L’ère
des banques centrales modernes commence en 1913, avec la création de
la Federal Reserve aux États-Unis. Avant
cela, les banques centrales, ou plutôt les banques nationales,
n’avaient pas les mêmes fonctions que celles que possèdent
aujourd’hui les banques dites « centrales ». La
Banque d’Angleterre était un consortium constitué des
créanciers du roi d’Angleterre pour mieux faire valoir leurs
droits face à la couronne. Cette organisation des créanciers a d’ailleurs
permis de mieux organiser les levées de fonds pour la couronne en
homogénéisant les procédures et en simplifiant les démarches.
Une autre pionnière,
la Banque d’Amsterdam, a été instituée au
XVIIème siècle pour mettre de l’ordre sur le
marché monétaire hollandais. Ville portuaire importante, au cœur
des échanges entre le bassin méditerranéen, la France, les
cités hanséatiques et les pays du Nord de l’Europe,
Amsterdam recevait un afflux important de pièces d’or,
d’argent, de cuivre, ainsi que des lettres d’échange
émises par différents marchands, toutes origines confondues. La
diversité et le dynamisme du marché d’Amsterdam se
traduisaient également par des coûts de transaction
élevés.
Cela posait
nombre de problèmes. Le premier venait de l’infinité des
dénominations monétaires des différentes pièces
et lettres d’échange. Elle exigeait beaucoup d’attention
de la part des marchands, des banquiers et des différents partenaires
à l’échange, lors de la réalisation des
transactions et la rédaction des contrats. La fraude constituait un
autre problème. Il était assez commun d’altérer le
contenu métallique des pièces en le remplaçant par des alliages,
en les allégeant ou en négociant des lettres émises sans
couverture. Le gouvernement de la ville d’Amsterdam décida alors
de créer la Banque d’Amsterdam pour régulariser le
marché monétaire. Tout marchand voulant négocier sur la
place d’Amsterdam devait déposer ses pièces et lettres à
la Banque d’Amsterdam qui leur offrait deux possibilités. Le déposant
pouvait soit accepter de recevoir en Florins hollandais, l’équivalent
de son dépôt d’origine, moyennant des frais pour la
refonte des pièces. Soit, il était tenu d’accepter un
certificat de dépôt de la Banque d’Amsterdam,
délivré pratiquement sans frais.
Ce monopole
monétaire fut bien accepté au départ car les marchands
faisaient confiance à la promesse de la banque de tenir des
réserves monétaires à 100%. Néanmoins, lorsque
les marchands découvrirent que cette promesse n’était pas
tenue, la banque perdit la confiance de ses clients et fit faillite en 1790.
La Banque
d’Angleterre a su éviter cette erreur au début du
XIXème siècle en alliant une promesse de convertibilité
de ses billets à un étalon or-lingot. Autrement dit, la banque
ne convertissait pas les billets contre des pièces (petites
dénominations), mais uniquement contre des lingots. Ceci avait la
vertu pour la banque de décourager la plupart de la population de convertir
automatiquement ses billets en or, ce qui assura une certaine
stabilité au système. En outre, à la même
époque, la Banque d’Angleterre va obtenir le cours légal
de ses billets sur tout le territoire britannique. Ceci a été
possible grâce à l’expansion du réseau
d’agences de la Banque d’Angleterre sur l’ensemble du
territoire. La banque centrale s’est alors érigée en système
bancaire unique, ce qui a beaucoup facilité les transactions en raison
de la « plateforme » commune mise à disposition
par la banque.
La Banque de France,
quant à elle, a été fondée par Napoléon en
1800 sur le modèle britannique. Le résultat fut identique grâce à une
présence forte de la Banque de France sur tout le territoire
français. Un système bancaire intégré permettait
de réduire les coûts de transaction et donnait aux banques
privées la possibilité de bénéficier des avantages
d’une chambre de compensation interbancaire unique. Cette compensation
interbancaire, présente même aujourd’hui partout dans le monde,
leur évitait les transferts de métal à chaque transaction
au profit d’une simple compensation des soldes nets de créances
entre les banques.
Les banques
nationales n’intervenaient que très rarement pour sauver
massivement des banques en détresse. Les refinancements qu’elles
donnaient à ces banques étaient ponctuels et limités.
Les faillites bancaires étaient alors relativement fréquentes
et les banques privées étaient livrées à elles-mêmes
pour éteindre le feu des crises financières.
Le jeu change en
1913. La Fed est justement créée pour inclure la fonction de « prêteur
du dernier ressort », en plus de ses missions principales. Elle a
dorénavant la mission de garantir aussi la stabilité du
système financier en mettant à la disposition des banques commerciales
une offre continue de liquidités.
Un lien est cependant
maintenu entre ces banques centrales et les banques nationales dont elles
sont issues. Le refinancement bancaire n’est ainsi octroyé
qu’aux banques commerciales qui détiennent des lettres et des obligations
d’État dans leur bilan. Autrement dit, la banque centrale
refinance ceux qui financent l’État.
Les missions de
soutien à la croissance et de surveillance de l’inflation
émergeront plus tard. Celle-ci nait de l’épisode
hyper-inflationniste en Allemagne dans les années 1920. Elle sera
étendue dans le monde entier lors de l’épisode de stagflation
des années 1970. Aujourd’hui la plupart des banques centrales
incluent le contrôle de l’inflation parmi leurs objectifs
principaux.
Le rôle
de soutien à la croissance surgit officieusement dans les
années 1920 aux États-Unis. Il devient officiel après la Grande dépression
et surtout après la Seconde guerre mondiale. Les entrepreneurs ayant
besoin de crédits pour financer leur production, il est plus aisé
de stimuler l’économie par le biais d’un crédit pas
cher et abondant qu’en augmentant les dépenses gouvernementales.
La raison est simple. Une simple augmentation de la dépense ne se
traduit pas toujours par une épargne plus élevée,
surtout si le risque inflationniste menace le pouvoir d’achat à
terme. Par conséquent, les entrepreneurs risquent de manquer de
capitaux pour financer une expansion de leur production. Les banques
centrales sont alors tenues de fournir les banques en liquidités pour
que celles-ci puissent ensuite procéder à une expansion du
crédit auprès des producteurs et des consommateurs.
S’il est
vrai que la centralisation bancaire a pu permettre une meilleure organisation
du système bancaire, elle comporte aussi des risques majeurs :
celui d’un aléa moral croissant et d’une dépendance
mutuelle et dangereuse entre l’État et les banques commerciales.
Car il faut bien garder à l’esprit que la mission
première d’une banque centrale est d’assurer le
refinancement bancaire. Or, nous verrons que cette fonction a
évoluée. Non seulement, ce refinancement concerne de plus en
plus d’entités, y compris non financières mais en plus il
n’a plus besoin de passer par une intervention massive sur le
marché monétaire.
À
suivre
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