a pas davantage tenté d'imposer le
respect des autres prescriptions du sermon sur la montagne, comme par exemple
l'indifférence à l'égard de la nourriture et de la
boisson(16).
5. Le
Christianisme et la propriété
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Depuis le IIIe siècle, le christianisme a toujours été
utilisé à la fois par ceux qui défendaient
l'organisation sociale existante et par ceux qui voulaient la
détruire. Les deux parties ont recouru également à tort
à l'Évangile et ont cru pouvoir mettre en avant des passages de
la Bible à l'appui de leurs conceptions. Il en va de même encore
aujourd'hui. Le Christianisme lutte à la fois pour le socialisme et
contre lui.
Tous les efforts faits pour découvrir dans les enseignements du Christ
une justification à l'institution de la propriété
privée en général et de la propriété
privée des moyens de production en particulier, sont parfaitement
vains. Quelque art qu'on puisse apporter à l'interprétation des
textes, il est impossible de trouver dans les Écrits du Nouveau
Testament un seul passage qui puisse être considéré comme
favorable à la propriété privée. La
démonstration de ceux qui cherchent à défendre la propriété
par des passages de la Bible doit en conséquence se
référer à l'Ancien Testament ou se borner à
combattre l'affirmation selon laquelle le communisme aurait
régné dans les premières communautés
chrétiennes(17). Personne n'a jamais nié que la
communauté juive ait connu la propriété privée,
mais cela ne résout pas la question de savoir quelle a
été l'attitude du christianisme primitif à son
égard. Il n'y a pas davantage de preuve établissant que
Jésus ait approuvé les idées économiques et
politiques des Juifs qu'il n'y en a du contraire. Le Christ – se
fondant sur sa conception de la venue imminente du royaume de Dieu –
est demeuré rigoureusement neutre à leur égard. Sans
doute dit-il qu'il n'est pas venu pour « abolir la loi, mais pour
l'accomplir »(18). Mais ces paroles elles-mêmes
doivent être comprises en se plaçant au point de vue qui seul
rend intelligible l'oeuvre entière de Jésus. Or on
s'aperçoit qu'elles ne peuvent faire allusion aux règles de la
loi mosaïque qui concernent la vie terrestre avant l'avènement du
royaume de Dieu, car on découvre que plusieurs des commandements de
Jésus sont en contradiction absolue avec cette loi. Nous pouvons aussi
admettre que se référer au « communisme »
des premiers chrétiens ne prouve rien en faveur du
« communisme collectiviste moderne »(19), sans
qu'on ait le droit de conclure que le Christ approuvait la
propriété(20).
Une chose en tout cas
est claire, qu'aucune interprétation, si habile soit-elle, ne saurait
cacher: les paroles de Jésus à l'égard des riches sont
pleines de ressentiment, et sur ce point les Apôtres ne le
cèdent en rien au Sauveur. Le riche est maudit parce qu'il est riche,
le mendiant est prôné parce qu'il est pauvre. Jésus
n'appelle pas à la lutte contre les riches; il ne prêche pas la
vengeance à leur égard. Mais c'est uniquement parce que Dieu
s'est réservé cette vengeance pour lui-même. Dans le
royaume de Dieu les pauvres seront riches, mais les riches seront malheureux.
On a cherché par la suite à atténuer les paroles du
Christ condamnant les riches, paroles qui revêtent leur forme la plus
violente dans la version qui nous est parvenue de l'Évangile de saint
Luc. Mais malgré ces efforts, il en est resté assez pour
permettre à tous ceux qui prêchent la haine des riches, la
vengeance, le meurtre et l'incendie de s'appuyer sur les Saintes
Écritures. Tous les mouvements qui ont vu le jour dans le monde
chrétien contre la propriété privée, jusqu'au
socialisme moderne, n'ont pas manqué d'invoquer Jésus, les
Apôtres et les Pères de l'Église, sans parler de ceux
qui, comme Tolstoï, ont fait de la haine à l'égard des
riches dans les Évangiles le centre même de leur doctrine. La
moisson qui a germé ici des paroles du sauveur est une mauvaise
moisson. Elles ont fait coulé plus de sang, elles ont fait plus de mal
que la persécution des hérétiques et des
sorcières. Elles ont fait que l'Église a toujours
été désarmée en face des offensives
dirigées contre la société. Sans doute l'Église
en tant qu'organisation a-t-elle toujours été aux côtés
de ceux qui s'efforçaient de repousser l'assaut des communistes. Mais
le rôle qu'elle pouvait jouer dans cette lutte était peu
important car elle était toujours désarmée quand on lui
jetait à la face les paroles de l'Évangile:
« Bienheureux les pauvres, car le royaume de Dieu leur appartient. »
C'est donc une erreur
de croire, comme on le fait fréquemment, que le sentiment religieux,
la foi chrétienne puissent constituer une digue contre le flot
envahissant des doctrines hostiles à la propriété et
être pour les masses un vaccin contre le virus de l'agitation sociale.
