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On
parle beaucoup ces derniers temps de façon un peu abstraite de la manipulation
des « leviers monétaires » par les banques
centrales, qui sont au coeur des interventions
massives des États pour contrer la crise économique. Bien peu
de gens savent toutefois de quoi il s'agit de manière plus
spécifique et concrète. Voici un résumé rapide de
ces principaux leviers
Ce
qui détermine en bout de ligne la valeur relative de la monnaie, c'est
la quantité qui est en circulation. Le principal moyen qu'ont les
banques centrales d'accroître ou de diminuer la quantité de
monnaie en circulation à long terme est l'achat ou la vente de bons du
trésor, c'est-à-dire des titres de dette des gouvernements.
Elles ne les achètent plus directement des gouvernements mais
plutôt des banques commerciales qui elles-mêmes les avaient
achetés des gouvernements lorsque celui-ci les émet pour
financer son déficit budgétaire courant (s'il y en a un, ce qui
n'est pas le cas au Canada depuis une dizaine d'années, mais l'est aux
États-Unis) ou refinancer sa dette qui vient à
échéance.
En
achetant des bons du trésor aux banques commerciales, la banque
centrale obtient un titre de dette et dépose dans le compte de la
banque commerciale le montant correspondant. Cet argent est
« créé » à partir de rien, ce que
la banque centrale peut faire autant qu'elle veut (même si l'on fait
souvent référence à la « planche à
billets », il s'agit d'un montant apparaissant dans un compte
électronique, et pas nécessairement de papier-monnaie qu'on
imprime, ce dernier ne constituant qu'une petite partie de la masse
monétaire existante, celle qui est utilisée dans les
transactions quotidiennes). Elle « monétise »
ainsi la dette du gouvernement et gonfle la « base
monétaire », qui est la définition la plus restreinte
de la masse monétaire.
Cet argent sert par la
suite de réserves aux banques commerciales, qui peuvent multiplier le
nombre de prêts qu'elles font selon le système des
réserves fractionnaires, de même qu'en « titrisant » les prêts – en les
vendant à d'autres comme s'il s'agissant d'un investissement –
et en les plaçant ainsi « hors bilan », ce qui
permet de gonfler encore davantage la masse monétaire selon une
définition plus large (il faudra revenir sur ces mécanismes; le
point à retenir ici est qu'ils s'ajoutent aux manipulations de la
banque centrale pour faire gonfler la quantité de crédit).
Inversement, si la
banque centrale souhaite diminuer la masse monétaire, elle vend des
bons du trésor. Elle retire ainsi de la circulation l'argent que les
banques lui donnent en guise de paiement, un argent qu'elle peut faire
disparaître de la même façon qu'elle l'a
créé.
Le
phénomène nouveau est que la Fed n'achètera plus
uniquement des bons du trésor, mais aussi, comme on l'a annoncé
à la fin du mois de novembre, toutes sortes d'autres titres
adossés à des dettes hypothécaires et autres. Cela lui
permet d'« injecter des liquidités »
(l'euphémisme favori des parasites du milieu financier pour exprimer
l'action de « créer de l'argent à partir de
rien », une expression qui soulève moins de doutes sur
la légitimité et la responsabilité d'une telle
intervention) plus directement dans des secteurs spécifiques, comme
les prêts hypothécaires et autres, de façon à
soutenir le crédit et la consommation. Les banques commerciales ne
sont en effet pas obligées de prêter autant qu'elles le peuvent.
C'est pourquoi les gouvernements et les banques centrales ont recours
à des moyens plus directs pour gonfler le crédit.
L'achat de titres
n'est toutefois pas la seule façon de gonfler la masse
monétaire. Lorsque la crise a commencé l'année
dernière, on parlait régulièrement des
« facilités » spéciales mises en place
pour prêter aux banques. Une banque centrale est en effet selon la théorie
conventionnelle un « prêteur de dernier recours »
(qui ne devrait pas exister puisqu'il ne fait qu'alimenter
l'irresponsabilité, mais c'est un autre débat). Lorsque les
banques commerciales sont en difficulté parce qu'elles n'ont pas assez
de réserves liquides pour répondre à leurs besoins,
elles peuvent ainsi emprunter des fonds à court terme des autres
banques et de la banque centrale.
