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Chut, ils pensent

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Published : October 07th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Alors que les dépôts des banques auprès de la BCE continuent de grimper, comme un classique avis de tempête, deux questions émergent dans la confusion qui s’accroît, auxquelles les réponses divergent : 1/ Qui faut-il prioritairement aider, les États ou les banques ? 2/ Où trouver l’argent ?


La BCE n’ayant pas tardé à baisser son rideau de fer devant les risques de pillage manifeste, d’autres objectifs sont maintenant en vue. La Banque européenne d’investissement (BEI) et le FMI ont été immédiatement évoqués comme des roues de secours potentielles des États. Brièvement dans le cas du second, car rien n’avait été décidé par son conseil d’administration. Tout ceci sans que les destinataires des aides n’aient été définis, ni que les montants nécessaires n’aient été cernés.


A ce dernier sujet, il serait question que le nouveau régulateur des banques, l’EBA, relance une opération de stress tests, présentée comme à chaque fois plus rigoureuse que la précédente. Le Financial Times avance qu’elle pourrait cette fois-ci mettre en évidence 200 milliards d’euros de pertes dans les comptes des grandes banques européennes.


S’il devait s’agir d’aider les États, les calculs montrent que les moyens disponibles du FMI, une fois mobilisés, ne couvriraient qu’à peine les besoins de refinancement de l’Italie l’année prochaine ! Quant au FESF, il est décidément voué à être au four et au moulin, destiné à aider les États selon les uns et les banques selon les autres. Tout cela a un sérieux côté fonds de tiroir, attendons la suite.


Comme les particuliers qui avaient été incités à le faire par les banques, les États ont également trop emprunté, au fur et à mesure que leurs ressources fiscales étaient amoindries. Les banques en ont profité, mais désormais elles en souffrent, se retrouvant avec des débiteurs insolvables sur les bras. Tout cela ne pouvait que finir mal et plus personne ne retombe sur ses pieds.


Les Américains multiplient les déclarations d’inquiétude à propos de la Grèce et de l’importance que l’Europe a pour eux. Mais comment, s’interroge-t-on, les finances de ce petit pays qu’est la Grèce pourraient en venir à menacer les États-Unis ? Les commentateurs avisés scrutent l’exposition des banques américaines, en se référant aux données de la Banque des règlements internationaux (BRI), et se refusent à y voir des signes de catastrophe. Pourtant, le fait est que leur valorisation boursière est inférieure à leur valorisation comptable… Les marchés s’affoleraient-ils eux aussi sans motif à Wall Street ?


Deux raisons pourraient éclaircir ce mystère. La première est que la valorisation comptable des banques serait sur-estimée grâce à certains artifices, cela s’est déjà vu ! Les banques américaines, comme il est maintenant établi au vu de leurs dernier mauvais résultats, n’auraient pas retrouvé leur grande forme. La seconde est que leur exposition mesurable à la dette souveraine européenne serait sous-estimée. Car s’il faudrait prendre en compte, pour la diminuer, les garanties que les banques peuvent avoir pris, celles qu’elles ont pu accorder avec les mêmes instruments financiers et grâce à des transactions opaques sont par contre inconnues…


Ce ne serait pas la première fois que la mesure du risque serait prise en défaut… Le système financier mondial est tellement enchevêtré que la mesure du risque systémique est dans les faits une gageure. Impossible toutefois de le reconnaître, car cela vaudrait condamnation…


Dernier élément, en cette journée marquée par la réunion du conseil des gouverneurs de la BCE, la plus grande incertitude règne sur les décisions que celui-ci pourrait prendre. Cela ne fait que refléter combien il est tiraillé par des obligations contradictoires : aider les banques d’un côté et s’opposer à la montée de l’inflation de l’autre. Or, ses instruments monétaires sont ce qu’ils sont et imposent un choix, qui va l’amener à probablement avancer à petits pas au milieu du gué, tout en criant fort pour faire peur au loup. La BCE est en train de rejoindre ses collègues britannique et américain sur le banc de touche, afin de regarder la poursuite de la partie sans pouvoir y participer.


Elle a bien tenté, en adressant au gouvernement une italien une lettre secrète lui donnant des objectifs fiscaux qui ne sont pas de son ressort, de jouer par défaut au gouvernement économique que Jean-Claude Trichet ne cesse d’appeler de ses vœux. Mais elle y perdrait son âme, si elle devait poursuivre sur cette voie…


Toutes les conditions sont réunies pour que les plus mauvaises solutions soient finalement adoptées. Pour commencer, une aide parcimonieuse des banques, afin de ne pas se déjuger et affronter l’opinion ; puis ensuite un nouveau mécanisme financier scabreux, calibré a minima, s’il peut être monté. Une réunion au sommet aura lieu cet après-midi à Berlin, avec Christine Lagarde et Robert Zoellick (Banque mondiale), convoquée pour traiter de la réforme du système monétaire international, une occasion opportune pour déblayer le terrain !




Billet rédigé par François Leclerc

 

 



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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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