Toute Église qui veut vivre dans une société
fondée sur la propriété privée doit d'une
manière ou d'une autre s'accommoder de ce mode de
propriété. Mais, étant donnée l'attitude de
Jésus par rapport aux questions que pose pour les hommes la vie en
société, l'Église chrétienne n'a jamais pu aller
au-delà d'un simple compromis, accepté aussi longtemps
seulement que ne surgissent pas des hommes résolus à prendre
à la lettre les paroles de l'Écriture. Il est absurde de dire
que le siècle des lumières, en détruisant le sentiment
religieux dans les masses, ait ouvert les voies au socialisme. Tout au
contraire, la résistance que le christianisme a opposée
à la diffusion des idées libérales a
préparé le terrain sur lequel les ferments du destructionnisme
moderne ont pu prospérer. Non seulement l'Église n'a rien fait
pour éteindre l'incendie, mais elle l'a attisé. Dans les pays
catholiques et protestants est né le socialisme chrétien.
L'église russe a donné naissance à la doctrine de
Tolstoï, dont la haine à l'égard de la
société ne saurait être dépassée. Sans
doute l'Église officielle a-t-elle essayé de résister
à ces tendances, mais elle était condamnée à
l'impuissance car elle était sans défense contre ceux qui
invoquaient les paroles de l'Écriture.
L'Évangile
n'est ni socialiste, ni communiste. Mais, comme nous l'avons vu, il se montre
d'un côté indifférent à l'égard de toutes
les questions sociales et de l'autre côté plein de ressentiment
à l'égard de la propriété et des
possédants. C'est ainsi que la doctrine chrétienne, dès lors
que disparaît ce qui faisait la base même de sa
prédication, l'avènement imminent du royaume de Dieu, peut
exercer une action destructionniste d'une extrême violence. Il est
absolument impossible de construire une morale sociale acceptant la
coopération des hommes dans la société sur une doctrine
qui interdit tout souci des besoins terrestres, condamne le travail, exprime
avec flamme la haine des riches, prêche le détachement de la
famille.
L'oeuvre civilisatrice
que l'Église a réalisée au cours des siècles, est
l'oeuvre de l'Église, et non pas du christianisme. Nous ne cherchons
pas la part qui en est imputable à l'héritage que lui avait
transmis l'empire romain et la part qui revient à l'idée de la
charité chrétienne complètement transformée par
elle sous l'influence du stoïcisme et d'autres philosophies. La morale
sociale de Jésus en tout cas n'y a été pour rien. Tous
les efforts de l'Église ont consisté à rendre cette
morale inoffensive, mais elle n'y a jamais réussi que pendant des
périodes de temps limitées. Contrainte de conserver
l'Évangile sur lequel elle est fondée, elle doit toujours
s'attendre à voir surgir dans son sein la rébellion de ceux qui
interprètent les paroles de Jésus autrement qu'elle n'entend le
faire elle-même.
