La ville de demain, une question qui ne
vous concerne pas ? Voire ! L'urbanisme et le développement urbain
sont des sujets apparemment rébarbatifs, ou prompts à des
débats de techniciens dont le citoyen non spécialiste pourrait
à tort se sentir exclu. Pourtant, peu de questions ont autant
d'importance pour notre avenir. 80% des Français vivent dans des zones
urbaines, et encore la dénomination "non urbaine" de certains
villages de nos campagnes prêterait elle à
réinterprétation.
A quoi ressemblera la ville dans laquelle nous vivrons demain, combien cela
nous coûtera-t-il d'y vivre, l'environnement y sera-t-il
agréable, et pourrons nous y tisser toutes les relations
économiques et sociales que nous souhaitons ? Avouez que peu de
questions auront une influence plus déterminante sur notre
qualité de vie future et celle de nos enfants.
Danger :
l'élite technocratique pense pour vous !
Pourtant, que les choses soient claires: votre avis sur l'évolution de vos villes n'a
aucune importance. Absolument aucune. L'état nounou,
dans sa grande bonté, a décidé de vous dispenser de
pouvoir exprimer des choix en la matière. Aujourd'hui, des
bureaucraties, qui ont détourné les rouages institutionnels
à leur service, prétendent sous couvert de leur
"expertise" contrôler toujours plus étroitement le
moindre aspect du développement futur de nos villes, et donc de nos
vies.
Or, nombre de politiques urbaines prônées aujourd'hui sont
fondées bien plus sur des préjugés et peurs
irrationnelles (ah, l'étalement
urbain...), ou gouvernées par une idéologie
environnementaliste de type extrémiste sous-jacente. Cela ne veut pas
dire que toutes les personnes voulant appliquer zonages, lutte
contre l'étalement urbain, et développement centré sur
les transports collectifs soient tous des éco-fascistes, loin de
là. Mais quelques leaders d'opinion, quelques concepts marketing aussi
biaisés que porteurs, mélangez le tout avec la sociologie des
bureaucraties interventionnistes, et voilà le résultat...
Si j'ai abondamment évoqué le zonage et l'étalement
urbain par le passé, je voudrais m'attarder un peu sur la question du
"développement orienté vers les transports
collectifs", qui est une tendance très lourde de l'urbanisme
officiel, et qui est un des aspects les plus notables des lois dites
"Grenelle 2" qui doivent normalement passer comme une lettre
à la poste à l'assemblée sous quelques semaines.
Un concept
importé, le Transit
Oriented Development - TOD
Dans son article
publié ici même ce dimanche, Jean-Michel
Bélouve fait remarquer fort justement que les dispositions de loi
contenues dans le projet intitulé "Grenelle 2" visent
à forcer les gens à habiter des quartiers à
densité plus élevée bâtis dans les limites des
centres urbains existants, au nom de la lutte contre l'étalement
urbain. Ce type de développement à haute densité suppose
un fort développement des transports collectifs en site propre, trams
et métros principalement, pour parvenir à prendre en compte les
besoins de mobilité des populations concernées.
La loi Grenelle 2
stipule donc - Dans la
continuité des lois antérieures qu'elle ne fait que renforcer
- que les plans locaux d'urbanisme devront évidemment se
conformer aux SCOT (Schémas de Cohérence Territoriaux)
créés par la loi SRU, qui eux mêmes devront prendre en
compte les Plans Locaux de l'Habitat (PLH) et Plans de déplacement
Urbain (PDU), ces documents devant être bâtis en synergie de
façon à permettre la densification urbaine autour des axes de
transport en commun les plus fréquentés.
Cette
stratégie devrait, selon ses promoteurs, réduire les
émissions de CO2 grâce à l'augmentation de l'usage des
transports en commun de type "propre", réduire la
"consommation d'espace", concept déjà
éreinté dans ces colonnes,
réduire la congestion routière en réduisant le recours
à l'automobile, et augmenter l'efficacité des investissement
collectifs urbains en favorisant une meilleure utilisation de ces
équipements du fait de zones de chalandise plus peuplées.
Cette conception liée à la densification des pôles
urbains nouveaux ou renouvelés autour d'investissement lourds dans les
transports collectifs est appelée "Transit Oriented Developpement", en
abrégé TOD, outre Manche et Atlantique, et est
l'une des clés de voûte des nouvelles politiques de
planification urbaines que la technocratie veut nous imposer ici et là
bas. (En savoir
plus, côté partisans du TOD)
Est-ce que le TOD répond aux espoirs placés en lui ? Nous
allons voir que non. Mais plutôt qu'une approche
théorique, abordons cette évidence par le petit bout de
la lorgnette, à travers l'exemple des politiques de TOD vues par
certains organes de presse de la gauche honnête et courageuse à
San Francisco.
