Comment les banques centrales rendent possible le processus de création monétaire

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Frank Shostak
From the Archives : Originally published March 11th, 2017
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Selon les manuels économiques traditionnels, le système monétaire actuel amplifie les injections initiales de monnaie dans l’économie. La conscience populaire veut que si une banque centrale injecte un milliard de dollars dans l’économie et que les banques doivent conserver 10% de réserves contre leurs dépôts, la première banque qui obtiendra ce milliard de dollars en prêtera 90%. Les 900 millions de dollars prêtés arrivent ensuite entre les mains d’une seconde banque, qui en prête aussi 90%. Puis ces 810 milliards de dollars arrivent entre les mains d’une troisième banque, qui en prête 90%, et ainsi de suite.

En conséquence, l’injection initiale d’un milliard de dollars devient une injection monétaire de 10 milliards de dollars (la masse monétaire se trouve élargie par un multiple de 10). Notez que dans cet exemple, la banque centrale amorce cette injection d’un milliard de dollars, que les banques amplifient ensuite pour porter jusqu’à 10 milliards de dollars.

En revanche, parce que les banques centrales du monde d’aujourd’hui n’interviennent pas directement sur la masse monétaire et se contentent d’établir des objectifs de taux d’intérêt pour les prêts à un jour - comme le taux des fonds fédéraux aux Etats-Unis et le taux cible au Japon - tout cela n’a pas vraiment de sens. De plus, dans certaines économies comme en Australie, les banques ne sont pas tenues de conserver des réserves contre leurs dépôts. Dans ce genre de cas, le modèle de multiplicateur des manuels économiques ne peut que sembler suspect.

Les économistes de l’école d’économie postkeynésienne nous ont fait part de leurs doutes quant à la validité de cette perspective populaire. Selon la perspective monétaire actuelle, nous dit-on, l’objectif d’une banque centrale est d’assurer un équilibre entre le niveau d’espèces sur le marché monétaire et l’objectif de taux d’intérêt.

Par exemple, si, sur une journée donnée, l’absorption d’espèces par le gouvernement est supérieure à ses sorties de fonds, nous enregistrons une insuffisance d’espèces sur la journée. Pour éviter de voir se développer une ruée vers les espèces sur le marché monétaire, et une hausse conséquence des taux d’intérêt à un jour, la banque centrale doit injecter une quantité appropriée de monnaie dans l’économie pour maintenir les taux d’intérêt à niveau. Notez qu’ici, la banque centrale accomplit un acte d’équilibrisme monétaire.

L’école de pensée postkeynésienne est d’avis que, contrairement à ce que veut le modèle de multiplicateur de la monnaie, les banques centrales n’ont pas activement recours à la création monétaire pour influencer les diverses données économiques – comme nous l’avons vu, une banque centrale ne cherche qu’à maintenir l’équilibre sur le marché monétaire.

Certains pensent, en effet, que la théorie du multiplicateur n’est qu’une impossible fiction, et que la création de réserves d’espèces par la banque centrale afin d’accélérer le rythme d’expansion du crédit ne peut que créer des excès de réserves, qui à leur tour forcent presqu’instantanément les taux d’intérêt jusqu’à zéro.

De ce point de vue, il semblerait qu’une banque centrale n’ait rien à voir, du moins directement, avec une expansion de la masse monétaire. (A vrai dire, une majorité des banquiers centraux seraient d’accord avec cette idée). La source principale d’expansion monétaire est l’ensemble des banques commerciales qui, au travers de l’expansion de leurs prêts, engendrent cette expansion de la masse monétaire. Pour les économistes postkeynésiens, les passifs des banques commerciales sont perçus comme la monnaie principalement utilisée par les établissements non-bancaires. La demande en prêts et la volonté des banques à prêter détermine la quantité de crédit en existence, et donc les dépôts créés. Comme le veut toujours la logique keynésienne, la demande influence l’offre.

Ainsi, l’offre de prêts n’est jamais indépendante de la demande – les banques ne fournissent des prêts que parce que quelqu’un cherche à emprunter de la monnaie en émettant une reconnaissance de dette envers une banque. Ainsi, selon les postkeynésiens, la force principale derrière l’expansion du crédit bancaire et donc de la masse monétaire est une hausse de la demande en prêts, et n’a rien à voir avec la banque centrale.

Le multiplicateur monétaire, mythe ou réalité ?

D’un point de vue superficiel, il est parfaitement sensé de conclure que les politiques des banques centrales sont de  nature passive – une banque centrale a pour objectif de préserver l’équilibre sur le marché monétaire. Une observation plus élaborée de la situation montre, en revanche, que « passivité » est ici un terme impropre. Les banques centrales sont bien plus actives qu’elles ne sont passives.  

