Lors de mon dernier
article, nous faisions le constat que la compétitivité
d’un pays dépend certes de sa capacité productive, mais
aussi du cadre institutionnel qui protège plus ou moins la propriété
privée et donc les investisseurs. Ce cadre institutionnel a trois
dimensions. La première comprend les réglementations. Il
s’agit notamment des lois qui par exemple établissent un salaire
minimum relativement élevé ou qui donnent des privilèges
à certaines entreprises et catégories de travailleurs. La
deuxième dimension est celle de
la fiscalité en vigueur dans le pays considéré.
Il s’agit du fardeau fiscal propre au pays et aussi de la
complexité du système d’imposition en question. La
troisième dimension englobe le système judiciaire du pays,
à savoir sa facilité d’accès, son mode de
fonctionnement et son efficacité à rendre des décisions
rapides. La dernière dimension touche au cadre institutionnel
d’un pays dans son ensemble car il ne suffit pas d’avoir de
bonnes lois, encore faut-il un système judiciaire pour les appliquer.
Le cas de la
Grèce est emblématique. En termes de capacité de
production, la Grèce est aussi attractive que d’autres pays
Européens. Certes, le pays n’offre pas de produits à
très grande valeur ajoutée mais il dispose d’une main
d’œuvre pas chère et relativement bien
éduquée. Sa position géographique est aussi un atout.
Elle a des accès maritimes, terrestres et aériens avec les
principaux marchés européens et orientaux.
Cependant, ces
avantages sont affaiblis par un cadre institutionnel défaillant.
Jusqu’à l’éclatement de la crise de sa dette, la
principale caractéristique de l’État grec était
d’y être très interventionniste.
En 2008,
l’OCDE y avait calculé un
indice de protection de l’emploi de 2,97 (très rigide) –
très proche d’ailleurs du niveau français de 3. Cet indice
atteint 2,63 en Allemagne et seulement 1,91 (peu rigide) au Danemark. En
outre, son indice de protection des marchés est trop
élevé (2,3) comparé à l’Allemagne (1,27),
le Danemark (0,99) ou même la France (1,39). Selon le Global
Competitiveness Report de 2011-2012 du Forum Économique
Mondial, le système judiciaire grec enregistre une très
mauvaise performance. Parmi 142 pays étudiés, la Grèce
occupe la 98ème place
dans la catégorie « Paiements irréguliers et pots de
vin », et la 121ème place dans les
catégories « Efficacité du cadre juridique dans le règlement
des différends » et « Efficacité du cadre
juridique dans la contestation de la régulation ». La
Suisse, par exemple, occupe les 10ème, 7ème,
et 4ème places respectivement pour ces mêmes
catégories.
La seule
dimension dans laquelle la Grèce s’assurait une place
relativement bonne est celle de sa fiscalité car son fardeau fiscal y
est relativement plus faible que celui de se
voisins européens. Néanmoins, depuis 2010, les mesures
d’austérité en Grèce ont malheureusement
consisté à augmenter le fardeau fiscal des grecs. Après
quatre plans d’austérité depuis 2010, la Grèce va
enfin dans le 5ème s’attaquer principalement à
ses problèmes de rigidité en termes de protection du travail et
des marchés.
Reste à
voir si les réformes visant à rendre plus flexibles les
marchés grecs pourront contrebalancer la hausse des impôts. Le
scepticisme est de mise lorsqu’on sait que la fourchette du taux
d’imposition marginal sur les salaires en Grèce se trouve
maintenant entre 18% à 45% et que le taux de la TVA grec atteint
désormais 23%.
Le secteur
économique le plus développé en Grèce est le
tourisme. L’agriculture, autre grand secteur, est très subventionnée
(la Grèce est le principal bénéficiaire de la Politique
agricole commune en Europe). Il est difficile d’imaginer comment la
Grèce pourrait dès lors attirer des investissements quand
d’autres pays ont mieux su développer ces secteurs. Pour cela,
il lui faudrait acquérir des avantages institutionnels comme un plus
grand respect de la propriété privée. Pour le moment,
c’est loin d’être le cas.
En France, un
plan d’austérité identique – axé sur les
impôts - pourrait y avoir un impact négatif considérable.
S’il est vrai qu’en France la fourchette de l’impôt
sur les salaires (5,5 à 40%) et la TVA (19,6%) sont
légèrement plus faibles qu’en Grèce, les taux des cotisations sociales y
sont au moins six fois plus élevés. La
compétitivité française serait donc lourdement
affectée par un alourdissement du fardeau fiscal.
Il est en fait
difficile d’imaginer comment la dimension
« réglementation » via une plus grande
flexibilité des marchés pourrait contrebalancer la dimension
« fiscalité » quand celle-ci devient trop
élevée et rendre à un pays sa compétitivité.
A ce sujet, la
Suède qui a traversé dans les années 90 une crise
financière et fiscale a accompagné ses
déréglementations d’une baisse des charges sociales sur les salariés et d’un
assouplissement de nombre de réglementations des marchés. Le Danemark,
à la même époque, a connu une évolution similaire.
De plus, le taux d’imposition de base sur les sociétés
dans ces deux pays (25% pour le Danemark et 26,3% pour la Suède) y est
plus bas qu’en France (34,4%).
Ce constat
nous permettra d’examiner de façon critique les plans
d’austérité de la Zone Euro. Leur objectif est clairement
de redonner de la
compétitivité aux pays en crise mais ils se limitent à
la dimension « réglementation » tout en
alourdissant la dimension fiscale. Le risque est alors de déployer des
efforts colossaux pour un résultat au mieux très limité.
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