Situation intéressante que celle qui se développe actuellement en parallèle de la progression de la Loi Travail à l’Assemblée nationale : La CGT pétrole a mis en place un blocage des raffineries françaises en vue d’obtenir le retrait de cette réforme du Code du travail. De son côté, le chef de l’État n’y voit pas un signe de grogne suffisant et, avec toute la diplomatie dont il est capable, persiste donc à laisser se poursuivre le parcours institutionnel pourtant fort chaotique de la loi.
On a bien du mal, à l’heure actuelle, à deviner ce que pourra devenir cette Loi Travail, tant elle a déjà subi d’amendements et d’ajustements de plus en plus substantiels, et tant la situation dans le pays semble se crisper.
Même si, à l’évidence, on constate un essoufflement dans les manifestations saupoudrées tout le long de la semaine dernière et dans celles qu’on pourra sûrement retrouver cette semaine encore, même si, là encore de façon évidente, le Français lambda semble se lasser des débats sur cette loi qui ne risque plus, en l’état actuel, de changer réellement son contrat de travail, on ne peut que constater une certaine radicalisation des syndicats, à commencer par la CGT. Radicalisation visible dans le choix délibéré de bloquer ces raffineries et donner encore un bon coup de fouet à l’économie et à la compétitivité du pays qui en avaient bien besoin.
Il faut dire que ce syndicat, en perte de vitesse et d’adhérents, doit montrer tout son pouvoir de nuisance pour arrêter l’hémorragie d’encartés et celle des fonds qui y sont associés. Les actions violentes sont donc à redouter. Mais en les attendant, ces opérations de blocage fournissent à une presse léthargique l’occasion de bien nous bidonner. Il suffit de se reporter aux déclarations d’Emmanuel Lépine, de la CGT Pétrole, qui explique sans rire que, je cite :
« Le but n’est pas de créer la pénurie, mais d’obtenir le retrait de la loi travail »
Ah, nous voilà donc rassurés, et tout s’éclaire : il ne s’agit pas d’un blocage mais d’un happening géant, il n’est pas question de pénurie mais d’un déplacement temporel des nécessités et d’une remise à plus tard des déplacements prévus. Ouf. De loin, on aurait vraiment dit que des automobilistes ne pouvaient plus s’approvisionner, et que d’honnêtes citoyens allaient devoir se débrouiller sans véhicule dans les prochains jours. En fait, que nenni : ces individus seront simplement des participants actifs involontaires (mais, gageons-le, heureux) à ce happening géant pour une procédure législative alternative où ce sont ceux qui gueulent le plus fort en faisant des clefs de bras aux autres qui font ou non passer les lois de leur choix. Rappelons qu’au contraire des turbo-libéraux, les syndicalistes pas libéraux du tout méprisent la loi du plus fort et favorisent, eux, le dialogue social à coup de clef à molette et la démocratie très participative du « Si t’es pas content on va te péter les genoux ».
La démocratie à la française, cela vous a vraiment un fumet délicieux, non ?
Rassurez-vous : les petites tensions causées par ce genre de comportements n’ont pas échappé aux autorités françaises aux frontispices desquelles on peut toujours lire, entre deux prises de coke massives pour aider, « Liberté Égalité Fraternité ». Dès lors, dans plusieurs préfectures à commencer par celle du Calvados, voyant les files de voitures s’allonger et les réserves diminuer, le préfet a décidé d’interdire la vente de carburant en jerricans « afin d’éviter le surstockage » et appelé chacun à « faire preuve de civisme et de bon sens ».
Méchant surstockage de ces travailleurs égoïstes qui cherchent bêtement à aller travailler au lieu de rester en panne au milieu de la cambrousse ! Méchant anti-civisme de ces automobilistes qui vont acheter de l’essence en toute impunité, au vu et au su de tous, bafouant les bonnes mœurs !
Nous sommes en France, que diable, ce pays magique où, quand les licornes ne rotent pas un revenu universel, elles bougent avec leurs queues chamarrées tous les curseurs de la normalité pour transformer le bon sens en un flot continu de n’importe quoi vibrant. Et dans ce pays magique où les syndicalistes grignotent de l’arc-en-ciel sur base pluriquotidienne et les journalistes du Tranxene moulé à la louche, il est parfaitement normal de lire dans un article sérieux (pas Gorafi inside, donc) qu’un préfet peut choisir d’interdire les jerricans pour les particuliers mais pas interdire les blocages de raffineries qui menacent pourtant l’ordre public (ainsi que l’économie d’un pays au demeurant dans le fossé).
Dans ce même pays magique, on peut ainsi appeler à « faire preuve de civisme » en tombant courageusement en rade d’essence (en hommage au Venezuela, je suppose – ♩♪ Chavez, avec nous, tu nous a montré la voie ♬ Maduro, rejoins-nous, nous avons besoin de toaaaahlléluhia ♫♬) plutôt qu’aller naturellement faire quelques réserves en attendant que le gouvernement fasse libérer les raffineries ou, alternativement, se carpétise un peu plus et cède aux demandes des excités. En somme, faire preuve de civisme, c’est ne surtout pas aller péter la bobine d’un abruti de syndicaliste décidé à pourrir la vie de milliers d’automobilistes. Quant au civisme du syndicaliste, lui, il n’est pas ouvert à débat. On pourrait croire à un privilège du syndicalisme, mais il n’en est rien. Il s’agit simplement de « bon sens », évidemment.
Maintenant, lorsque dans ce pays, certains iront régler physiquement leurs comptes avec d’autres, le but ne sera pas de créer une révolution, mais simplement d’obtenir enfin un peu de liberté de se déplacer et d’égalité de traitement devant la loi, et tout ira bien.
Dans la dynamique qui secoue actuellement le pays, Hollande et Valls devront faire preuve de beaucoup de doigté pour se ménager une porte de sortie avec les syndicats et conserver la face lorsqu’il s’agira soit d’abandonner le projet, soit de le vider encore un peu plus de sa substance, comme prévu.
L’exercice promet d’être intéressant pour l’observateur extérieur, goguenard et alimenté sans problème en essence. Il pourrait être plus douloureux pour les Français, otages de cette situation ridicule. Il sera épuisant pour l’Exécutif français, laminé par des mois de gesticulations grotesques.
Mais indépendamment du résultat, lorsqu’on voit la réaction des autorités devant des exactions manifestes, on n’arrive qu’à une unique conclusion : ce pays est foutu.