Une morale sociale
adaptée eux besoins de la vie terrestre ne peut pas être
construite sur les paroles de l'Évangile. Il importe peu à ce
point de vue de savoir si Jésus a réellement enseigné la
doctrine rapportée par les évangiles; car pour toute
Église chrétienne l'Évangile constitue, avec les autres
écrits du Nouveau Testament, la base dont elle ne peut se passer sous
peine de se détruire elle-même. Même si des recherches
historiques parvenaient à établir avec une grande
probabilité que le Jésus de l'histoire a eu des questions
sociales une conception différente de celle qu'on trouve dans le
Nouveau Testament, la lettre des écritures n'en garderait pas moins
pour l'Église toute sa force. Pour elle, toute l'écriture doit
demeurer parole divine. Et il n'y a dès lors évidemment que
deux possibilités. L'Église peut, comme l'a fait
l'Église orientale, renoncer à prendre position sur aucune
question de morale sociale, cessant par là même d'être une
puissance morale, se borner à jouer dans la vie un rôle purement
formel. L'Église occidentale s'est orientée dans l'autre
direction: elle a, à chaque époque, admis dans sa doctrine la
morale sociale qui correspondait le mieux à ses intérêts
du moment, à sa place dans l'État et dans la
société. Elle s'est liée aux seigneurs féodaux,
propriétaires du sol, contre leurs tenanciers. Elle a défendu
l'esclavage dans les plantations d'Amérique, mais elle a fait sienne
aussi – dans le protestantisme et plus particulièrement dans le calvinisme
– la morale du rationalisme montant. Elle a soutenu les fermiers
irlandais dans leur lutte contre les lords anglais. Elle combat avec les
syndicats catholiques contre les entrepreneurs et avec les gouvernements
conservateurs contre les partis socialistes. Et chaque fois elle a réussi
à justifier son attitude par des textes des écritures. Mais une
telle attitude équivaut à une abdication totale du
christianisme sur le terrain de la morale sociale. L'Église accepte
passivement les idées et les courants particuliers à chaque
époque. Mais ce qui est plus grave encore, c'est qu'en cherchant ainsi
à légitimer par l'Évangile chacune de ses attitudes
successives, elle incite chaque tendance à agir à son exemple
et à chercher comme elle le fait dans les paroles de l'Écriture
Sainte la justification de son point de vue. Or, étant donné le
caractère des passages de l'Écriture qu'on peut utiliser pour
des fins sociales et politiques, il est clair que ce sont les doctrines les
plus destructrices qui devaient finalement l'emporter.
Mais s'il est
impossible d'édifier une morale sociale chrétienne sur les
paroles de l'Évangile, ne pourrait-on pas accorder la doctrine
chrétienne avec une morale sociale qui favorise la vie en
société au lieu de la détruire, de façon à
mettre ainsi la grande force que représente le christianisme au
service de la civilisation? Une telle adaptation du christianisme ne serait
pas sans exemple. La science moderne a prouvé que la conception du
monde de l'Ancien et du Nouveau Testaments est insoutenable et l'Église
en a pris son parti. Elle ne brûle plus aujourd'hui comme
hérétique l'homme qui affirme que la terre tourne et elle ne
traduit plus devant le tribunal de l'Inquisition ceux qui osent mettre en
doute la résurrection de Lazare et la résurrection corporelle
des morts. Il est même permis aujourd'hui aux prêtres de
l'Église romaine d'étudier l'astronomie et les théories
évolutionnistes. Ne pourrait-il en être de même en ce qui
concerne les questions sociales? L'Église ne pourrait-elle trouver une
voie lui permettant de s'assimiler le principe fondamental de la
société, la libre coopération par la division du
travail? Ne pourrait-on pas interpréter dans ce sens le principe
fondamental de la charité chrétienne?
Ce sont là des
questions qui n'intéressent pas seulement l'Église. Le destin
même de la civilisation est en jeu. Car il ne faut pas croire que
l'opposition de l'Église aux idées libérales soit sans
danger. L'Église est une force si puissante que son hostilité
au principe constructeur de la société ruinerait toute notre
civilisation. Car si le monde est aujourd'hui livré aux forces du
destructionnisme, l'Église n'est pas la dernière à en
supporter la responsabilité, l'Église catholique aussi bien que
l'Église protestante, car le socialisme chrétien a dans les
troubles sociaux actuels une part à peine moins grande que le
socialisme athée.
6. Le
socialisme chrétien
|
L'histoire permet de comprendre aisément l'hostilité de
l'Église à l'égard du libéralisme
économico-politique sous toutes ses formes. Ce dernier est un produit
des « lumières » et du rationalisme qui ont
porté à l'ancienne Église un coup mortel. Il a la
même origine que les recherches historiques modernes qui ont appliqué
à l'histoire de l'Église et de ses traditions une critique rigoureuse.