L'échec du TOD
à San Francisco
S'il est une
ville ou le TOD devrait avoir bonne presse, c'est là bas. Ville
historique à centre ville compact et dense, politiquement très
à gauche tendance Bourgeoise-Bohême, ayant d'ores et
déjà investi dans nombre de projets de transports en commun
très couteux, San Francisco fut la première à se doter
dès la fin des années 60 de "Smart Growth Policies",
littéralement "politique
de croissance élégante", comprendre
"planifée par des professionnels" selon des schémas
très stricts dans lequel tout projet de développement qui ne
serait pas compatible avec les smart
growth plans serait immanquablement rejeté.
Pourtant, même certains journalistes de gauche commencent à
douter du bien fondé de ces politiques de TOD comme on
peut le voir sur cet article d'un journal Franciscain.
L'auteur, Mark Salomon, qui ne fait aucun mystère de son aversion pour
le parti républicain dans le corps de l'article, écrit
(traduction maison):
Après un examen
minutieux de la réalité concrète sur le terrain, A San
Francisco, le TOD est un leurre vert visant à accroître les
profits des développeurs tout en conduisant à exacerber les
conditions qui amènent à un accroissement des émissions
[de GES], au changement climatique, à la congestion et à des
transports de surface plus lents et moins fiables. Le simple fait que des
aspects d'une politique paraissent fonctionner sur le papier ne signifie pas
qu'elles marchent comme prévu en réalité, ou que
certains de leurs aspects n'aillent pas à l'encontre de leurs effets
désirables.
On ne saurait mieux dire que le TOD n'a pas rempli ses objectifs
séduisants sur la papier. Pour parvenir à ce constat, courageux
de sa part, puisqu'il va a l'encontre des préceptes soutenus en plus
haut lieu par ses amis politiques, M. Salomon fait quelques constats simples.
Tout d'abord, l'emploi dans l'agglomération a fui le centre ville. Les
principaux pôles d'activité au sein de l'aire urbaine de San
Francisco sont en banlieue, à commencer par la célèbre
Silicon Valley. Wendell Cox, dont la firme "Demographia" tient une
des bases de données urbaines du monde anglo saxon la plus riche qui
soit, note dans son commentaire de l'article de M. Solomon qu'en fait, 90% des emplois sont
situés hors du centre ville. Cela a une influence déterminante
sur la mobilité.
Deux handicaps
rédhibitoires
M. Salomon rapporte une enquête diligentée par l'état de
Californie montrant que même en limitant le périmètre de
l'étude à des quartiers bien desservis par les transports en
commun, et bien que l'investissement routier à San Francisco n'ait pas
été le plus dynamique qui soit ces dernières
années, smart growth oblige, les temps de parcours domicile-travail
moyen des employés des 30 principales firmes localisées
à San Francisco serait de 2 à 4.75 (moyenne 3.5, +250%) fois
plus élevé, en moyenne, s'il devait être fait en
transports en commun plutôt qu'en voiture.
M. Salomon note en outre que le prix des logements en immeubles bâtis
dans les quartiers centraux près des grandes lignes de métro ou
de tram coûtent plus de deux fois plus cher que celles construites dans
les banlieues "étalées" de San Francisco (prix
médian de 627 000 $ contre 298 000). L'auteur semble admettre une
causalité entre TOD et prix élevés, ce qui est à
mon sens inexact: les prix élevés sont la conséquence du zonage
et de la difficulté de libérer des terrains à la
construction, et le TOD, en tant qu'outil d'accompagnement de ces politiques,
est évidemment corrélé aux prix élevés
mais n'en est pas la cause directe. Mais peu importe.
M. Salomon, en être humain sensé, constate qu'une ville
"vivable" doit être certes "plaisante" mais aussi
"financièrement accessible", sans quoi le côté
plaisant sera réservé aux plus riches. Or il note que le TOD
n'est pas compétitif face au développement classique par
étalement urbain sur deux aspects: les salariés forcés
à vivre selon les préceptes du TOD devraient payer leur
logement deux fois plus cher et multiplier leurs temps de parcours par 3 et
plus.
Evidemment, M. Solomon retombe dans le travers collectiviste en affirmant que
seuls des investissements massifs de 20 Milliards (!!) de dollars dans des
lignes de métro modernes pourraient rendre le TOD compétitif
face à l'auto. Les métros peuvent dans certains cas se justifier (très
hautes densités, etc.) mais l'auteur ne se pose visiblement pas de
question sur l'opportunité économique d'un tel investissement
par rapport à la fréquentation qui peut en être
espérée...
