Et soudainement, les tempêtes qui
faisaient rage depuis le début de la Trumptopie se calment, ou du moins
semblent le faire. La surface de toutes choses devient peu à peu comme
surnaturellement tranquille, alors que les douceurs du mois de mai balaient
les peines apportées par une trop longue saison d’averses. Kim Jung Un a de
nouveau été fourré dans son bunker avec un carton de Kool Aid et les vidéos
de Vin Diesel. La France semble s’être résignée à une Hollandaise allégée qui
prend la forme rafraîchissante du jeune prodige Macron. Voilà maintenant des
semaines que le New York Times
s’est plaint du vol par les Russes du tour d’Hillary sur le trône du monde
libre. Et voilà que le Congrès est parvenu comme par magie à établir un plan
de dépenses qui nous permettra d’éviter une fermeture du gouvernement jusqu’en
septembre… Gardez donc l’esprit tranquille… et n’oubliez pas d’acheter à
chaque creux du marché.
Une surface calme est exactement
ce sur quoi aiment atterrir les cygnes noirs, bien que, par définition, nous
ne nous apercevrons pas de leur arrivée jusqu’à ce que nos rêves se trouvent brisés
par les bruits de leurs battements d’ailes. Un drôle d’oiseau est venu se
poser sur l’étang en dégel du Canada la semaine dernière, pour voir le plus
gros prêteur hypothécaire du pays souffrir d’un déclin de 60% de ses capitaux
propres et nécessiter un refinancement d’urgence – non pas par le gouvernement
canadien directement, mais par le fonds de pension Health Care Workers de la
province de l’Ontario – un petit tour de passe-passe d’un an porteur de 10% d’intérêts.
Si c’est là un moyen pour les
régimes de retraite insolvables des employés du secteur public de mettre la
main sur suffisamment de rendements pour satisfaire leurs obligations, alors
ce pourrait aussi bien être la solution miracle qu’emploieront les fonds de
pension américains. La prochaine fois que Citibank, Goldman Sachs, JP Morgan
et autres se mettront à tourner de l’œil, pourquoi ne pas les renflouer à l’aide
de prêts à dix pourcent émis par le fonds de pension des chauffeurs de bus scolaires
de la ville de Détroit ? Voilà qui devrait fonctionner. Et laissons Calpers
se charger de Wells Fargo.
Au travers de la civilisation
occidentale, la situation est désormais comme suit : toutes les
institutions financières majeures sont devenues des combines à la Ponzi, et
nous en sommes arrivés au point où elles ne peuvent plus que prétendre être remises
sur pieds. Plans de sauvetage ou non, le groupe Home Capital Group basé à Toronto
croule toujours sous une montagne de prêts hypothécaires non-performants – sa
spécialité – et la très spectaculaire bulle sur le marché immobilier du
Canada a tout juste commencé à exploser. Les nantissements commencent à
pourrir tels de la viande sous le soleil de mai, et les vapeurs qui en
émanent ne tarderont pas à flotter jusqu’à nous.
Il n’en faut pas beaucoup pour
tout faire exploser, comme le monde a pu s’en apercevoir suite à un certain
nombre de récents évènements. La contagion bancaire de 1998 a commencé avec l’effondrement
de la devise thaïlandaise, le baht. Je doute que nous aurions pu trouver plus
d’une poignée de personnes à Wall Street ou à la Réserve fédérale (et ses
centaines de docteurs en économie) qui avaient alors quoi que ce soit à faire
du baht. Et pourtant, la Corée du Sud et l’Indonésie ont immédiatement été
emportées dans la tempête. Puis la Russie. C’est alors que les économistes
lauréats du Prix Nobel du fonds de couverture Long Term Capital Management se
sont aperçus que leur « formule d’investissement secrète » qui « ne
pourra pas échouer tant que cet univers et d’autres comme lui existeront »
avait empoisonné leurs bilans d’obligations souveraines russes après seulement
dix-huit mois. L’attention de tous les grands poobahs du système bancaire
américain a été nécessaire au renflouage papier de la firme, cinq minutes
avant la fermeture du système bancaire global, venue compléter la plus longue
guirlande de trappes financières jamais assemblée.
Et dix ans plus tard est survenu
le fiasco de 2008, avec Lehman Brothers dans le rôle principal, accompagnée d’une
troupe d’escrocs démoniaques trafiqueurs de dette obligataire toxique liée à
un réseau tout aussi toxique de produits dérivés financiers – de mauvais
paris entre contreparties insolvables qui se font passer pour des assurances
contre des investissements à risque. Mais des trillions de dollars de plans
de refinancement et de nouvelle monnaie créée à partir de rien sont venus
régler tout ça. Ou pas.
Profitez donc des festivités
printanières et des eaux soudainement calmes des affaires globales, mais
prêtez toutefois l’oreille au bruit éventuel de battements d’ailes.