Le libéralisme a détruit les puissances avec lesquelles
l'Église avait vécu pendant des siècles en liaison
étroite. Il a transformé le monde plus profondément
encore que ne l'avait fait le christianisme lui-même. Il a rendu les
hommes au monde et à la vie. Il a éveillé des forces qui
entraînent les hommes bien loin du traditionalisme paresseux sur lequel
reposaient l'église et sa doctrine. Toutes ces innovations
étaient suspectes à l'Église qui s'est mal
accommodée du monde moderne. Sans doute dans les pays catholiques les
prêtres aspergent-ils d'eau bénite les navires qu'on lance et
les dynamos des centrales électriques nouvellement construites, mais
le chrétien croyant éprouve toujours un sentiment d'inquiétude
au milieu de cette civilisation dont sa foi ne pénètre pas le
sens. De là le ressentiment de l'Église à l'égard
de la période contemporaine et du libéralisme qui en est
l'esprit. Quoi d'étonnant qu'elle se soit alliée à ceux
qui, animés par la haine, voulaient détruire ce monde nouveau
si étrange et qu'elle ait cherché dans l'arsenal si riche dont
elle disposait toutes les armes qu'il pouvait lui fournir pour
dénoncer la vanité de l'effort humain et de la richesse
terrestre, avec le Syllabus, la religion de la haine du monde,
quand il apparut que ce dernier s'approchait du bonheur. Quiconque
entreprenait de combattre l'ordre social pouvait être assuré de
trouver dans le christianisme un allié.
Ce qui est tragique,
c'est que ce furent précisément les meilleurs parmi les membres
de l'Église, ceux qui prenaient au sérieux la règle de
la charité chrétienne et qui y conformaient leur conduite qui
ont apporté leur concours à cette oeuvre de destruction. Les
prêtres et les moines qui se consacraient à l'oeuvre de
charité de la miséricorde chrétienne, qui avaient
l'occasion dans l'exercice de leur sacerdoce, dans leur enseignement, dans
les hôpitaux et les prisons de voir la souffrance humaine et de
pénétrer les misères de la vie, furent les premiers à
subir l'influence destructrice de la société de la parole
évangélique. Seule une solide philosophie libérale
aurait pu les préserver de partager les sentiments de haine qu'ils
rencontraient chez leurs protégés et auxquels l'Évangile
donnait son approbation. Cette philosophie faisant défaut, ils devinrent
pour la société des adversaires dangereux. Ainsi d'une oeuvre
d'amour naquit la guerre sociale.
Une partie de ces
hommes dont des raisons de sentiment faisaient des adversaires de l'ordre
social basé sur l'économie libérale se bornèrent
à une hostilité muette. Mais beaucoup devinrent socialistes,
non pas des socialistes athées à l'exemple de la classe
ouvrière socialiste, mais des socialistes chrétiens. Mais le
socialisme chrétien n'en est pas moins le socialisme.
Le socialisme ne peut
pas plus se recommander de l'exemple des premiers siècles
chrétiens que de celui de l'église primitive. Même le
communisme de consommation des premières communautés
chrétiennes disparût bientôt, à mesure que l'espoir
de l'avènement prochain du royaume de Dieu passait au second plan.
Mais il ne fut pas remplacé par une organisation socialiste de la
production. Dans les communautés chrétiennes, la production
était l'oeuvre des individus travaillant pour eux-mêmes et les
revenus qui assuraient l'entretien des indigents et permettaient de couvrir
les frais des oeuvres communes étaient constitués par des dons
volontaires ou obligatoires, versés par les membres de la
communauté travaillant pour leur propre compte dans leurs entreprises
personnelles, avec des moyens de production leur appartenant. Il se peut que
dans les premiers siècles les communautés chrétiennes
aient parfois – rarement et dans des cas exceptionnels – recouru
aux méthodes socialistes de production. On n'en trouve pas trace dans
les documents et aucun écrivain ou doctrinaire chrétien connu
n'a jamais recommandé ces méthodes. On rencontre souvent dans
les écrits des apôtres et des Pères de l'Église
des exhortations invitant les fidèles à revenir au communisme
de l'Église primitive. Mais il ne s'agit toujours que d'un communisme
de consommation et jamais des méthodes de production socialistes(21).
