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Coup double !

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Paul Jorion.
Published : June 28th, 2010
1424 words - Reading time : 3 - 5 minutes
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Véritable passoire, une loi de régulation financière est en passe d’être adoptée aux Etats-Unis, tandis que les pays réunis aux G8 et G20, avec au menu le retour de la bienfaisante croissance, étalent leurs divergences et contradictions d’intérêts. Est-il nécessaire d’attendre le texte du communiqué final du G20, dont une version circule déjà, pour constater ce double aveu d’impuissance ?

La taxe bancaire enterrée, les dirigeants du monde entier vont en effet ne laisser comme seule trace de leurs travaux, en dépit de l’utilisation de termes allusifs et choisis pour masquer leurs contradictions, qu’un seul résultat : les pays exportateurs ont été priés, sans succès, de se replier sur leurs marchés intérieurs, afin que les autres puissent rechercher sur le marché international un peu de cette croissance introuvable en interne.

Il n’y a pas de quoi crier victoire, même si chacun va rentrer chez soi en prétendant que son point de vue l’a emporté, condamné à faire non pas ce qui relève du domaine du souhaitable mais tout simplement ce qui relève du possible.

Les commentateurs diplomatiques vont quant à eux trouver de quoi exercer leurs talents en discourant à nouveau sur la gouvernance mondiale et les avantages et inconvénients comparés des formats G8 et G20, alors que ces deux instances viennent de démontrer qu’elles étaient avant tout des chambres d’enregistrement des désaccords.

En raison de cet échec prévisible, on cherche sans attendre un réconfort dans la future réglementation du système bancaire par les instances du Comité de Bâle, émanation de la Banque des règlements internationaux (BRI). Le prochain G20 de Séoul devrait y être consacré. A défaut de reprise économique, se dit-on, il faudrait éviter une nouvelle crise financière aiguë. Sauf que les deux objectifs se télescopent et qu’il est probable que les nouvelles règles promises seront elles aussi arrondies, au prétexte de ne pas compromettre le semblant de reprise occidentale actuel.

En tout état de cause, les espoirs qui sont reportés dans cette future réglementation illustrent bien le fait que la régulation made in USA – qui va inévitablement faire jurisprudence – n’offre quant à elle aucune garantie de stabilité financière. Les méandres de la loi en gestation vont être suivis et chacun de ses mots soupesé ; car c’est en jouant sur ceux-ci que vont être mis à profit les trous béants qui y ont été ménagés, aux détours des innombrables amendements intégrés au texte initial. C’est ainsi que les lobbies ont procédé, avec comme objectif – accompli – d’obtenir un texte de loi suffisamment lâche pour permettre de la bafouer. Cela va être au tour des juristes d’intervenir.

L’essentiel s’est joué à propos des deux dossiers chauds qui avaient été gardés pour la fin des discussions entre les sénateurs et les représentants, au sein de la Conférence chargée d’unifier leurs points de vue. D’une part, l’interdiction faite aux banques ayant accès aux guichets de la Fed (c’est à dire à son aide financière) de poursuivre leurs opérations de proprietary trading sur fonds propres ; d’autre part l’impossibilité de contrôler des filiales hedge funds, assortie de l’obligation d’externaliser et isoler leurs opérations sur les produits dérivés.

La Conférence a considérablement adouci ces règles, contre lesquelles les mégabanques se sont battues avec la dernière énergie (et le maximum de moyens). Mais, à y réfléchir, le ver n’était-il pas de toute façon dans le fruit ? Le shadow banking n’était-il pas assuré, même si ces complaisances de dernière minute n’avaient pas été accordées, d’avoir de beaux jours devant lui, la panoplie des produits elle-même restant intacte ?

Voyons cela de plus près. Deux grands dispositifs sont désormais censés garantir la solidité du système financier.

