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Combustions lentes

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Paul Jorion.
Published : May 26th, 2010
1027 words - Reading time : 2 - 4 minutes
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Lorsque l’on quitte un instant les cimes de la finance et de l’économie pour s’intéresser à l’étage du dessous, dont on ne parle pas assez, que peut-on observer ? Que le feu y couve, de manière moins spectaculaire mais avec d’importants effets potentiels. Comme s’il se confirmait qu’il y avait eu plusieurs départs du feu, signe incontestable qu’il n’a pas été accidentel, et surtout qu’il n’est pas éteint.

Est-ce un prétexte pour reparler de ces bombes à retardement que sont les marchés hypothécaires résidentiel et commercial, aux Etats-Unis ou dans les pays qui ont le plus succombé au démon de la promotion immobilière, comme l’Espagne ? C’est un peu tôt encore pour le faire, il faut attendre encore.

Ou bien pour remettre sur le tapis le marché des LBO (leveraged buyout), cette technique à fort effet de levier qui consiste à financer l’acquisition d’entreprises par l’endettement, en leur faisant ensuite supporter le poids du remboursement des dettes contractées ? Un nombre de plus en plus grand d’entre elles n’y parvenaient plus et les banques ont du procéder à des refinancement, afin de ne pas constater d’importantes pertes, vu la dimension des opérations. Le cap difficile est pour l’instant doublé en Europe, grâce à l’afflux de liquidités qui a permis d’y procéder sans encombre. On verra par la suite, quand les nouvelles échéances surviendront et si la récession se précise.

Non, c’est l’occasion pour faire le point sur la situation des collectivités locales, régions, grandes villes et Etats américains, en Europe et aux Etats-Unis. Les principaux bailleurs des fond des programmes sociaux.

En Europe, Les marchés vont être extrêmement sollicités par les collectivités. Standard & Poor’s évalue leurs besoins financiers, pour cette année, à 1.300 milliards d’euros, ce qui confirme l’embouteillage annoncé sur le marché obligataire. Les Länder allemands et les régions espagnoles sont parmi les plus gros emprunteurs. La situation a commencé à se tendre, les agences de notation commençant à abaisser leurs notes, la compétition devenant accrue entre emprunteurs, les taux obtenus augmentant en conséquence. Alors que les Etats sont sommés de réduire leurs propres déficits, tout en s’étant comme en France défaussés sur les collectivités de coûts qu’ils supportaient auparavant, sans clairement les compenser financièrement. Les recettes fiscales locales, elles, sont à la baisse en raison de la situation économique. La crise économique est à l’oeuvre : une des régions européennes les plus florissantes, la Catalogne espagnole, va devoir lever cette année 9,4 milliards d’euros et va aller les chercher, pour la première fois, jusqu’au Japon.

Mais un autre facteur est à l’oeuvre, se révélant dans toute son ampleur en Italie. A l’occasion du procès de Milan où sont poursuivis JP Morgan, Deutsche Bank, UBS et Depfa (la banque allemande spécialisée dans les prêts aux collectivités), on a appris qu’un tiers de la dette des collectivités locales italiennes était composée d’actifs toxiques, pour une valeur nominale de 35,5 milliards d’euros. Combien vaudront-ils lorsqu’ils arriveront à échéance, alors qu’ils n’ont pas encore été dépréciés ? Quels nouveaux besoins de financement en résultera ?

La situation se présente différemment aux Etats-Unis, les Etats étant dans l’obligation d’équilibrer leurs comptes courants, ne pouvant emprunter que pour financer leurs investissements (à l’exception du Vermont). Ils n’ont d’autre ressource, en cas de besoin, que de se retourner vers l’Etat fédéral. Cela vient d’être le cas de trente-trois d’entre eux, qui y ont été contraints afin de payer les indemnités de chômage, pour un total de 38,7 milliards de dollars. A elle seule, la Californie, le plus riche des Etats américains, la 8 éme puissance économique mondiale si elle était indépendante, a émargé pour la somme de 8,4 milliards de dollars.

Cette situation est un véritable boulet aux pieds de l’Etat fédéral, contrecarrant ses efforts de relance de l’économie et gonflant son endettement. C’est l’éclatement de la bulle immobilière qui en est la première cause, diminuant fortement les rentrées fiscales. Le dépenses sociales augmentant pour leur part, notamment pour financer Medicaid (soins pour les personnes à très faibles revenus), qui représente en moyenne 20% des dépenses des Etats. Il a donc fallu effectuer des coupes budgétaires, elles ont représenté 31,7 milliards de dollars l’an dernier et il est prévu qu’elles totalisent 55,7 milliards de dollars cette année. Car les mesures d’augmentation des taxes n’ont contrebalancé la chute des rentrées qu’à hauteur de 36%.

Les budgets ont donc été coupés de tous côtés : éducation, santé publique, aide aux personnes âgées, malades mentales ou handicapées, suppression de postes dans la fonction publique ou congés non payés imposés. Tous les expédients sont utilisés pour tenter de faire face au déficit des finances publiques. Les Etats sont entrés dans une véritable dérive, incapables d’assumer leurs missions, laissant les Américains les plus démunis sur le carreau.

Arnold Schwarzenegger, le gouverneur de la Californie a résumé ainsi la situation  : « La Californie n’a plus de fruits à cueillir à portée de main. Maintenant, nous devons retirer l’échelle et secouer tout l’arbre ».

La crise se propage lentement mais sûrement dans la société. Porteuse de nouveaux ravages silencieux, d’isolements définitifs et de délitements insidieux. Destructrice de liens sociaux et génératrice d’angoisse sociale. Annonçant le pire des bilans qui va pouvoir en être tiré, que le PIB ne mesurera pas. Une défaite que ceux qui ne seront pas atteints affecteront d’ignorer ou de repousser, par peur ou par cynisme. Les deux à la fois, sans doute.



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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