C'est saint Jean
Chrysostome qui a fait l'éloge le plus connu de la manière de
vivre communiste. Dans la 11e de ses homélies sur l'histoire des
apôtres, le saint vante la communauté des biens de
l'Église primitive et emploie toute la flamme de son éloquence
à prêcher son rétablissement. Il ne se borne pas à
la recommander en invoquant l'exemple des apôtres et de leurs
contemporains. Il s'efforce d'exposer rationnellement les mérites du
communisme comme il le conçoit. Si tous les chrétiens de
Constantinople mettaient leurs biens en commun, on aurait ainsi des richesses
suffisantes pour permettre de nourrir tous les pauvres chrétiens et
personne ne souffrirait plus de privations. Les frais de la vie en commun
sont en effet, remarque-t-il, beaucoup moins élevés que ceux de
ménages isolés. Chrysostome recourt ici à des
considérations qui rappellent assez celles de ceux qui
préconisent aujourd'hui l'établissement d'une cuisine unique
par immeuble ou de cuisines communes et qui s'emploient à calculer les
économies qui résulteraient de cette concentration de
l'exploitation culinaire et du ménage. Selon ce Père de
l'Église, les frais ne seraient pas élevés de sorte que
le formidable trésor constitué par la mise en commun des biens
serait inépuisable, d'autant plus que la bénédiction
divine profiterait plus abondamment aux hommes pieux de ces communautés.
Chaque
nouveau venu ajouterait quelque chose au trésor commun(22). Ces
explications précises montrent par la sécheresse de leur
précision que Chrysostome n'envisageait qu'une communauté de
consommation. Cet exposé des avantages de l'unification, avantages qui
se résument en ceci que la dispersion entraîne une diminution du
bien-être tandis que l'union et la coopération l'accroissent,
fait le plus grand honneur au sens économique de son auteur. Mais dans
son ensemble, cette proposition témoigne d'une méconnaissance
totale du problème de la production. Tout son raisonnement ne vise que
la consommation. Qu'il faille produire avant de consommer, l'idée ne
lui en est même pas venue. Tous les biens doivent être remis
à la communauté – Chrysostome pense sans doute ici que
cette remise est faite en vue de leur vente, suivant l'exemple de
l'Évangile et de l'histoire des apôtres – et la
consommation en commun commence ensuite. Que les choses ne puissent durer
éternellement ainsi ne lui vient pas à l'esprit. Il s'imagine
que les millions rassemblés – il les évalue de 1 à
3 millions de livres d'or – constitueront un trésor
inépuisable. Comme on le voit, les considérations
économiques du saint s'arrêtent exactement au même point
que la sagesse de nos politiciens sociaux qui croient pouvoir transporter
dans l'économie prise dans son ensemble les expériences qu'ils
ont faites dans les oeuvres charitables où seule la consommation entre
en ligne de compte.
Chrysostome se plaint
que les hommes éprouvent à l'égard du passage au
communisme qu'il recommande la même appréhension que s'il
s'agissait d'un saut dans la mer. L'Église elle aussi a bientôt
laissé tomber l'idée du communisme.
Car on ne peut parler
de socialisme à propos de l'économie des cloîtres. En
règle générale, dans la mesure où ils
n'étaient pas nourris par les dons des fidèles, les moines
vivaient des redevances des paysans et du produit de métairies ou
d'autres propriétés. Les moines travaillaient parfois comme
membres actifs d'une sorte d'association de production. La vie
cloîtrée demeure toujours un mode de vie idéal accessible
seulement à un petit nombre d'individus. Ainsi les méthodes de
productions monacales ne sauraient être érigées en
règle ayant une valeur générale. Or, le socialisme est
un système d'économie générale.
On ne doit pas
chercher l'origine du socialisme chrétien dans l'Église
primitive non plus que dans l'Église du moyen-âge. C'est
seulement le christianisme renouvelé par les luttes religieuses du
XVIe siècle qui a accueilli – lentement et non sans de grandes
résistances – les idées socialistes.
L'Église
moderne diffère de l'Église du moyen-âge en ceci qu'elle
est obligée de lutter en permanence pour son existence.
