Je trouve
surprenant que les libertariens profitent de la campagne présidentielle
Américaine pour promouvoir des candidats favorables à un gouvernement
restreint – ou dans certains cas des candidats institutionnels dont la
rhétorique fait preuve d'une once de libertarianisme – alors qu’ils
pourraient en profiter pour avancer leur vision de société sans gouvernement.
L’une des raisons pour lesquelles ils ne le font pas est, bien évidemment,
que beaucoup d’entre eux ne veulent pas d’une société sans gouvernement. Ils
veulent un gouvernement, mais un gouvernement bien moins important. A petites
doses, la contrainte est supportable.
Une autre de
ces raisons est perpétuelle : comment établir pacifiquement une société
sans gouvernement ? Ce n’est pas comme si c’était une option inscrite
sur les bulletins de vote.
Une autre
raison pourrait être que la saison des élections est truffée d’actualités
juteuses sur lesquelles écrire. Les faux-pas « excessifs » de Trump
font la uUne, mais il y a bien plus encore : qui est le plus
belliciste ? Sanders est-il un socialiste ou un Keynésien sous
stéroïdes, comme le pense Gary North ? Et n’oublions pas le thème du
« marginal », avec Sanders et plus particulièrement Trump, qui font
des vagues parmi l’élite du parti. Il est possible que Trump mette fin au
règne des néoconservateurs à la tête du parti républicain. Et pour les
libertariens, c’est une possibilité alléchante.
Mais pourquoi
viser si bas ?
Pas de
postes vacants pour les politiciens
Si la campagne
présidentielle actuelle peut nous apprendre quelque chose, c’est que les gens
en ont assez de Washington. Ils en ont assez de Wall Street, de la stagnation
d’économie réelle, de la machine de guerre des néo-conservateurs, et de la
classe politique responsable de leurs maux. Plutôt que de choisir quelqu’un
d’autre de qui avoir assez, pourquoi ne pas éradiquer le problème à sa
source ? Les gens veulent mettre les politiciens à la porte. Pourquoi ne
pas abolir les postes politiques afin de n’avoir à voter pour personne ?
Personne ne
remet en question la légitimité de l’Etat. Nous tentons simplement de tourner
la situation en notre faveur en élisant les hommes politiques que nous apprécions.
Cette stratégie n’a jamais été prouvée comme étant la meilleure.
Les
dictionnaires nous apprennent que l’anarchie signifie le désordre, un monde
sans loi et chaotique né de l’absence d’un gouvernement ; une société
sans autorité de pouvoir.
Mais ils nous
disent aussi qu’elle est une communauté organisée au travers de la
coopération volontaire des individus. Se pourrait-il qu’une telle communauté
élimine les problèmes que nous avons aujourd’hui ?
Et si c’était
le cas, comment convaincre le reste des gens qu’une société sans gouvernement
tel que nous le connaissons aujourd’hui soit dans notre intérêt ?
Pourquoi
l’Etat a-t-il le droit de nous contraindre à quoi que ce soit ?
Huemer divise
son argument en deux parties : dans la première, il se demande si
l’existence de l’Etat peut être justifiée sur la base de convictions morales
communes. Sa réponse est non. Beaucoup de gens pensent que le vol, le meurtre
et le kidnapping sont de mauvaises choses, et qu’une personne devrait
respecter ses promesses. L’Etat les viole toutes sans exception. Il manque
donc d’autorité morale, ce qui ne nous empêche pas de lui obéir. Comment en
sommes-nous arrivés là ?
Dans la
deuxième, il cherche à savoir si, parce que l’Etat ne peut pas être justifié
par la morale, une société peut fonctionner sans lui. Sa réponse est oui. Il
présente ici une justification de l’anarchie, ou plus précisément de
l’anarcho-capitalisme.
En d’autres
termes, Huemer commence par une analyse peu controversée pour en arriver à
une conclusion controversée :
- l’autorité
est illusoire
- une société
peut fonctionner sans gouvernement
- l’anarchie
est un objectif atteignable
Il parvient à
cette conclusion grâce à un grand axe : les individus ont un droit
naturel de ne pas être soumis à la contrainte – que les libertaires
appelleraient le principe de non-agression.
