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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Lorsque
l’on quitte un instant les cimes de la finance et de
l’économie pour s’intéresser à
l’étage du dessous, dont on ne parle pas assez, que peut-on
observer ? Que le feu y couve, de manière moins spectaculaire mais
avec d’importants effets potentiels. Comme s’il se confirmait
qu’il y avait eu plusieurs départs du feu, signe incontestable
qu’il n’a pas été accidentel, et surtout
qu’il n’est pas éteint.
Est-ce
un prétexte pour reparler de ces bombes à retardement que sont les
marchés hypothécaires résidentiel et commercial, aux
Etats-Unis ou dans les pays qui ont le plus succombé au démon
de la promotion immobilière, comme l’Espagne ? C’est un
peu tôt encore pour le faire, il faut attendre encore.
Ou
bien pour remettre sur le tapis le marché des LBO (leveraged
buyout), cette technique à fort effet de
levier qui consiste à financer l’acquisition d’entreprises
par l’endettement, en leur faisant ensuite supporter le poids du
remboursement des dettes contractées ? Un nombre de plus en plus grand
d’entre elles n’y parvenaient plus et les banques ont du
procéder à des refinancement, afin de
ne pas constater d’importantes pertes, vu la dimension des
opérations. Le cap difficile est pour l’instant doublé en
Europe, grâce à l’afflux de liquidités qui a permis
d’y procéder sans encombre. On verra par la suite, quand les
nouvelles échéances surviendront et si la récession se
précise.
Non, c’est
l’occasion pour faire le point sur la situation des
collectivités locales, régions, grandes villes et Etats
américains, en Europe et aux Etats-Unis. Les principaux bailleurs des fond des programmes sociaux.
En
Europe, Les marchés vont être extrêmement
sollicités par les collectivités. Standard & Poor’s évalue leurs besoins financiers, pour
cette année, à 1.300 milliards d’euros, ce qui confirme
l’embouteillage annoncé sur le marché obligataire. Les
Länder allemands et les régions espagnoles sont parmi les plus
gros emprunteurs. La situation a commencé à se tendre, les
agences de notation commençant à abaisser leurs notes, la
compétition devenant accrue entre emprunteurs, les taux obtenus
augmentant en conséquence. Alors que les Etats sont sommés de
réduire leurs propres déficits, tout en s’étant
comme en France défaussés sur les collectivités de coûts
qu’ils supportaient auparavant, sans clairement les compenser
financièrement. Les recettes fiscales locales, elles, sont à la
baisse en raison de la situation économique. La crise
économique est à l’oeuvre :
une des régions européennes les plus florissantes, la Catalogne
espagnole, va devoir lever cette année 9,4 milliards d’euros et
va aller les chercher, pour la première fois, jusqu’au Japon.
Mais
un autre facteur est à l’oeuvre, se
révélant dans toute son ampleur en Italie. A l’occasion
du procès de Milan où sont poursuivis JP Morgan, Deutsche Bank,
UBS et Depfa (la banque allemande
spécialisée dans les prêts aux collectivités), on
a appris qu’un tiers de la dette des collectivités locales
italiennes était composée d’actifs toxiques, pour une
valeur nominale de 35,5 milliards d’euros. Combien vaudront-ils
lorsqu’ils arriveront à échéance, alors
qu’ils n’ont pas encore été
dépréciés ? Quels nouveaux besoins de financement
en résultera ?
La
situation se présente différemment aux Etats-Unis, les Etats étant
dans l’obligation d’équilibrer leurs comptes courants, ne
pouvant emprunter que pour financer leurs investissements (à
l’exception du Vermont). Ils n’ont d’autre ressource, en
cas de besoin, que de se retourner vers l’Etat fédéral.
Cela vient d’être le cas de trente-trois d’entre eux, qui y
ont été contraints afin de payer les indemnités de
chômage, pour un total de 38,7 milliards de dollars. A elle seule, la
Californie, le plus riche des Etats américains, la 8 éme puissance économique mondiale si elle
était indépendante, a émargé pour la somme de 8,4
milliards de dollars.
Cette
situation est un véritable boulet aux pieds de l’Etat
fédéral, contrecarrant ses efforts de relance de
l’économie et gonflant son endettement. C’est
l’éclatement de la bulle immobilière qui en est la
première cause, diminuant fortement les rentrées fiscales. Le dépenses sociales augmentant pour leur part,
notamment pour financer Medicaid (soins pour les personnes à
très faibles revenus), qui représente en moyenne 20% des
dépenses des Etats. Il a donc fallu effectuer des coupes
budgétaires, elles ont représenté 31,7 milliards de
dollars l’an dernier et il est prévu qu’elles totalisent
55,7 milliards de dollars cette année. Car les mesures
d’augmentation des taxes n’ont contrebalancé la chute des
rentrées qu’à hauteur de 36%.
Les
budgets ont donc été coupés de tous
côtés : éducation, santé publique, aide aux
personnes âgées, malades mentales ou handicapées,
suppression de postes dans la fonction publique ou congés non
payés imposés. Tous les expédients sont utilisés
pour tenter de faire face au déficit des finances publiques. Les Etats
sont entrés dans une véritable dérive, incapables
d’assumer leurs missions, laissant les Américains les plus
démunis sur le carreau.
Arnold
Schwarzenegger, le gouverneur de la Californie a résumé ainsi
la situation : « La Californie
n’a plus de fruits à cueillir à portée de main.
Maintenant, nous devons retirer l’échelle et secouer tout
l’arbre ».
La
crise se propage lentement mais sûrement dans la société.
Porteuse de nouveaux ravages silencieux, d’isolements définitifs
et de délitements insidieux. Destructrice de liens sociaux et
génératrice d’angoisse sociale. Annonçant le pire
des bilans qui va pouvoir en être tiré, que le PIB ne mesurera
pas. Une défaite que ceux qui ne seront pas atteints affecteront
d’ignorer ou de repousser, par peur ou par cynisme. Les deux à
la fois, sans doute.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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