Dans un article
paru en 1994, Paul Krugman souligne
l’utilisation erronée qu’on fait de l’expression
« compétitivité nationale ». Selon Krugman, les pays ne se trouvent pas
nécessairement en concurrence l’un avec l’autre pour des
marchés ou des investissements. Malgré les critiques
qu’on peut faire à Krugman, il faut
admettre la justesse de son argument.
Attirer des
investissements dans un pays n’équivaut pas à les enlever
au pays dont ils sont originaires, car les investisseurs étrangers
ciblent justement des
opportunités d’investissement inexistantes ou inexploitables
dans leur propre pays. En outre, ces investissements étrangers visent
souvent l’exportation vers d’autres pays que leur pays
d’origine. De surcroît, la réussite sur un marché
étranger oblige les
producteurs nationaux à s’améliorer, ce qui sera
bénéfique, à terme, aux marchés étrangers
en question. Les producteurs inefficients – c’est-à-dire,
ceux qui pour un même
résultat utilise plus de
ressources que d’autres producteurs – sont écartés
par la concurrence. Cela entraîne la libération des ressources
productives pour leur investissement dans d’autres entreprises
nationales avec un potentiel de rentabilité et flexibilité plus
performants.
Autrement dit,
plutôt que de parler de compétitivité, il faudrait sans
doute voir le processus de coopération qui s’opère. Les
pays qui ont accumulé du capital et exploité bon nombre des
opportunités existantes à un moment donné sur leur
territoire, cherchent de nouvelles opportunités ailleurs. Les pays en
manque de capital, mais avec un fort potentiel de développement, essayent
de leur côté d’attirer ce capital.
D’un
autre côté, les pays producteurs dont la demande nationale est
insuffisante pour absorber toute leur production chercheront à placer
leurs excédents dans des pays où l’offre est
insuffisante, inexistante, ou inefficiente pour satisfaire la demande locale.
Ainsi plutôt que de se focaliser uniquement sur la
compétitivité nationale, on devrait aussi voir
l’attractivité d’un pays pour les investissements
étrangers et nationaux,
ainsi que son insertion potentielle dans les marchés étrangers.
Les gens ont
malheureusement tendance à penser que la compétitivité
est question de moyens de production relativement simples, comme le travail
ou les matières premières. Les cas de la Chine et de
l’Inde viennent alors à l’esprit avec leurs masses de
travailleurs à bon marché.
Néanmoins,
si l’on pousse cette logique jusqu’au bout, plusieurs pays
Africains, Asiatiques et Sud-Américains devraient être
très compétitifs par rapport à la Chine ou l’Inde.
Et pourtant, quand on analyse le Global Competitiveness Report 2011-2012
élaboré par le Centre for
Global Competitiveness and Performance du Forum Économique Mondial, on trouve
que la Chine – en 26ème position dans le classement
en termes de compétitivité – est dépassée
par des pays développés aux coûts de production
notoirement plus élevés. L’Inde ne fait pas mieux avec sa
56ème place dans le classement, derrière des pays
comme l’Italie (43ème) ou le Brésil (53ème).
Effectivement,
un survol de ce rapport pourrait provoquer des migraines au néophyte
économique. Le Top 10 de la compétitivité inclut
uniquement des pays riches – par exemple, la Suisse (1er),
la Suède (3ème), ou le Danemark (8ème)
– avec des coûts de production élevés par rapport
aux pays émergents ou autres pays en voie de développement.
Cependant,
tous les pays du Top 10 offrent des législations du travail et de la production
beaucoup plus flexibles que leurs voisins, riches mais moins performants
comme la France (18ème), l’Autriche (19ème)
et l’Espagne (36ème). Toutefois, d’autres pays
connus pour leurs réglementations souples en matière de
production présentent néanmoins des résultats
médiocres comme le Costa Rica (61ème), les
Philippines (75ème) ou le Paraguay (122ème).
Ce
casse-tête est facile à résoudre. Un pays peut avoir des avantages comparatifs
en termes d’abondance de matières premières et de
travail, une politique industrielle ouverte et peu interventionniste, ainsi
qu’une législation du travail flexible et, toutefois, être
très peu compétitif. En effet, les investisseurs et partenaires
commerciaux d’un pays ne s’intéressent pas seulement
à la rentabilité qu’ils peuvent y dégager. Ils les
évaluent en fonction du contexte, notamment institutionnel du pays.
Rentabiliser
un investissement ou établir des échanges commerciaux est
probablement l’objectif principal de l’investisseur global.
Néanmoins, il est aussi important de s’assurer que tout
investissement ou échange commercial s’opère dans un
cadre stable et protégé de toute expropriation privée
comme publique. Parfois, les avantages comparatifs institutionnels sont largement suffisants pour compenser de
faibles rentabilités et amplifier la compétitivité
d’un pays. Ce qui est assez clair lorsqu’on analyse les
statistiques officielles – disponibles dans le rapport mentionné
ci-dessous – des pays scandinaves.
Cette
série d’articles a l’objectif de montrer au lecteur que
les avantages comparatifs d’un pays, et donc les sources de sa
compétitivité, ne se limitent pas uniquement aux coûts de
production. Le concept englobe l’ensemble des facteurs disponibles et
des institutions en place. La combinaison de ces éléments
augmente ou réduit les coûts d’opportunités du pays
en question.
Dans les
prochains articles, nous verrons que les plans
d’austérité européens visent à
rétablir la compétitivité par des gains
compétitifs en termes d’exportation et sacrifient ce faisant la
compétitivité interne du pays. Si les pays européens
comme la France ne sont pas irrémédiablement destinés
à devenir des musées pour touristes, il est vrai que si les
institutions n’y évoluent pas, c’est bien ce qui pourrait
arriver à bon nombre d’entre eux. .
À
suivre : l’austérité et la
compétitivité limitée.
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