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Le libertarianisme
n'est pas qu'une théorie économique. C'est aussi une
philosophie de l'évolution humaine, une éthique des rapports
entre les individus et une attitude générale devant la vie.
C'est aussi une « psychologie » différente de
celles qui caractérisent les socialistes, les conservateurs, les
réactionnaires et les collectivistes de tout acabit.
On peut devenir libertarien pour des motifs
purement logiques, parce qu'on a compris la validité des
préceptes économiques de libre marché ou l'importance
cruciale de la liberté individuelle dans le développement de la
civilisation. Mais ces explications rationnelles, aussi convaincantes
soient-elles, n'ont souvent aucun effet sur certains individus parce que
ceux-ci ont une attitude générale face à la vie, face
à leur propre personne et aux autres, qui en bloque
l'appréciation rationnelle. À l'inverse, de nombreux lecteurs
du QL nous ont témoigné avoir découvert qu'ils
étaient libertariens en nous lisant,
même s'ils ne connaissaient rien jusque-là de la philosophie libertarienne, parce qu'ils trouvaient simplement que
cela correspondait à leur personnalité ou à leur
manière d'appréhender les choses de façon
intuitive.
Pour ceux et celles que les multiples courants d'idées laissent confus
et qui ne sont pas certains d'avoir des atomes crochus avec la pensée libertarienne, ou pour ceux qui demeurent indécis
et voudraient s'assurer qu'ils en ont bien, voici cinq attitudes essentielles
à la psychologie libertarienne. Si vous vous
reconnaissez dans chacune d'elle, bravo, il y a de forte chance que vous
soyez un libertarien ou une libertarienne
dans l'âme; si vous les trouvez idiotes, fausses ou non pertinentes,
pas de chance, vous pataugez encore dans les marécages
idéologiques où l'humanité s'est embourbée depuis
des millénaires; si toutefois vous les trouvez intéressantes
mais que vous êtes forcé d'admettre que vous tendez souvent vers
le contraire à cause de vieux réflexes ou des pressions de
votre entourage, ne désespérez pas! En ce début
d'année, c'est le temps de prendre de bonnes résolutions, et
ces attitudes méritent d'être cultivées par tous: non
seulement parce qu'elles sont adaptées à l'esprit libertarien, mais plus simplement à cause de leur
valeur universelle comme source de bonheur et d'équilibre
psychologique.
Les voici donc, sans ordre particulier, et bien sûr sans aucune
prétention à offrir une liste exhaustive:
1-
assumer ses choix et cesser de rejeter la
responsabilité de ses actions sur les autres
On pourrait
difficilement trouver une attitude psychologique plus représentative
de l'esprit individualiste libertarien que
celle-ci. Les libertariens croient fermement
qu'au-delà des influences du milieu et des déterminismes de
tout genre, les individus sont ultimement responsables des choix qu'ils font
et de la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils doivent en assumer les
conséquences, bonnes ou mauvaises, sans se plaindre ni en rejeter la
faute sur les autres. Bref, la liberté individuelle ne peut pas
être dissociée de la responsabilité individuelle.
Au contraire, ceux qui, dans leur vie personnelle, ont toujours tendance
à se sentir victime, à justifier leurs problèmes en
invoquant une situation spéciale, à chercher des boucs
émissaires, à se fabriquer des excuses, à rejeter la
faute sur « le système », sont
des étatistes en puissance et des candidats idéaux pour un Prix
béquille. Comme les multiples pleurnichards et losers qui
peuplent notre société, cette attitude les conduit
naturellement à chercher des responsables ailleurs pour expliquer
leurs propres échecs et à demander des compensations, des
rectifications, des reconnaissances de leur situation particulière, de
l'aide et des privilèges spéciaux. Nul doute que c'est d'abord
et avant tout à l'État, ce sauveur universel responsable de
tout – puisque les individus ne sont, de ce point de vue, responsables
de presque rien – qu'il reviendra de rectifier les choses et de
s'occuper d'eux.
2-
voir l'aventure humaine avec optimisme
Les libertariens
ont confiance dans l'ingénuité et le sens de l'initiative des
humains. Ils croient que si on laisse les gens libres d'agir dans leur propre
intérêt pour trouver des solutions aux multiples défis et
problèmes auxquels ils sont confrontés, si les bons incitatifs
sont présents, la grande majorité s'empresseront
de le faire de façon dynamique, productive et souvent astucieuse.
