En
aspergeant son corps d’essence et en s’immolant il y a plus
d’un an, Mohamed Bouazizi a déclenché
une révolution en Tunisie et les flammes de sa colère se sont propagées
dans tout le monde arabe.
Le
jeune vendeur de fruits et légumes de la petite ville de Sidi Bouzid
ne savait pas qu’il entrerait dans l’histoire comme le
déclencheur d’un séisme politique en Afrique du Nord et
au Moyen-Orient.
Même
s’il est le martyr le plus célèbre de ce réveil de
la jeunesse arabe, plusieurs milliers d’autres personnes ont
également donné leur vie pour mettre
à bas les régimes corrompus et autoritaires de la région.
Voici
l’histoire de cinq autres victimes des répressions
étatiques du Printemps Arabe.
Ahmed Bassiouny
(Égypte)
Alors
que le mécontentement envers le régime d’Hosni Moubarak grossissait
à la fin du mois de janvier 2011, de nombreux jeunes de la classe
moyenne se sont joints aux manifestants. Ahmed Bassiouny,
professeur et artiste numérique, était de ceux-là.
Cet
homme ordinaire, marié et père de
deux enfants, ne pouvait pas supporter de voir la violence utilisée
contre les manifestants. Après son deuxième
jour de participation, il écrit sur Facebook : « Ils veulent
la guerre, nous voulons la paix. Je
souhaite simplement que mon pays retrouve une certaine
dignité ». Le 28 janvier, l'une des journées les
plus violentes de la révolution égyptienne, les forces de
sécurité abattent Ahmed Bassiouny.
Estimation du nombre de morts lors de la révolution égyptienne
(janvier -décembre 2011) :
900.
Hamza al-Khatib,
Syrie
Le 29 Avril, Hamza al-Khatib (âgé de
13 ans) et sa famille rejoignent une manifestation à Deraa, berceau de
l'insurrection syrienne. Le garçon ne rentrera pas. Un mois plus tard,
les autorités syriennes acceptent de faire parvenir sa
dépouille à sa famille s’ils promettent de
l’enterrer discrètement. Mais des images vidéo du corps ont
rapidement circulé sur YouTube. Il
était en état de décomposition avancée et des
marques suspectes donnait à penser que le garçon avait
été torturé.
Son décès est survenu au moment où de nombreux syriens ne
savaient pas si le mouvement de protestation allait se poursuivre et de
quelle manière le régime allait le réprimer. La vidéo
macabre a galvanisé de nombreux militants et une page Facebook intitulée
« Nous sommes tous l'enfant martyr Hamza Ali al-Khatib »
a été plébiscitée par des dizaines de milliers de
personnes.
Estimation
du nombre de morts lors de la révolte syrienne (mars 2011-janvier
2012) : plus de 5 000.
Muhammad Nabbous
(Libye)
Ingénieur
en informatique, Muhammad Nabbous, dit
« Mo », a contourné
la mise à l’arrêt des serveurs Internet
contrôlés par le régime libyen en établissant une
connexion satellite directe pour que sa chaîne de
télévision amateur « Libya
al-Hurra TV » soit diffusée le
plus largement possible.
Cette
chaine de télévision a livré à un monde
incrédule à l'éveil de la Libye les premières
images de la répression sanglante des manifestations du pays.
« Je n'ai pas peur de mourir. J'ai
peur de perdre la bataille. C'est pourquoi je veux que les médias puissent
témoigner de ce qui se passe. Au
moins, si nous mourons, beaucoup de gens en seront témoins et la
rébellion se propagera partout » déclarait Muhammad Nabbous.
Journaliste citoyen, symbole d’une société civile
bourgeonnante après des décennies de tyrannie, il a
été abattu par un tireur isolé quelques heures avant qu’une
intervention de l'OTAN lève le siège de Benghazi, contribuant à
la chute du régime de Kadhafi.
Estimation
du nombre de morts lors de la révolution libyenne
(février-octobre 2011) : de 10 000 à 15 000.
Azizah Othman (Yémen)
La
mort d’Azizah Othman, une manifestante de 25
ans, à la fin du mois d’octobre 2011 a été
enregistrée par hasard et la vidéo a suscitée des
protestations dans tout le pays.
Dans
les jours qui ont suivi son décès, des femmes vêtues de
noir ont manifesté devant le siège du ministère des Affaires
étrangères à Sanaa, la capitale du Yémen, afin de
demander justice. Dans l'un des pays les plus conservateurs du monde arabe, la
première femme martyre d’une rébellion qui se poursuit
aujourd’hui est le symbole de l’implication des femmes dans la
société civile.
La vidéo de ses derniers instants montre son assassin, un loyaliste au
régime, se cachant le visage en s'avançant vers les
manifestants. Au milieu des cris et des coups de feu, la caméra se
tourne vers Azizah Othman, gisant dans une mare de
sang, son voile arraché révélant
un visage inanimé.
Estimation du nombre de morts lors des manifestations au Yémen (de
février 2011 à janvier 2012) : au moins 350.
Karim Fakhrawi
(Bahreïn)
À
la mi-mars 2011, la minorité sunnite au gouvernement fait
évacuer les manifestants du rond-point de la Perle, épicentre
du mouvement protestataire majoritairement chiite. Au cours des dix semaines suivantes
et en toute impunité, les forces de sécurité ont
procédé à des arrestations arbitraires et ont
systématiquement agressé
et humilié leurs détenus.
Dans ce contexte, Karim Fakhrawi, propriétaire d'une chaîne de
librairies à Bahreïn, se présente à un poste de
police le 3 avril, après que la maison d’un parent a
été saccagée par la police. Dix jours plus tard, son
cadavre est rendu à sa famille, les autorités prétendant
qu’il est mort d'insuffisance rénale. Une enquête
indépendante a constaté qu'il avait été
torturé à mort par la police.
Estimation du nombre de morts lors des manifestations à Bahreïn
(de février à octobre 2011) : 46.
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