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Dans
son Manifeste du Parti communiste publié en 1848, Karl Marx proposait
dix mesures devant être mises en vigueur après la prise du
pouvoir par le prolétariat dans le but de centraliser tous les
instruments de production aux mains de l'État. L'une d'entre elles, la
cinquième, visait la « centralisation du crédit
entre les mains de l'État, au moyen d'une banque nationale, dont le
capital appartiendra à l'État et qui jouira d'un monopole
exclusif ».
S'il
devait revenir aujourd'hui d'entre les morts, Marx serait sans doute ravi de
découvrir que la plupart des économistes et des commentateurs
financiers, y compris nombre d'entre eux qui prétendent être en
faveur de marchés libres, s'accordent avec lui sur ce point.
On constate en effet
que des analystes d'organismes réputés pour défendre
habituellement des politiques économiques libérales, de
même que des commentateurs dans les pages du Wall Street Journal
et du National Post, semblent renier leurs positions traditionnelles
ces derniers temps. Ils se sont prononcés en faveur d'injections
massives de liquidités dans les marchés par les banques
centrales, de la prise de contrôle par le gouvernement américain
d'institutions financières géantes, ainsi que du plan de
sauvetage de 700 milliards $ qui vient d'échouer au Congrès.
Certaines des mêmes voix plaidaient pour des interventions similaires
lorsque la bulle des dotcom a éclaté en 2001.
« Qu'est-ce
qui a bien pu arriver aux descendants de mes opposants
libéraux? », se demanderait sans doute Marx.
À
première vue, quiconque comprend le fonctionnement d'une
économie de marché peut facilement voir que quelque chose ne
tourne pas rond dans ces positions. Les impôts qui devront être
prélevés pour financer ce plan permettront sans doute de
maintenir certaines compagnies à flot, mais ils détourneront
des capitaux, tueront des emplois et rendront des entreprises moins rentables
ailleurs dans l'économie. Accroître la masse monétaire a
le même effet. Il s'agit d'une taxe invisible qui redistribue les
ressources à ceux qui ont
accumulé des dettes et qui ont fait de mauvais placements.
Pourquoi alors jeter
par-dessus bord cette analyse parfaitement correcte dès qu'on constate
des soubresauts un peu trop forts sur les marchés?
La justification pour
intervenir semble toujours s'appuyer sur la peur de revivre la Grande
Dépression. Si nous laissons trop d'institutions s'effondrer pour
cause d'insolvabilité, nous dit-on, il y a risque d'un effondrement
généralisé des marchés financiers, ce qui
entraînerait un assèchement complet des flux de crédit et
des effets catastrophiques sur tous les secteurs de la production. Cette
opinion, que partagent Ben Bernanke, Henry Paulson, et une bonne partie de
l'establishment politique et économique de droite, se fonde sur la
thèse de Milton Friedman selon laquelle la Réserve
fédérale aurait provoqué la Dépression en
n'injectant pas suffisamment d'argent dans le système financier suite
au crash de 1929.
C'est une position qui
semble, au premier abord, s'appuyer sur des arguments plutôt
libéraux. Les politiques malavisées de la Fed, une
créature de l'État, de même qu'une mauvaise
réglementation imposée au secteur financier, seraient
responsables de la crise. La nécessité de répondre
à cette situation d'urgence et de maintenir le bon fonctionnement des
marchés prennent la priorité sur les préoccupations concernant
le fardeau fiscal et l'inflation monétaire. Cette approche est
censée se distinguer de celle des keynésiens, qui proposent
étrangement les mêmes solutions même si leur analyse des
causes de la crise est différente.
Il existe cependant
une autre approche qui ne fait aucun compromis avec les principes du libre
marché et qui explique de manière cohérente pourquoi
nous nous retrouvons constamment dans ces situations de bulle
financière suivie d'un effondrement. Elle se concentre sur la
proposition No 5 de Marx: le contrôle étatique sur le capital.
Depuis des
décennies déjà, les économistes de l'école
autrichienne nous mettent en garde contre les conséquences
néfastes d'avoir un système de banque centrale fondé sur
une monnaie fiduciaire, c'est-à-dire une monnaie qui ne s'appuie sur
aucune contrepartie métallique comme l'or et qui peut facilement
être manipulée. En plus de ses désavantages
évidents (hausses constantes des prix, dépréciation de
la monnaie, etc.), ce système se caractérise par un
crédit facile et des taux d'intérêt maintenus
artificiellement bas, ce qui envoie des signaux de marché
faussés aux investisseurs et exacerbe les cycles économiques.
Non seulement la banque centrale crée-t-elle constamment de l'argent
à partir de rien, mais le système de réserves
fractionnaires permet aux institutions financières d'augmenter encore
plus la quantité de crédit qui circule dans l'économie.
Lorsque la création monétaire est soutenue, une bulle
financière émerge qui se nourrit d'elle-même, des prix
plus élevés permettant aux propriétaires de titres
gonflés de dépenser et d'emprunter davantage, ce qui
amène une création additionnelle de crédit, ce qui fait
grimper encore plus les prix, et ainsi de suite.