Théorie
Maintenant, la théorie. Lorsque vous empêchez le
développement urbain par la périphérie, vous
réduisez considérablement la capacité de construire la
quantité de logements nécessaires pour répondre à
la demande globale, surtout lorsque celle ci est alimentée par un boom
artificiel du crédit. Faute de concurrence, les prix des logements
existants et des rares terrains constructibles près des centres villes
tend à exploser, ce qui pousse bien des ménages moyens à
rechercher à s'établir en banlieue, voire, si les
règlements contraignent aussi la construction dans les couronnes
proches, à chercher du foncier abordable au delà de la zone de
"perturbation réglementaire" introduite par les règles
de zonage trop strictes.
Que font les employeurs dans ces conditions ? Ils font de même ! D'une
part, ils ont besoin de grandes surfaces pour accueillir beaucoup
d'employés (C'est
pour cela qu'Apple est établie à Cupertino plutôt
qu'à S.Francisco, ou que Microsoft a son siège à Redmond
plutôt qu'à Seattle). D'autre part, toute politique
augmentant le coût du terrain au centre ville va les inciter à
s'excentrer davantage, comme les particuliers: les entreprises aussi
cherchent à minimiser leurs coûts.
Du coup, la dispersion des points d'origine et de destination des voyageurs
devient telle qu'il est impossible de tous les desservir par des transports
directs et non pénalisés par le problème du
"dernier kilomètre", au départ comme à l'arrivée,
et que la politique de lutte contre l'étalement urbain, en
renforçant l'attractivité financière de
l'éloignement des centres, exacerbe cette tendance.
De fait, même si les infrastructures routières peuvent par
endroit se trouver saturées, aucun transport en commun ne peut
rivaliser, en temps de parcours moyen de porte à porte, avec celui
offert par l'automobile. J'insiste bien sur le terme moyen: si le temps de
parcours "moyen" est multiplié par 3 entre la voiture et les
TC, il se trouvera, selon une courbe de Gauss classique, quelques individus
qui verront leur temps de transport réduit et auront, sur ce
critère, intérêt à les utiliser: ceux qui auront
la double chance d'avoir leur logement à moins de 5-10 minutes d'une
ligne rapide (en site propre, de préférence) reliant
directement leur emploi, lui même situé à moins de 5
minutes de la station d'arrivée. Et encore faut il que les deux
stations ne soient pas en bout de ligne, auquel cas se posera la
difficulté du manque de fréquence des rames hors heures de
pointe.
Ce cas de figure étant rare, il ne faut pas s'étonner qu'un peu
partout dans le monde occidental, richement doté en automobiles, la
part de marché des transports en commun urbains soit faible (exemples:
Portland 8.0% des déplacements domicile travail et 2% des passagers x
km totaux, San Francisco 4.8% des P x km, ou plus près de nous Nantes,
19% des déplacements tous motifs hors marche à pied - 15% tous
modes confondus, malgré une subvention moyenne de 82% du prix du
voyage...) et n'augmente pas, sauf lorsque des politiques très
coercitives sont mises en oeuvre, comme dans certaines villes Suisses. J'y
reviendrai.
Tant l'exemple franciscain que la théorie nous montrent que non
seulement les politiques de TOD ne sont pas désirables dans l'absolu,
mais qu'elles tendent à amplifier les effets supposément
pervers qu'elles devraient contrecarrer.
On ne combat pas la
congestion par le report modal
L'on nous dit qu'un "report modal" de l'automobile vers les
transports collectifs réduirait la "congestion", laquelle
est une "externalité négative" engendrant un fort
"coût social" pour la collectivité.
Dès que l'on parle "d'externalités", méfiance,
tant il est possible de faire dire n'importe quoi à ce concept, qui
pourtant, sur le papier, fait sens. Il s'agit de dire que toute action
humaine entraine des conséquences pour des tiers dont l'auteur de
l'action ne supporte pas le coût et dont celui ci est reportés
sur la collectivité le plus souvent.
Dans le cas de la congestion, l'étude du fonctionnement des axes
routiers a montré que le seuil de passage de la fluidité
à la congestion était relativement abrupt: il suffit que le
trafic sur une route augmente de 10 à 15% par rapport à son
écoulement optimal pour créer une congestion augmentant les
temps de parcours de 100% des usagers dans des proportions parfois
importantes. Les 85% d'automobilistes qui auraient
bénéficié d'un parcours fluide sont donc en quelque
sorte "victimes" des 10 à 15% d'automobilistes marginaux
supplémentaires. Des études très sérieuses ont
essayé d'estimer ce surcoût en convertissant le temps perdu et
la surconsommation de carburant en unités monétaires.