Les taux
d'intérêt fixés régulièrement par les
banques centrales servent justement à déterminer le coût
de ces prêts. Dans le cas de la Fed (le principe est le même
partout mais les mécanismes ne sont pas exactement les mêmes au
Canada et ailleurs), le Fed Funds Rate
détermine le taux auxquels les banques peuvent se prêter d'une
journée à l'autre les réserves de trop placées
dans les coffres de la Fed dont elles disposent. C'est le principal taux
d'intérêt qui est rapporté dans les nouvelles
financières. Il s'agit d'un taux cible, pas nécessairement
celui du marché, mais la Fed va utiliser ses autres
« leviers » pour injecter ou retirer de l'argent et
ainsi manipuler la quantité de réserves détenues par les
banques pour que le taux du marché rejoigne le taux qu'elle fixe.
La logique est
relativement simple: plus le taux est bas, moins il est coûteux
d'emprunter, et plus le crédit devient facile. Lorsque le taux (qui
est pour des prêts à très court terme) de la banque
centrale baisse, on s'attend à ce que les banques commerciales
baissent leurs autres taux à moyen et long terme. Les emprunteurs
deviennent plus nombreux, empruntent plus, et la masse monétaire
augmente. À l'inverse, si le taux augmente, il devient plus
coûteux de s'endetter et la masse monétaire aura tendance
à se contracter.
Il existe un second
taux, le Discount Rate, qui est celui des fonds empruntés
directement à la Fed par les banques commerciales. Il ne s'agit pas
d'un taux de marché, puisque la Fed est le seul prêteur. Ce type
d'emprunt était moins utilisé ces dernières
décennies mais il semble qu'il joue de nouveau un rôle important
puisqu'il permet à la Fed encore une fois de contrôler plus directement
l'injection de fonds dans les banques, en augmentant ou réduisant son
taux.
Les fameuses
« facilités » sont une façon
additionnelle de prêter aux institutions financières.
L'année dernière, les banques centrales de la plupart des pays ont
mis en place des « enchères » de
liquidités, à coups de dizaines de milliards de dollars, mois
après mois. Les banques ayant besoin de liquidités (à
cause de prêts insolvables et d'investissements douteux gigantesques
dans le fameux papier commercial et les titres adossés aux subprimes qui grugeaient leurs réserves) pouvaient
offrir des titres en garantie (collaterals
en anglais) aux banques centrales, et celles qui offraient les paniers de
titres les plus avantageux recevaient en échange des fonds correspondant
à la valeur nominale (at face
value) de ces titres.
Évidemment, la
crise était due au fait que la valeur nominale de ces titres ne
correspondait plus du tout à leur valeur réelle.
Concrètement, tout ce qu'on faisait était donc de transférer
le risque d'investissement à la banque centrale (c'est-à-dire
à nous tous) et de permettre aux institutions financières ayant
fait ces investissements de s'en sortir indemne. Du point de vue de la
logique interventionniste (keynésienne et monétariste) visant
à soutenir le crédit, on permettait ainsi aux banques de se
débarrasser de mauvaises créances et d'avoir des
réserves fraîches de liquidités à prêter de
nouveau.
En théorie,
tous ces fonds empruntés à la banque centrale par les banques
commerciales (par opposition à la situation où la banque
centrale achète des bons du trésor) doivent être
éventuellement remboursés. Ils n'augmentent donc la masse
monétaire que temporairement. C'est ce qu'on nous disait l'an dernier
pour expliquer que ces emprunts n'auraient pas d'effet inflationniste,
puisque les banques centrales allaient s'en débarrasser dès que
la situation reviendrait à la normale.
Sauf que la banque
centrale peut renouveler indéfiniment un prêt ou garder
indéfiniment des titres placés en garantie et ne jamais exiger
de remboursement. Dans ce cas, l'effet est le même que si elle les
avait achetés, et la masse monétaire augmente d'autant. Cela a
aussi l'effet pervers de renflouer les institutions qui avaient fait ces
investissements imprudents, ce qui n'est pas le cas lorsqu'elle achète
des bons du trésor de la manière traditionnelle.
Il existe d'autres
moyens encore plus obscurs et moins importants de manipuler les
réserves des banques et d'augmenter ou de réduire la masse
monétaire, mais en gros, ce sont ces mécanismes auxquels on a
recours depuis le début de la crise actuelle.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
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