L'Église du moyen-âge régnait sans conteste sur les
esprits. Toute pensée, tout enseignement, tout écrit
émanaient d'elle et aboutissaient à elle. Même
l'héritage spirituel de l'antiquité ne constituait pas pour
elle une menace parce qu'il demeurait encore inaccessible dans sa profondeur à
un monde prisonnier des idées féodales. Mais dans la mesure
où l'évolution sociale conduisait la pensée pratique et
l'action au rationalisme, les tentatives pour libérer la conception
des fins suprêmes de l'homme des chaînes de la tradition eurent
plus de succès. La Renaissance menace le christianisme à sa
racine même: en se tournant vers la pensée et l'art antiques,
elle s'engage dans une voie qui l'éloigne de l'Église ou qui du
moins demeure en dehors d'elle. Les hommes d'Église sont fort
éloignés de s'opposer à cette évolution. Ils sont
au contraire eux-mêmes les partisans les plus ardents de l'esprit
nouveau. Au début du XVIe siècle, personne n'était au
fond plus éloigné du christianisme que l'Église
elle-même. Il semblait que pour la foi ancienne eût sonné
la dernière heure.
C'est alors que se
produisit la grande révolution, la réaction du christianisme.
Elle ne partit pas d'en haut, des princes de l'Église ou des
monastères, elle ne partit même pas de l'Église; elle lui
fut imposée de l'extérieur. Elle prit sa source dans les
profondeurs du peuple où le christianisme avait conservé sa
force, et elle conquit l'Église vermoulue pour la faire revivre. La
Réforme et la Contre-réforme sont les deux expressions de cette
résurrection de l'Église; elles diffèrent par leur
origine et par les voies qu'elles suivent, par les formes du culte et par la
doctrine; elles se distinguent surtout par leur conception de l'État
et de la politique, mais elles s'accordent sur le but final: faire reposer
l'organisation du monde sur l'Évangile, rendre à la foi son pouvoir
sur les esprits et sur les coeurs. Ce fut la plus grande révolte de la
foi contre la pensée, de la tradition contre la philosophie, que
l'histoire ait connue. Elle a remporté de grands, de très
grands succès. C'est elle qui la première a créé
le christianisme que nous connaissons, ce christianisme qui a son
siège dans le coeur des hommes, qui lie les consciences et qui parle
à l'âme misérable. Mais sa victoire n'a pas
été complète. Elle a réussi à
empêcher la défaite, la ruine du christianisme, mais elle n'a
pas anéanti l'adversaire. Ce qu'on a appelé le « Kulturkampf »
dure depuis le XVIe siècle presque sans interruption.
L'Église sait
qu'elle ne peut triompher dans cette lutte qu'à la condition de tarir
toutes les sources où ses adversaires puisent sans cesse de nouvelles
forces. Tant que subsisteront dans l'économie le rationalisme et la
liberté de pensée individuelle, il lui sera impossible
d'enchaîner la pensée et d'orienter la raison selon ses désirs.
Pour atteindre ce but, il lui faudrait soumettre à son influence toute
l'activité, toute l'action humaine. C'est pourquoi elle ne peut pas se
borner à constituer une Église libre dans l'État libre;
elle doit tendre nécessairement à soumettre l'État
à sa domination. Le papisme romain et l'Église nationale
protestante s'efforcent également de s'assurer sur l'État un
pouvoir qui leur permette de régler à leur gré les
choses humaines. Leur but est nécessairement de ne tolérer
aucune autre puissance spirituelle, parce que toute puissance indépendante
constitue un danger, un danger qui s'accroît à mesure que
progresse la rationalisation de la vie.
Dans le régime
anarchique de la production, les esprits eux aussi se refusent à
reconnaître aucune domination. On ne peut aujourd'hui dominer les
esprits qu'en dominant la production. Toutes les Églises l'ont senti
obscurément depuis longtemps. Mais elles ne l'ont reconnu clairement
que depuis que l'idée du socialisme introduite en dehors d'elles dans
le monde attire à elle des disciples avec une force croissante. C'est
alors seulement que les Églises ont compris que la théocratie
n'est possible que dans la communauté socialiste.
