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Les régimes à vrais droits limitent l'ampleur de
l'intervention gouvernementale au volume des droits (de
propriété et de transactions) que le Gouvernement commande.
Ceux-ci peuvent lui être assujettis, soit directement par la voie
fiscale, soit indirectement par contrainte de la volonté de leurs
titulaires. Mais dans les deux cas, il ne peut y avoir souveraineté
gouvernementale que par prélèvement sur les
souverainetés individuelles.
Or, les circonstances sont fréquentes où un Gouvernement
ne peut, ou ne veut, ni gouverner moins, ni prélever plus. C'est le
cas, notamment, des Gouvernements engagés dans une guerre d'où
dépend le salut du pays; c'est le cas aussi des Gouvernements
liés à un programme politique, dont le caractère
même ne leur permet pas d'obtenir par l'emprunt ni d'exiger par
l'impôt le financement des tâches qu'ils ont promis d'accomplir,
pas plus que d'en imposer directement l'accomplissement aux membres de la
collectivité qu'ils gouvernent.
Pour que la limite d'intervention puisse être franchie, il faut
et il suffit que le Gouvernement puisse majorer le volume de ses droits,
autrement dit qu'il puisse faire prendre les richesses dont directement ou
indirectement il dispose, à un prix supérieur à leur
prix d'équilibre sur le marché.
La fixation autoritaire des prix, voilà le moyen de donner sans
prendre et d'obtenir sans demander; mais nous allons montrer qu'elle
entraîne inéluctablement l'apparition de faux droits et
détruit l'efficacité du système juridique, provoquant le
désordre social.
C'est notamment l'un des soucis constants des Gouvernements modernes,
que de fixer le volume de certains droits au niveau qu'ils tiennent pour
équitable et les soustraire, par là, aux aléas des
fluctuations économiques. C'est ainsi qu'en établissant pour le
blé un régime de prix minimum, la loi du 15 Août 1936 a permis de porter le
prix du blé en France à un niveau sensiblement supérieur
à celui qu'eût assuré l'équilibre du
marché. Il n'est pas impossible qu'une police efficace
réussisse à faire respecter le prix légal. Celui-ci sera
alors, effectivement, le prix du marché; le prix d'équilibre ne
sera plus qu'un prix virtuel, auquel le marché ne se trouverait
ramené que si la loi fixant le prix minimum était abrogé. Mais pour virtuel qu'il soit, tant que la
désirabilité du produit et l'indésirabilité
de sa production ne se modifient pas, les courbes d'offre et de demande en
fonction du prix - donc le prix d'équilibre - ne se modifient pas.
Toute fixation du prix légal à un niveau
supérieur au prix d'équilibre entraîne
inévitablement, tant qu'elle n'est pas accompagnée de mesures
augmentant la demande ou diminuant l'offre, un excédent des offres sur
les demandes. Le blé correspondant à ces offres en
excédent ne trouvera pas preneur. Malgré le désir de ses
détenteurs et leur droit de le vendre au prix taxé, il sera
invendable; les droits qui le "contiennent" " ne vaudront
aucune faculté de disposition à leur titulaire, ils seront de
faux droits. L'attribution de ces faux droits est, il est vrai, indéterminée. Ils seront ceux des offreurs
qui n'auront pas eu la chance de capter l'une des trop rares demandes formulées
sur le marché. Les agriculteurs qui, en France, vers la fin de 1936,
offraient vainement leur blé au prix légal, ont
éprouvé directement, dans leurs facultés d'achat, la
réalité et l'inexorabilité du mécanisme des prix.
Toute valorisation qui agit sur le prix sans agir sur les causes du
prix conduit aux mêmes déceptions : l'expérience du
café, celle des diamants, les ont mises en pleine lumière. Et
l'échec des emprunts offerts à un prix supérieur au prix
du marché, échec qui laisse à l'emprunteur une partie
des titres offerts, montre que la notion du prix d'équilibre vaut pour
tous les compartiments du marché.
C'est ainsi, encore, que la valorisation des salaires,
généralement obtenue par voie de conventions collectives
plutôt que par fixation de salaires minima, a créé du
chômage lorsqu'elle portait le prix du travail au-dessus de son niveau
d'équilibre. Les ouvriers qui offraient vainement leur force et leur
temps, ont éprouvé tragiquement que les droits à eux
attribués, bien que d'un volume jugé équitable,
n'étaient que de taux droits.