Toutes les périodes de l'histoire caractérisées par le
progrès l'ont été parce que les individus étaient
libres de mener à bien leurs rêves et leurs désirs sans entraves
majeures. Et si l'on observe l'évolution humaine depuis la
révolution agricole du Néolithique il y a 10 000
ans, on se rend compte que la seule constance est la capacité des
membres de notre espèce à inventer de nouvelles choses et
à faire face aux multiples obstacles que la nature et – il faut
le dire aussi – la stupidité et l'ignorance d'autres hommes
placent devant eux.
Au contraire, les
réactionnaires de gauche ou de droite, les misanthropes et les
pessimistes croient que plus les humains sont libres, plus ils risquent de
causer du trouble et de s'enfoncer dans le chaos. Pour eux, le progrès
est une menace, la stagnation est préférable et doit être
imposée parce que chaque innovation risque de défaire le
fragile équilibre qui a permis à la civilisation de survivre
jusqu'ici. La technologie, la croissance économique, la
création de nouveaux produits de consommation ou de nouvelles
idées et modes culturelles, tout cela est néfaste et porteur de
trouble. Pour ces pessimistes, il y a toujours une catastrophe à
l'horizon, qu'il s'agisse du bogue de l'an 2000, du réchauffement de
la planète, de la pollution et du surpeuplement, de l'informatisation
et de la mondialisation économique, des aliments transgéniques,
et quoi encore, qui mérite qu'on impose une fin à toute
expérimentation et qu'on revienne à un mode de vie plus «
naturel » et drastiquement simplifié, comme celui de nos
ancêtres. Évidemment, il revient toujours dans cette perspective
à un gouvernement fort de s'opposer au changement et de réprimer
les innovateurs pour éviter ces catastrophes et imposer l'ordre
idéal.
3-
refuser de s'en remettre à des
abstractions collectives
Les libertariens s'intéressent d'abord à
l'individu et le voient comme l'ultime réalité sociale. Pour
eux, les entités collectives n'ont de sens que lorsqu'elles
s'incarnent dans l'individu, et pas en elles-mêmes. Ça ne veut
pas dire que la culture, l'identité nationale, le patrimoine, la
langue, et autres phénomènes collectifs, ne sont pas
pertinents. Ils le sont, mais seulement parce qu'ils répondent
à un besoin des individus. Celui-ci est d'ailleurs toujours à
la croisée de nombreuses caractéristiques collectives et ne
peut être réduit à une simple
pion sur un échiquier collectif unidimensionnel.
Les libertariens sont donc toujours sceptiques
devant les revendications de nature collectiviste et les ramènent
nécessairement aux intérêts individuels de ceux qui s'en
réclament et prétendent parler au nom du groupe. Pour chaque
situation, ils seront plus intéressés à voir non pas
quelles seront les conséquences pour « la nation
», « les femmes », «
les Noirs », « les gais »,
« les autochtones », ou quelque autre
groupe, mais bien de comprendre comment des individus qui peuvent se
définir de multiples façons dans un monde pluraliste pourront
faire des choix librement et sans avoir à cadrer dans un modèle
collectif rigide. C'est la subjectivité de l'individu qui importe, pas
son appartenance à des entités collectives abstraites. Et
lorsqu'il est question de réaliser quelque chose, ils comptent d'abord
sur leurs propres moyens en collaboration volontaire avec d'autres individus
qui y trouvent leur compte pour y arriver, pas sur une «
mobilisation » collective.
L'attitude contraire conçoit plutôt la société
humaine comme essentiellement composée de groupes qui se
côtoient et s'opposent, avec des individus qui n'ont de
réalité que comme membres d'un groupe précis. Pour ceux
qui voient les choses ainsi, la vie collective est la seule
référence et ils ramènent tous les aspects de leur vie
à la situation du ou des groupes qu'ils privilégient. C'est
l'individu qui doit s'adapter pour correspondre à un idéal
collectif, et non les caractéristiques attribuées au groupe qui
doivent être relativisées pour faire place à la
diversité des individus.
Ces gens carburent à la fierté collective, aux drapeaux et
à la solidarité, aux victoires politiques, légales ou
militaires du groupe (c'est-à-dire des organisations qui
prétendent le représenter) contre l'ennemi collectif, etc.
C'est l'atteinte d'une position idéale pour le groupe qui colore leur
vision du monde et les motive à agir, et ils voudraient que tout le
monde embarque dans leur croisade. Ils ne comprennent pas pourquoi plusieurs
autour d'eux ne sont pas « conscientisées »
aux mêmes problèmes sociaux, et ils considèrent ceux qui
préfèrent rester à l'écart ou s'opposer à
leur démarche comme des égoïstes ou des traîtres.
