Signe de leur prochaine
disparition annoncée, ou au contraire de leur valeur
renouvelée, les livres connaissent ces temps-ci
d’étranges aventures. A Varsovie, un bouquiniste a
créé un « Cimetière des livres
oubliés », tandis qu’à Vienne, en Autriche, un
artiste vient d’implanter en pleine ville des « armoires
à livres ».
Le premier, Waldemar Szatanek, a puisé son inspiration – en
l’adaptant – dans un époustouflant roman de Carlos Ruiz,
« L’ombre du vent ». Dans sa boutique, on peut
contre un droit d’entrée de 30 zlotys (environ 7 euros) venir
choisir et emporter autant de livres que l’on peut en emporter. Les
étudiants et les retraités ont un tarif réduit. Un grand
et solide sac est remis à l’entrée à cet effet,
mais il n’est pas interdit d’apporter ses cartons.
L’idée est de
sauver les livres jetés ou laissés pour compte d’une fin
atroce à la décharge publique. A Varsovie, plus de 100.000
livres par an sont recyclés en papier ou envoyés à la
décharge. Plus de 2.000 livres, tous genres confondus, trouveraient
ainsi quotidiennement de nouveaux lecteurs, on n’ose pas dire
propriétaires.
Cette
initiative a fait suite au lancement il y a un an d’une association
ayant pour but de lutter contre le gaspillage des livres, intitulée
« Mouvement des amis des livres lus ». Une vente
organisée selon le même principe avait alors permis de sauver
36.000 livres en six semaines. Une incitation à ensuite les
échanger et les faire circuler au lieu de les garder.
Un Viennois au statut
d’artiste, Frank Gassler a
procédé autrement. En pleine ville, il a implanté deux
« armoires à livres » qui chacune ont une
contenance de 250 livres, où tout le monde peut venir déposer
ou prendre des livres sans engagement d’aucune sorte.
L’installation d’une troisième est en cours. la
première est dans un quartier « bobo »
(bourgeois-bohème), l’autre dans une zone populaire et
cosmopolite. L’artiste a revendiqué le droit de créer
dans l’espace public quelque chose de gratuit – devenu une
rareté – et destiné sans distinction à tous.
Ayant ignoré les
circuits de subventions pour financer lui-même son projet, il a non
seulement constaté le succès de ses « armoires de
livre », qui se remplissent et se vident en permanence, mais
également qu’aucun acte de vandalisme n’est intervenu
depuis qu’elles sont implantées. Certains de leurs
habitués prenant l’initiative de trier et ranger les ouvrages.
Voilà qui aurait pu
passionner Georges Perec, qui aurait pu décider d’écrire
une nouvelle version de « Penser, classer » et de
« Tentative d’épuisement d’un lieu
parisien », en quittant la place St Sulpice pour provisoirement
s’installer à une terrasse du Brunnenmarkt
de Vienne.
Dans un but plus mercantile,
soumis à une forte concurrence et désireux de promotionner son
« Kindle » (sa
« liseuse », doit-on dire), Amazon a annoncé
lancer une timide opération aux Etats-Unis. Certains livres
achetés en ligne pourront ensuite être prêtés une
fois pendant quatorze jours à un ou une amie. Le livre
numérique – qui a aussi ses avantages – a encore quelques
handicaps à surmonter.
Les décharges publiques
ne valent pas mieux que les bûchers de Farenheit
451. Tout ce qui est gratuit, aussi modeste soit-il, va-t-il finir par
devenir subversif ?
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
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