L'attribution du privilège de minima conserve les apparences du
mécanisme juridique, mais le vide de sa vertu essentielle la
souveraineté réelle des titulaires de droits dans l'exercice de
ces droits. Dans l'état social que pareille attribution institue,
certaines richesses demeurent obligatoirement contenues dans des droits
où elles ne sont pas désirées.
La règle fondamentale des ordres sociaux, règle qui
place chaque richesse dans la position que souhaitent pour elles les
personnes qui ont juridiquement qualité pour la mouvoir, n'est plus
respectée. Bien plus, elle est expressément violée pour
toutes les richesses offertes et non demandées. Or, l'existence d'un
excédent d'offres ne peut pas ne pas susciter concurrence entre les
offreurs craignant de ne pas trouver contrepartie. Ils chercheront à
capter une part de l'insuffisante demande par divers sacrifices: abattements
occultes sur le prix légal, octroi d'avantages accessoires, corruption
des acheteurs... Ainsi, par tous leurs caractères, qu'ils soient
obéis ou violés, les régimes à faux droits sont
des désordres sociaux.
Leur véritable nature, cependant, serait incomplètement
décrite Si on ne marquait pas que l'étude présente a
été volontairement limitée aux aspects
économiques de la situation. Se borner à dire que les
civilisations à faux droits engendrent le désordre social,
c'est risquer de dissimuler sous une abstraction les troubles et les
souffrances qui ravagent les sociétés dont on a brisé le
mécanisme régulateur, c'est omettre les aspects humains de ces
troubles, le découragement des producteurs sans clients, l'attente
désespérée des travailleurs sans emploi, l'universelle
corruption qui est le fruit de toute rivalité entre offreurs et
demandeurs.
Les hautes autorités administratives ont dû entendre les
plaintes des producteurs de blé invendable. Pour y parer sans renoncer
à la valorisation du produit, elles ont adopté la seule
solution logique: acheter tous les stocks offerts et non demandés au
prix légal. Ainsi, le prix du marché ne pouvait être
inférieur au prix auquel le Gouvernement "prenait" les
excédents. Tout droit "rempli" de blé, pouvant
toujours être "vidé" de son contenu, devenait un vrai
droit. Tel est le principe de la solution que l'Office du Blé a mise
en œuvre en chargeant, non le Gouvernement directement, mais un service
public interposé, d'acheter (ou de faire acheter par les
coopératives agricoles) les quantités de blé qui ne
trouvaient pas preneur au prix légal.
Cette solution est générale. L'indemnité de
chômage, par exemple, n'est que l'achat, partiel il est vrai, de
services offerts et non demandés au prix légal. Comme l'Office
du Blé, le Trésor reçoit mission de racheter toute créance
échue et non renouvelée, qu'il ait ou non dans le produit des
impôts le moyen d'opérer ce rachat. Pour lui épargner
l'insolvabilité, il n'est qu'une solution : obliger la Banque
d'émission à acheter, pour les monétiser, les fausses
créances in désirées. Et pour que la Banque
échappe à l'absorption de son capital, l'Etat lui accorde le
privilège de l'inconvertibilité.
La monnaie étant inconvertible en or, la faculté de
remboursement de la Banque est limitée en fait, à chaque
instant, au montant des effets antérieurement escomptés venant
à échéance; dès que le montant des remboursements
demandés excédera celui des effets venant à
échéance, seuls les premiers demandeurs pourront être
remboursés. Les vendeurs seront tentés de se défendre
contre la perte qui pourrait ainsi leur être infligée, en
refusant la vente contre billets de banque; l'Etat frappe de sanctions ce
refus, et donne cours forcé au signe monétaire.
Par l'éligibilité à l'escompte des fausses
créances, l'inconvertibilité de la monnaie et le cours
forcé, l'Etat est assuré de pouvoir indéfiniment
échanger de fausses créances, pour la valeur nominale qu'il lui
plaît de leur attribuer, contre les vraies richesses qu'il souhaite
acheter. Mais le volume des droits à remplir l'emportant sur le volume
des droits vidés sur le marché, le niveau général
des prix augmentera, dans la mesure nécessaire pour porter la valeur
globale des richesses offertes sur le marché au niveau des droits
destinés à les contenir.
Amenuisement des réserves métalliques en régime
de convertibilité, diminution du portefeuille commercial puis hausse
des prix en régime d'inconvertibilité, traduiront la
résistance des réalités au mensonge que les hommes ont
commis en créant de toutes pièces des droits vides de
substance, en attribuant du pouvoir d'achat sans contrepartie de richesses
à acheter.
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