L'État, qui incarne la « volonté nationale
» et qui arbitre les relations et conflits entre les multiples
groupes, est évidemment au centre des préoccupations de ces
collectivistes, puisque tout converge vers lui.
4-
viser une amélioration constante à
long terme plutôt qu'une perfection statique à court terme
Les libertariens
conçoivent la vie comme une suite ininterrompue d'adaptations et de
remises en question dans un monde en perpétuel changement. Ils ne
croient pas en la possibilité d'un monde parfait et utopique, comme la
société sans classe de Marx où tous seraient
égaux et verraient leurs besoins et désirs comblés
à jamais sans conflit. Même dans une société
fondée sur des principes libertariens, il y
aurait toujours des changements et des problèmes, des conflits et des
catastrophes. La différence majeure est que les individus seraient
mieux équipés pour y faire face et pour atteindre leurs buts
dans une plus grande harmonie.
Les libertariens ont donc une attitude
généralement réaliste et pragmatique et sont
réconciliés avec le monde tel qu'il est, même s'ils
souhaitent bien sûr eux aussi voir des changements pour le mieux. Ils
ne sont pas constamment désespérés de constater que nous
ne vivons pas dans un monde parfait, qu'il y a des inégalités,
des problèmes sociaux, de l'ignorance, de la pauvreté, de la
pollution et toutes sortes d'autres situations déplorables dans le
monde. Ils croient que seul l'effort, la créativité et
l'apprentissage individuels à long terme permettent de changer les
choses et qu'il n'y a pas de solution magique pour tout régler. De
toute façon, la vie comme processus biologique et la
société comme processus d'interaction humaine sont des
systèmes en perpétuel déséquilibre et en
perpétuel mouvement de rééquilibrage, et il n'y a donc
aucune raison de se désoler du fait que nous ne soyons pas encore
parvenus à créer un monde parfait. Un tel monde serait de toute
façon synonyme de stagnation et de mort.
Pour les aliénés de la vie qui sont «
conscientisés » à toutes les bonnes causes et qui
ressentent à chaque heure du jour le spleen de ne pas se trouver au
paradis, l'imperfection du monde est au contraire une source constante de
souffrance psychologique. Ceux-là ne veulent pas admettre qu'il n'y a
pas de solution immédiate à tous les problèmes de l'univers.
Comme on l'entend constamment dans la bouche des militants, ils trouvent que
la situation est « inacceptable » et qu'il faut «
intervenir sans délai ». Même s'ils
prétendent se préoccuper des problématiques à
long terme, ces frustrés ne visent qu'une seule chose: un bouleversement
social et politique immédiat qui apportera un progrès
instantané et leur enlèvera le poids de cette conscience
intolérable. Mais quoi qu'il arrive, ils sont de toute façon
difficilement capables de se défaire de cette attitude. Dès
qu'un problème semble se régler ou devenir moins urgent, ils se
dépêchent à se conscientiser et à s'impliquer dans
une autre cause, question de ne pas se laisser aller à ce qu'ils
croient être de « l'indifférence »
devant la souffrance du monde, c'est-à-dire une attitude saine et
réaliste devant le peu d'influence qu'on peut avoir sur le sort du
monde et une préoccupation première pour son propre sort. Les
révolutions, les utopies abstraites et farfelues qui passent par un
changement radical de régime – par l'État, donc – leur
paraissent bien sûr la seule solution ultime pour régler une
fois pour toutes ces problèmes urgents.
5-
être tolérant et accepter la
diversité
Les libertariens
ne sont pas des relativistes moraux; ils considèrent que la
liberté est une valeur fondamentale et, comme croyants ou partisans
d'autres philosophies particulières, ils peuvent professer des
principes plus ou moins stricts concernant la bonne conduite et le sens de la
vie. Toutefois, ils sont unis par une attitude bien précise: leur
acceptation de la diversité des opinions et des croyances et leur
refus d'imposer les leurs aux autres. Pour les libertariens,
tout est acceptable dans la mesure où quelqu'un ne porte pas
préjudice à autrui ou à sa propriété. Les
gens peuvent donc faire ce qu'ils veulent avec leur propre corps et entre eux
si c'est de façon volontaire. Ils peuvent se droguer, se prostituer,
ou consacrer leur vie et leur fortune à la vénération
des petits hommes verts venus d'autres planètes. Personne n'a
moralement le droit d'empêcher quiconque de vivre comme il l'entend
s'il ne fait de tort à personne d'autre, même si la presque
totalité de la population désapprouve son comportement
particulier.