Sur quoi
débouche une analyse du gouvernement une fois pris en compte le droit des
individus de ne pas être soumis à la contrainte ? Voici les conclusions
tirées par Huemer, qui sont discutées en détails dans son livre :
1. Aucun
processus délibéré ne suffit à écraser le droit des individus de ne pas être
soumis à la contrainte.
2. En
termes de morale et de bon sens, la majorité ne génère pas une obligation de
conformité ou un droit à la contrainte.
3. Les
sujets d’un gouvernement satisfont les conditions de développement d’un syndrome de Stockholm
et de certains de ses symptômes.
4. Il ne
va pas dans l’intérêt du gouvernement de résoudre les problèmes sociaux,
parce que les gouvernements tirent de l’argent et du pouvoir de leur
aggravation.
5. Il ne
va pas dans l’intérêt des médias d’observer de près les faits et gestes du
gouvernement.
6. Nous
ne pouvons pas croire que le gouvernement s’impose à lui-même le respect de
la Constitution.
7. Les
différentes branches du gouvernement n’ont aucune raison de se restreindre
les unes les autres.
Voici sa
conclusion quant au gouvernement : « une démocratie
constitutionnelle qui permet la séparation des pouvoirs vaut bien mieux que
le totalitarisme, mais elle n’élimine pas la prédation politique. »
Une société
sans gouvernement
Il examine
ensuite la nature d’une société sans autorité de pouvoir :
1. Une
société sans Etat « diffère d’une société traditionnelle dans le sens où
elle repose sur des relations volontaires et une compétition véritable entre
fournisseurs de services ».
2. Parce
que la violence coûte cher, les agences de sécurité recherchent des moyens
pacifiques de résoudre les problèmes.
3. Le
problème des guerres entre Etats est bien plus large que le problème des
guerres entre agences, parce que les gouvernements rencontrent moins
d’obstacles lorsqu’ils cherchent à déclarer des guerres injustes.
4. Une
majorité des industries sont dominées par la production destinée à des
clients aux revenus très bas ou médians. Les agences de protection
fournissent des services à ces clients.
5. Le
gouvernement ne fait rien pour protéger les pauvres.
6. Les
agences de protection fourniraient de meilleurs services que les forces de
police gouvernementales, pour la même raison que les autres services fournis
par le secteur privé sont moins chers et de meilleure qualité.
7. Les
organisations criminelles seraient financièrement handicapées par la
légalisation de biens et services tels que les jeux d’argent, la prostitution
et la drogue.
8. La
compétition empêche les agences de protection de devenir abusives.
9. Dans
l’industrie de la protection, mieux vaudrait pour une firme d’être de petite
taille, ce qui leur permettrait à toutes de coexister.
10. La
loi est mieux servie par les contrats et les juges que par la législature.
11. Le
système judiciaire anarchique se concentrerait sur la restitution plutôt que
sur la punition.
12.
L’abolition des forces militaires se ferait au travers d’une transformation
culturelle globale.
13. Une
fois les militaires éliminés et les cours et la police privatisées, il serait
bien plus simple de renvoyer les politiciens.
14.
L’anarchie a bien plus de chances de naître dans de petits pays ou régions.
Si les résultats étaient prometteurs, l’idée se répandrait.
15.
L’arrivée de l’anarchie est plausible, en raison de la tendance du savoir
humain à progresser et de l’influence des idées sur la structure de la
société.
Conclusion
Bien que les
politiciens continueront de dominer les ondes ces quelques prochains mois, il
est nécessaire de nous rappeler que nous n’avons pas à les prendre au
sérieux, et qu’il existe un meilleur moyen d’organiser notre monde. Plutôt
que de voter pour légitimer le système actuel, les gens devraient voter pour
l'abolition de l'Etat. Si le taux d’absentéisme atteignait une masse critique
– ce qui pourrait arriver au vu de la colère du public – l’Etat lui-même
serait mis à l’épreuve. Le bon sens du professeur Huemer nous aide à en
comprendre les implications.