À mesure que
les prix deviennent de plus en plus faussés, des malinvestissements,
soit des investissements qui n'auraient pas été faits dans les
conditions normales du marché, finissent par s'accumuler.
Malgré cela, les institutions financières ont une incitation
à embarquer dans cette frénésie d'endettement
irresponsable, sinon elles pourraient perdre des parts de marché. La
surabondance de « liquidités » fait en sorte que
des décisions de plus en plus risquées sont prises dans le but
d'accroître les rendements, et l'effet de levier atteint des niveaux
dangereusement élevés.
Durant cette phase de
spéculation exacerbée, tout le monde semble croire que le boom
se poursuivra indéfiniment. Les seuls qui prédisent que cela
finira mal sont les Autrichiens, comme Friedrich Hayek et Ludwig von Mises
l'ont fait avant le crash de 1929, et leurs disciples au cours des
dernières années.
Que doit-on faire
lorsque ce château de cartes commence à s'effondrer, soit
à cause d'une série de faillites ou parce que la banque
centrale craint de perdre le contrôle de l'inflation? Il est
évident que le crédit va s'amenuiser, puisque tout le monde
voudra se retirer des projets trop risqués, demandera le remboursement
des prêts ou placera ses fonds dans des endroits plus sécuritaires.
On n'en sort pas: les malinvestissements doivent être liquidés;
les prix doivent retomber à des niveaux plus réalistes; et les
ressources engagées dans des projets improductifs doivent être
libérées et transférées à des secteurs
où il existe une demande réelle. Ce n'est qu'à ce moment
que les capitaux redeviendront de nouveau disponibles pour des
investissements profitables.
Les partisans de
Milton Friedman, qui n'ont jamais développé de notion de
malinvestissement et qui ne soulèvent jamais de préoccupations
pendant le boom, ne comprennent pas non plus pourquoi il mène
inévitablement à un crash. Ils ne voient que
l'assèchement du crédit et blâme la Fed de ne pas avoir
suffisamment injecté de liquidités pour le prévenir.
Il faut toutefois
comprendre que les banques centrales et les gouvernements n'ont pas le
pouvoir de transformer des investissements non rentables en investissements
rentables. Ils ne peuvent forcer les institutions à prêter
davantage alors qu'elles sont dans une situation aussi précaire. C'est
pourquoi lancer de l'argent sur le problème ne règle absolument
rien. Les injections de liquidités par la Fed ont débuté
il y a plus d'une année et n'ont aucunement réussi à
empêcher une détérioration de la situation. De telles
mesures n'ont pour effet que de retarder les réajustements du
marché et de transformer ce qui devrait être une courte
récession en marasme prolongée.
Friedman – qui,
contrairement à sa réputation, n'était pas un ennemi
acharné de l'inflation monétaire, mais proposait simplement une
façon de mieux la contrôler en temps normal – avait non
seulement une compréhension déficiente des cycles
économiques, mais il avait tort en affirmant que la Fed n'était
pas suffisamment intervenu durant la Dépression. Elle a tenté
à plusieurs reprises de gonfler la quantité de crédit,
mais celle-ci a tout de même diminué pour différentes
raisons. Il s'agit là d'une différence d'interprétation
cruciale entre les écoles autrichienne et de Chicago.
Comme Friedrich Hayek
l'a écrit en 1932, « Au lieu d'encourager la liquidation
inévitable des malinvestissements provoqués par le boom au
cours des trois dernières années, tous les moyens concevables
ont été utilisés pour empêcher que ce
réajustement se fasse; et l'un de ces moyens, qui a été
essayé à plusieurs reprises bien que sans succès, des
premières jusqu'aux plus récentes phases de la
dépression, est celui d'une politique délibérée
d'expansion du crédit. (…) Tenter de combattre la
dépression par une expansion forcée du crédit
équivaut à tenter de résoudre le problème en
ayant recours aux méthodes qui l'ont
créé… »
La confusion entourant
les questions monétaires dans les théories de l'école de
Chicago est telle qu'elle pousse aujourd'hui ses partisans à appuyer
la plus gigantesque appropriation de capitaux privés par un
gouvernement dans l'histoire du monde. En ajoutant leurs voix à ceux
qui, à gauche, appuient de telles mesures, ces prétendus
défenseurs du libre marché ne contribuent pas à
« sauver le capitalisme », mais plutôt à
le conduire à sa perte.
Martin Masse
Le Quebecois Libre
Martin
Masse est né à Joliette en 1965. Il est diplômé de
l'Université McGill en science politique et en études
est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine libertarien Le Québécois Libre en
février 1998. Il a été directeur des publications
à l’Institut économique de Montréal de 2000
à 2007. Il a traduit en 2003 le best-seller international de Johan
Norberg, Plaidoyer pour la
mondialisation capitaliste, publié au Québec par
l'Institut économique de Montréal avec les Éditions
St-Martin et chez Plon en France.
Les vues présentées par l’auteur
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