D’ambition
modeste puisque destiné à « éloigner les
incertitudes », mais « allant dans la bonne
direction », un accord encore flou dans les détails de
réduction du déficit et de déplafonnement du montant de
la dette est finalement intervenu dimanche soir à Washington, qui
devrait être voté par les deux chambres d’ici mardi soir.
Symboliquement,
il ne comprend aucune remise en cause des avantages fiscaux des plus
fortunés. De nombreux arbitrages restent à faire en
matière de coupes budgétaires, qui permettraient ensuite
d’enjamber l’échéance des prochaines
présidentielles, l’essentiel reste à décider.
L’idée est de procéder graduellement dans les dix années
à venir, moins abruptement qu’en Europe, mais l’exercice
n’en sera pas moins lourd de conséquences.
Que
ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, une même nasse est mise à
l’oeuvre : par tous les moyens, les
Etats sont sommés de réduire leur voilure et diminuer leur
endettement. Hier ennemi public n°1, faisant désormais pâle
figure, l’inflation cède le pas à la dette.
Quand
il ne s’agit pas d’une commission bipartisane chargée
d’opérer les coupes budgétaires d’ici à
Thanksgiving fin novembre prochain, on parle de la nécessaire adoption
de « règles d’or » figeant dans le marbre
constitutionnel l’équilibre budgétaire. Comme si la sanction
des marchés n’était pas suffisante et que des
mécanismes supplémentaires, se voulant irréversibles,
étaient nécessaires pour l’obtenir sans férir.
Faut-il croire que la tâche est difficile et qu’il faut mettre
toutes les chances de son côté !
Dans
toutes les propositions sur le tapis, l’objectif est de prioritairement
diminuer les dépenses sans accroître les recettes, au nom de la
diminution de la pression fiscale et sans toucher à toutes les
formes d’évasion fiscale. De créer un contexte où
les coupes seront automatiques et ne pourront faire l’objet de
débat que dans un cadre contraignant à l’extrême.
Imposant le choix de sacrifices au nom du réalisme.
En
Europe, les Allemands jouent le rôle du méchant avec le BCE, qui
n’en a que pour la nouvelle gouvernance et les sanctions
automatiques. Wolfgang Schaüble, le ministre
des finances, est à la recherche en interne au pays des conditions
politiques permettant de garantir le sauvetage de la zone euro, il
multiplie à cet effet les gages à l’aile libérale
de la coalition au pouvoir. Dernier en date : sa proposition
d’arrêt immédiat des subventions européennes aux
pays ne respectant pas le Pacte de stabilité. Une brillante
idée qui les plongera davantage dans l’insolvabilité.
Aux
Etats-Unis, le couperet s’annonce différemment, une commission
bipartisane du Congrès devant se mettre d’accord dans les quatre
mois, faute de quoi un paquet de mesures défini à
l’avance serait automatiquement mis en oeuvre.
C’est tout au moins ce que prévoit l’accord en cours
d’adoption.
Au-delà
de ces échéances proches, il est question d’aller plus
loin. Les républicains américains proposent eux aussi
d’adopter un nouvel amendement à la Constitution, afin
d’imposer l’équilibre budgétaire. En Europe comme
aux Etats-Unis, on remarque toutefois qu’une telle règle ferait
obstacle aux investissements à long terme, ceux que seul l’Etat
finance. Et qu’il faudrait définir le périmètre de
ce qui serait pris en compte, notamment les Etats fédéraux ou les
collectivités locales, sur lesquels il serait facile de se
défausser.
En
Europe, on oppose que la Loi fondamentale allemande impose cet
équilibre depuis 1949, ce qui n’a pas empêché
d’y déroger et d’accroître l’endettement. La
loi adoptée en 2009, pour application en 2016, prévoyant
d’ailleurs des « circonstances exceptionnelles »
permettant de passer outre.
Aux
Etats-Unis, l’adoption d’un amendement à la Constitution
supposerait une majorité qualifiée des 2/3 à chacune des
deux chambres et sa ratification par les 3/4 des Etats
fédéraux. Mais de nombreuses voix préconisent que
l’équilibre soit calculé sur plusieurs années,
tandis que d’autres font remarquer que des exceptions devraient
être nécessairement prévues, à l’approbation
du Congrès, ce qui ferait de cette disposition de la Constitution la
seule qui ne serait pas intangible…
Qu’importe
ces arguments ! Toutes ces constructions n’ont qu’un seul et
unique objectif : créer les conditions pour faire accepter une
sévère rigueur budgétaire afin de diminuer les
déficits sans tarder, telle qu’elle s’installe en Espagne,
en Irlande, au Portugal, en Grèce, au Royaume Uni, et s’annonce
ailleurs. Aboutissant aux Etats-Unis à démanteler le peu qui
existe de solidarité sociale, et à la réduire en Europe.
Ainsi qu’à plonger dans la récession les fleurons de
l’économie occidentale, à quelques exceptions
près, qui ne sauraient durer dans ces conditions. Signant la
première contradiction d’une situation qui les accumule.
Ces
constructions poursuivent d’autres objectifs, moins visibles,
également destinés à défendre les
intérêts du système financier. Céder la place aux
établissements financiers sur le marché obligataire, où
il y a foule, a été précédemment
identifié. Mais le but poursuivi est aussi de redonner de la vigueur
à la dette souveraine, devenue un placement risqué.
Vitor Constancio,
vice-président de la BCE, avait le 15 juin dernier transgressé
un interdit en s’alarmant de la concurrence montante entre les banques
et les Etats sur le marché obligataire, et du risque de hausse des
taux qui en résultait. Cette fois-ci, c’est Nikolaus
Von Bomhard, Pdg de
Munich Re, le premier réassureur mondial qui
gère 200 milliards d’euros d’actifs, qui a mangé le
morceau. « Il n’existe plus de placement absolument
sûr, auquel nous étions habitués depuis des
années », a-t-il estimé en faisant
référence aux crises européenne et américaine,
précisant : « Un emprunt d’Etat n’est plus ce qu’il
était par le passé. » L’idée est bien
donc de revenir aux amours perdues et aux plaisirs d’antant.
De
plus en plus décorrelé du monde
économique, enflée à l’extrême et sans autre
référence de valeur que celle du marché, si capricieux,
la sphère financière a besoin d’étais pour
consolider son échafaudage instable. Si les Etats ne peuvent plus
être les prêteurs en dernier ressort, via leurs banques
centrales, en raison de l’énormité des engagements que
cela supposerait, ainsi que des dangers de l’inflation qui pourrait en
résulter, qui mettrait tout l’édifice financier à
bas, que reste-t-il d’autre comme point d’appui ?
Voilà
la seconde contradiction: le capitalisme financier en est venu à scier
la branche sur lequel il était assis et voudrait maintenant
qu’elle soit rafistolée. Mais si le prix à payer
entraîne globalement dans la récession l’économie
occidentale, Etats-Unis en tête, comment l’objectif pourra-t-il
être atteint ?
La
réaction mitigée des marchés asiatiques, ce matin, prend
en compte les résultats très décevants de
l’économie américaine dévoilés en fin de
semaine dernière.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
|