Cet idéal a
trouvé déjà une fois sa réalisation. Les
Jésuites ont fondé au Paraguay cet État extraordinaire
qui semble avoir transporté dans la vie l'idéal
schématique de la République de Platon. Cet État unique
dans son espèce a prospéré pendant plus d'un
siècle avant d'être détruit par l'action violente de
forces extérieures. Certes les Jésuites, en créant cet
État, n'ont pas pensé à faire une expérience
socialiste ou à établir un modèle pour les autres
communautés du monde. Mais le but qu'ils se sont proposé au
Paraguay est en définitive le même que celui qu'ils se sont
proposé partout ailleurs et que seules les résistances qu'ils
ont rencontrées les ont empêchés d'atteindre. Ils ont
cherché à soumettre les laïques considérés
comme de grands enfants ayant toujours besoin d'une tutelle à la domination
bienfaisante de l'Église et leur ordre. Nulle part ailleurs les
Jésuites, ou tout autre corps ecclésiastique, n'ont
renouvelé cette tentative. Mais il est certain qu'en définitive
les efforts de l'Église – et non pas seulement de
l'Église catholique mais de toutes les autres Églises
occidentales – tendent au même but. Qu'on suppose
écartées toutes les résistances que l'Église
rencontre aujourd'hui sur sa route, et on s'apercevra qu'elle ne
s'arrêtera pas avant d'avoir atteint partout ce but.
Le fait que
l'Église ait eu en général une attitude hostile à
l'égard des idées socialistes n'infirme en rien la justesse des
idées que nous venons d'exposer. L'Église n'est l'adversaire du
socialisme que lorsqu'il tend à s'imposer en dehors d'elle. Elle est
hostile au socialisme réalisé par des athées parce qu'il
saperait les bases de sa propre existence. Partout et dans la mesure
où ses craintes disparaissent, elle incline sans hésiter vers
les idées socialistes. Dans le socialisme d'État prussien,
l'Église nationale protestante a la direction, et l'Église
catholique poursuit partout son idéal social-chrétien.
Ces constatations nous
amènent à répondre par la négative à la
question posée ci-dessus au sujet de la possibilité de
concilier le christianisme avec une organisation sociale libre reposant sur
la propriété privée des moyens de production. Un
christianisme vivant ne saurait exister à côté et au sein
du capitalisme.
Toutefois, on peut se
demander si l'avenir confirmera ses prédictions théoriques. Nul
ne peut prévoir avec certitude l'évolution future de
l'Église et du christianisme. La papauté et le christianisme
sont placés aujourd'hui en face de problèmes infiniment plus
difficiles que ceux qu'ils ont dû résoudre au cours d'une
histoire vieille déjà de plus de mille ans. Le nationalisme
chauvin menace dans ses fondements l'Église universelle.
Jusqu'à présent, elle a réussi grâce à la
subtilité de sa politique à préserver le principe de la
catholicité au milieu du tumulte des luttes nationales. Mais elle
apprend chaque jour que son existence est incompatible avec le maintien des
idées nationalistes. Si elle ne veut pas périr et céder
la place à des Églises nationales, force lui est de refouler le
nationalisme en lui opposant une idéologie qui rende possibles la
coexistence pacifique et la coopération des peuples. Mais en
s'engageant dans cette voie, l'Église devrait nécessairement
aboutir au libéralisme, car aucune autre doctrine n'en pourrait tenir
lieu.
Si l'Église
romaine veut trouver une issue à la crise où l'a
précipitée le nationalisme, il lui faudra subir des
modifications profondes. Il se peut que cette transformation, que cette
rénovation la conduise à admettre sans réserve
l'indispensabilité de la propriété privée des
moyens de production.
Les expériences
que l'Église a faites avec l'athéisme des bolchevistes en
Russie, et avec l'antichristianisme nationaliste de l'Allemagne
hitlérienne, ont dû l'incliner à comprendre que ce n'est
pas le libéralisme, mais que ce sont au contraire les adversaires les
plus résolus du libéralisme qui constituent pour elle un
danger.
Ainsi
l'évolution politique a rapproché l'Église du
libéralisme.
Un grand nombre des
meilleurs esprits de notre temps ont assigné à l'Église
catholique ainsi qu'au christianisme réformé des disciples de
Calvin, un rôle éminent dans les plans qu'ils ont
élaborés pour sauver notre civilisation menacée.
On remarque, dans les
écrits des défenseurs de la foi, une compréhension
croissante pour le programme économique du libéralisme et pour
les services que le capitalisme a rendus à la civilisation.