Sans les interventions des banques centrales, il serait impossible pour les banques commerciales d’élargir le crédit et de déclencher le processus de multiplicateur monétaire (une création de crédit à partir de rien).

Imaginons que, pour une raison quelconque, les banques fassent l’expérience d’une hausse de la demande en prêts. Imaginons également que la quantité de fonds susceptibles d’être prêtés reste inchangée. Selon les postkeynésiens, les banques facilitent l’expansion du crédit. La demande en comptes de dépôt des nouveaux emprunteurs augmente. Bien évidemment, ces nouveaux dépôts sont susceptibles d’être utilisés dans le cadre de transactions variées.

Après quelques temps, les banques se retrouvent dans l’obligation de compenser leurs chèques, et c’est là que les problèmes commencent. Certaines banques se rendent compte que, pour compenser leurs chèques, elles doivent soit vendre leurs actifs soit emprunter de l’argent à d’autres banques (souvenez-vous que l’ensemble des fonds susceptibles d’être prêtés reste inchangé).

Tout cela impose des pressions haussières sur les taux d’intérêt du marché monétaire, et sur la structure de taux d’intérêt dans son ensemble. Une hausse des taux d’intérêt pousse à son tour les emprunteurs marginaux à se retirer. Certaines banques finissent aussi par mettre la clé sous la porte parce qu’elles ne sont pas capables d’honorer leurs chèques. Ultimement, les prêts bancaires subissent une pression baissière, ce qui renverse l’expansion initiale de crédit.

Afin d’empêcher une hausse du taux d’intérêt à un jour au-delà de l’objectif établi, la banque centrale se trouve forcée de créer de la monnaie. Une fois qu’elle injecte de la monnaie dans l’économie pour maintenir son objectif de taux d’intérêt, elle donne le feu vert au processus de multiplicateur monétaire (de création de crédit à partir de rien).

Ce n’est pas là une action qui peut être qualifiée de passive. Afin de protéger son objectif de taux d’intérêt, la banque centrale se trouve forcée de créer de la monnaie. La conséquence conceptuelle décrite par le modèle de multiplicateur demeure intacte. La seule différence est que les banques amorcent le processus de prêt, qui est ensuite satisfait par la banque centrale.

Nous pouvons donc dire que le multiplicateur, ou l’expansion de crédit à partir de rien, ne peut pas apparaître sans le soutien de la banque centrale.

Si le processus de multiplicateur nécessite le soutien de la banque centrale, alors nous pouvons en déduire qu’au sein d’un marché libre dénué de banque centrale, il n’y a que très peu de chances qu’un tel processus se développe.

Au sein d’un marché libre, si une banque particulière cherche à s’élargir sans le soutien d’un prêteur légitime – à participer au système bancaire de réserve fractionnaire – elle risque de ne pas pouvoir honorer ses chèques, et donc de faire faillite.

Il est essentiel de réaliser qu’au sein d’un marché libre, si une banque s’adonne à des activités de réserve fractionnaire, il y a de fortes chances qu’elle se fasse « prendre », puisqu’il existe de nombreuses banques concurrentes.

A mesure que le nombre de banques augmente et que le nombre de clients par banque décline, les chances que les clients d’une banque achètent des biens à des individus clients d’autres banques augmentent, ce qui fait augmenter le risque pour une banque qui s’adonne à des prêts de réserve fractionnaire de ne pas pouvoir compenser ses chèques.

A l’inverse, à mesure que le nombre de banques concurrentes diminue – et que le nombre de clients par banque augmente – les chances pour une banque de se faire « prendre » diminuent. Dans les cas les plus extrêmes, s’il n’existe qu’une seule banque au sein du système, elle peut pour ainsi dire s’adonner à des activités de réserve fractionnaire sans aucun risque.

Au sein d’un marché libre, sans banque centrale et avec un nombre raisonnable de banques commerciales concurrentes, le simple fait d’avoir à compenser des chèques suffit à dissuader les banques de participer au système bancaire de réserve fractionnaire.

Conclusion

Que la banque centrale influence la quantité de monnaie ou les taux d’intérêt n’est d’aucune importance pour le multiplicateur monétaire. Ce qui importe ici, c’est que la banque centrale se tient toujours prête à satisfaire l’expansion de crédit à partir de rien par les banques commerciales.

Sans le soutien de la banque centrale, un processus multiplicateur n’a quasiment aucune chance de se présenter – d’où la notion selon laquelle le multiplicateur monétaire n’est pas applicable à une économie de marché libre.

 

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Frank Shostak est le directeur des études économiques de M.F. Global.
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