En premier lieu, la mise sur pied de chambres de compensation, où devront être enregistrés les produits dérivés standards, cette classification étant finalement laissée à l’appréciation du régulateur, ce qui laissera quelque latitude pour échapper à cet enregistrement. Au sortir des débats du Congrès, qui plus est, les mégabanques pourront finalement garder le contrôle capitalistique de ces chambres de compensation, les limitations initialement mises à leur participation à leur capital ayant opportunément sauté. On y sera donc chez soi.

Pire, ces futures chambres concentreront plus que jamais les risques systémiques, puisqu’elles assureront seules le risque de contrepartie d’une masse de produits dérivés dont on a eu l’occasion de constater qu’il était impossible d’en évaluer l’ampleur. Faut-il rappeler le cas d’AIG, nationalisée dans l’urgence dès le début de la crise afin de ne pas s’écrouler sous ce poids inopiné ?

Afin de leur donner une assise financière, il est certes prévu que les chambres de compensation auront si nécessaire accès aux guichets de la Fed, comme des banques de dépôt. La seule option disponible restant en effet de faire appel au prêteur en dernier ressort. Ce montage n’empêchera pas le système financier d’être assis sur un baril de poudre, la Fed chargée d’éteindre à temps sa mèche en l’inondant de liquidités.

Le deuxième dispositif prévu s’appuie sur l’augmentation des fonds propres des banques, en application de la réglementation dite de Bâle III, lorsqu’elle sera décidée et appliquée (selon un calendrier qui s’éternise). Mais que vaudront les nouvelles règles, quelles qu’elles soient, si les normes comptables en vigueur continuent de donner une vision faussée des engagements et des bilans des établissements financiers, qui plus est différente des deux côtés de l’Atlantique, aboutissant à ce que les ratios des établissements financiers soient calculés selon des données arrangeantes de valorisation des actifs ?

Il y a donc encore beaucoup de grain à moudre pour que ce dispositif soit effectivement opérationnel… En effet, la FASB (américaine) et l’IASB (le reste du monde) – les deux organismes chargés d’élaborer ces règles comptables – ne sont toujours pas parvenues à se mettre d’accord sur une homogénéisation de leurs règles d’évaluation des actifs. En l’absence d’une méthode unique, la pagaille actuelle continuera de régner et la vérité comptable restera une notion relative et trompeuse. En réalité, toute méthode qui prétend ne pas prendre en compte le prix du marché introduit une distorsion qui fausse l’appréciation de la solidité d’une banque donnée. Des normes comptables rigoureuses, mais pour l’instant introuvables, sont donc la clé de voûte de tout un édifice de régulation qui, sans elles, ne tient pas debout.

En attendant que ce brouillard se dissipe, si cela doit être le cas, un tour de passe passe a été opéré par la Conférence. Il a permis aux mégabanques de continuer à trader en compte propre les swaps de change et de taux d’intérêt. Or ces produits représentent, selon les estimations, de 85 à 90% de leur business avec les produits dérivés. L’obligation de filialiser l’activité relative aux autres produits dérivés, les isolant ainsi des comptes de la maison mère, est donc un moindre mal. Il aurait fallu procéder par interdiction, on en est très loin.

Le shadow banking a de beaux jours devant lui. La régulation systémique du système financier est quant à elle une illusion. En premier lieu parce que l’opacité des produits financiers demeure. En second parce que les structures qui les abritent restent sans surveillance et hors contrôle. Les véhicules spéciaux abritant le hors bilan ne sont pas concernés par les mesures réglementaires encore à l’étude, pas plus que les centres non coopératifs. C’est à dire les paradis fiscaux, suivant la terminologie de l’OCDE qui a adopté sur cette question l’attitude des trois petits singes : ils ne voient rien, n’entendent rien et ne disent rien. Les règles prudentielles finalement décidées ne s’appliqueront qu’à la face visible des établissements bancaires.

Dans ces conditions, comment s’étonner que les crises soient considérées comme inévitables ? Certains les assimilant même, tels des Diafoirus, à de bienfaisantes saignées ? Aujourd’hui, le risque grandit qu’une nouvelle crise intervienne alors que l’actuelle reste sans solution.

Vous avez dit implosion ?



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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