Peut-être l'espoir est-il permis que le christianisme et le
libéralisme puissent travailler en commun à la reconstruction
de l'oeuvre de la civilisation que leurs ennemis communs ont détruite.
1. Voir
comment Harnack (Das Mönchtum, 7e éd., Giessen, 1907,
pp. 32 sqq.) a caractérisé l'Église orientale.
2. Cf. Harnack, Ibid., p. 33.
3. Cf. Troeltsch, Gesammelte
Schriften, t. II, Tübingen, 19 (13), pp. 386 sqq.
4. Cf. Harnack, Das Wesen
des Christentums, 55e mille, Leipzig, 1907, pp. 50 sqq.
5. Saint Marc, I, 15.
6. Saint Luc, XXII, 30.
7. Harnack, Aus
Wissenchaft und leben, t. II, Glessen, 1911, pp. 257 sqq:
Troeltsch, Die Soziallehren der christlischen Kirchen und
Gruppen, op. cit., p. 31 sqq.
8. Actes
des apôtres, IV, 35.
9. Saint Luc, XIV, 26.
10. Cf. Pfleiderer, Das
Urchristentum, t. I, pp. 649 sqq.
11. Saint Luc, XII, 35-36.
12. « La doctrine du droit commercial
du moyen-âge a ses racines dans le dogme canonique de la
stérilité de l'argent et dans la somme de corollaires que l'on
comprend sous le nom de doctrine de l'usure... L'histoire du droit commercial
de ces époques ne peut être que l'histoire du règne de la
doctrine de l'usure dans le droit. » (Endemann, Studien
in der romanisch-kanonistischen Wirtschafts und Rechtslehre bis gegen Ende
des siebzehnten Jahrhunderts,
Berlin, 1874-83, t. I, p.2).
13. Saint Luc, VI, 35.
14. C. 10. x. De
usuris (III. 19). – Cf. Schaub, Der
Kampf gegen den Zinswucher, ungerechten Preis und unlautern Handel im
Mittelalter, Fribourg, 1905, pp. 61 sqq.
15. Cette interprétation est
donnée par Knies, Gold
und Kredit, IIe section, 1re partie,
Berlin, 1876, pp. 333-335, remarque.
16. Sur le droit canonique le plus récent
qui, dans l'articke 1543 du cod. ju. can., est arrivé à une
reconnaissance conditionnelle de la justification du prêt à
intérêt, cf. Zehentbauer, Das
Zinsproblem nach Moral und Recht, Vienne, 1920, pp. 138 sqq.
17. Cf. Pesch, o.c.,
pp. 212 sqq.
18. Saint Matthieu, V, 17.
19.
Cf. Pesch, o.c.,
p. 212.
20 .Cf. Pfleiderer (o.c., t. I,
p. 651.) explique le jugement pessimiste porté par Jésus
sur la possession terrestre par l'attente apocalyptique de la fin du monde
imminente. « Au lieu de chercher à interpréter les
expressions rigoristes dont il s'est servi à ce sujet, au sens de
notre morale sociale moderne, on ferait mieux de comprendre une fois pour
toutes que Jésus ne s'est pas présenté aux hommes comme
un professeur de morale rationnelle mais comme le prophète
enthousiaste de l'approche du royaume de Dieu et que c'est
précisément par là seulement qu'il est à
l'origine de la religion du salut. Mais vouloir faire de l'enthousiasme
prophétique eschatologique le fondement immédiat et durable de
la morale sociale est aussi insensé que prétendre chauffer son
foyer et cuire sa soupe avec la flamme d'un volcan. » – Le
25 mai 1525, Luther écrivait au conseil de Dantzig:
« L'Évangile est une loi spirituelle selon laquelle il
n'est guère possible de gouverner. » Cf. Neumann,Geschichte des Wuchers in Deutschland,
Halle, 1865, p. 618; – Traub, Ethik
und Kapitalismus, 2e
éd., Heilbronn, 1909, p. 71.
21. Cf. Seipel, Die
wirtschaftsethischen Lehren der Kirchenväter, Vienne, 1907,
pp. 84 sqq.
22. Cf. Migne, Patrologiae
Graecae, t. LX, pp. 96 sqq.
Article
originellement publié par le Québéquois Libre ici
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