Certains diront que les libertariens sont pourtant
intolérants envers leurs opposants idéologiques, par exemple
envers les socialistes et nationalistes, et qu'ils n'acceptent donc pas les
points de vue qui divergent de la philosophie libertarienne.
Mais cette critique ne tient justement pas: dans une société
véritablement libre, les individus pourront s'organiser comme ils le
voudront, dans la mesure où ils ne tentent pas d'imposer leur mode de
vie à ceux qui ne le souhaitent pas. Ainsi, les communistes pourront
s'acheter un territoire, fonder une commune, se soumettre volontairement
à un gouvernement local qui les taxera à 90% et qui planifiera
leur vie de classe prolétarienne dans les moindres détails. Ils
pourront inviter le reste du monde à venir les rejoindre dans leur
paradis terrestre mais, comme on l'a vu au cours du XXe siècle, c'est
généralement l'inverse qui se produit. De même, les
ultranationalistes et mystiques de la langue pourront s'imposer à
eux-mêmes – volontairement toujours, et sans que ça
affecte ceux qui n'en veulent rien savoir – une police de la langue qui
utilisera des techniques de scanning cérébral
ultrasophistiquées pour déterminer s'ils rêvent en
français ou dans une autre langue, avec des amendes appropriées
pour les contrevenants. Chacun pourra vivre selon son propre idéal et
laisser vivre son voisin selon le sien.
L'attitude des puritains, des paumés, des zélés, des
militants exaltés et des croyants fondamentalistes est tout à
fait à l'opposé. Ces collectivistes n'ont de répit tant
qu'ils n'ont pas imposé à tous leur vision idéale du monde.
Pour eux, la diversité est toujours une menace et la tolérance
doit toujours s'exercer « à l'intérieur de
certaines limites ». Des limites bien sûr
déterminées par les autorités gouvernementales et qui
réduisent inévitablement la liberté de tous ceux qui n'y
cadrent pas, même s'ils ne font de tort à personne. Dans la
vision du monde collectiviste, il n'y a tout simplement pas de place pour
ceux qui veulent vivre différemment.
Pour les traditionalistes intolérants par exemple, le simple fait que
les homosexuels existent et peuvent jouir de la vie est un affront à
la volonté divine qui doit être corrigé; pour les
égalitaristes coupeurs de têtes qui dépassent, la simple
existence de riches est une injustice flagrante, même si ces riches ont
gagné leur argent de façon honnête et en rendant des
services aux autres dans un marché libre; pour les nationalistes
xénophobes, le fait qu'il existe des citoyens québécois
qui ne parlent pas français à la maison ou sur la rue autour
d'eux, ou qui se foutent de l'identité québécoise qu'ils
exaltent et de la survie du français, est un affront direct à
la Nation, à nos vaillants ancêtres, à eux-mêmes
dans le plus profond de leur moi collectif, et ce même s'ils n'entrent
jamais en contact avec ces gens sauf en constatant des données
statistiques; pour les fascistes de la santé, ce ne sont plus les
désagréments causés par les fumeurs aux non-fumeurs qui
sont le problème, mais bien l'existence même de fumeurs: sinon,
pourquoi veulent-ils interdire la fumée dans tous les bars et
restaurants et empêcher les fumeurs de se retrouver entre eux sans
imposer leur fumée à qui que ce soit?
Quiconque fait preuve d'une forme d'intolérance et de refus de la
diversité qui s'apparente à celles-ci dans quelque domaine que
ce soit n'a évidemment rien d'un libertarien
et a tout d'un partisan de l'autoritarisme et la répression
étatique.
Pour conclure, assumer ses choix et cesser de rejeter la
responsabilité de ses actions sur les autres, voir l'aventure
humaine avec optimisme, refuser de s'en remettre à des
abstractions collectives, viser une amélioration constante
à long terme plutôt qu'une perfection statique à court
terme et être tolérant et accepter la diversité
sont des attitudes psychologiques essentielles pour ceux qui souhaitent vivre
l'idéal libertarien: quelqu'un qui les
cultive et qui applique systématiquement ces façons de voir les
choses aux situations de la vie a compris l'essentiel. Les arguments
théoriques plus complexes sur le fonctionnement d'une économie
de marché restent cruciaux pour les débats politiques et
économiques mais n'auront jamais le même impact, pour la plupart
des gens qui s'intéressent peu à ces débats, que la
conviction intuitive profonde, fondée sur ces principes
généraux, de vivre moralement et bien.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
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