Mais cela ne constitue en rien une justification automatique des
investissements susceptibles d'entrainer un report modal de ces 10 à
15% surtout lorsque le coût par passager*km desdits investissements est
hors de proportion avec le gain marginal obtenu sur les trafics.
Surtout, au vu des temps de parcours, on peine à comprendre pourquoi
les études ne comptabilisent jamais l'allongement des temps de
transport dans les TC comme un coût, qu'il soit internalisé ou
externalisé.
Car ce qui compte dans l'esprit de l'usager, c'est entre autres le temps
total de parcours (ainsi
que le confort, le risque d'agression, le risque d'accident, la
commodité du coffre, toutes sortes d'argument pouvant faire pencher la
balance pour l'un ou l'autre des modes de transport) plus que la
présence d'embouteillages, que le confort des véhicules
modernes permet de rendre supportables.
Plusieurs études, notamment celles du Texas Transportation Insitute,
ou de Hartgen et Fields, de l'université de Caroline du Nord (cités par S.Staley), montrent que
l'allongement moyen du temps de parcours lié à la congestion
aux heures de pointe varie de +4% (imperceptible) à +75% (très
sévère) par rapport au même parcours en heures creuses
dans la plupart des villes américaines. Cela reste très
inférieur aux +250% (* 3.5) que représenterait pour les
intéressés un report modal vers les transports collectifs dans
une ville comme San Francisco.
Par conséquent, le coût de la congestion, qui est parfaitement
internalisé par l'automobiliste par ailleurs, est bien moins
élevé que ne serait le coup du temps perdu à cause de
transferts modaux forcés vers les transports en commun. Inutile de
dire que les études "anti-voitures" ne mentionnent jamais ce
détail
passablement gênant.
Conséquences
sociales de l'augmentation des temps de transport
Cela veut il dire que les efforts pour réduire la congestion sont
illégitimes ? Certainement pas. En revanche, on peut douter de
l'utilité des programmes pharaoniques de transport en commun pour y
parvenir.
Comme je l'ai déjà écrit à propos de la
sécurité routière, le temps
passé dans l'opération de transport d'un point A à un
point B n'a pas de valeur pour l'individu, ce qui compte pour lui est de pouvoir
effectuer les activités qui l'attirent au point A ou au point B: vie
professionnelle, vie sociale et affective, vie familiale, loisirs... S'il
existait un moyen pratique de se téléporter,
plus personne, ne perdrait de temps à se transporter, sauf cas marginaux.
Voilà pourquoi les individus cherchent à réduire leur
temps de transport, au risque d'ailleurs parfois de compromettre leur
sécurité.
Christian Gérondeau note dans son ouvrage "les danseuses de la
république" qu'il existe dans le monde entier une sorte de seuil
psychologique de temps de déplacement total au delà duquel les
gens sont réticents à entreprendre un déplacement, pour
quelque motif que ce soit. Ce seuil, selon diverses études, ressort à
peu près à 60 minutes par jour en moyenne, avec des
disparités locales assez restreintes.
Cela veut dire que si une personne passe 60 minutes dans son
déplacement domicile travail, elle sera bien moins encline à
entreprendre un autre déplacement que si elle n'en passe que 30. Au
détriment, bien sûr, du restaurant, du cinéma, de la
visite chez des amis, de la pratique sportive, et même, des
études l'ont montré, des relations amoureuses*.
L'absolutisme pro
transports urbains collectifs n'est pas la solution
A San Francisco, nous avons vu que le temps de parcours moyen d'un usager de
l'automobile qui serait contraint par une politique de TOD plus coercitive
à utiliser les transports en commun serait multiplié par 3.5,
et encore, en supposant que la capacité des TC n'atteigne pas au bout
d'un certain temps ses limites. Un report modal contraint vers les TC
conduirait donc nombre de californiens à abandonner tout un tas
d'activités extra-professionnelles et familliales, et il est peu
probable que l'économie locale induite par ces activités s'en
trouve renforcée, ou que le taux d'utilisation des équipements
collectifs augmente...
Pire encore, le nombre d'employeurs qu'un individu pourrait mettre en
concurrence dans une fenêtre temporelle de transports donnée
diminuerait drastiquement, réduisant la capacité de
négociation du salarié, sa capacité à trouver un
travail plaisant, à saisir des opportunités d'évolution
de carrière. Ces hypothèses ont été
validées par plusieurs études réalisées en
plusieurs endroits du monde: Rémy Prudhomme et Chang-Woon Lee constatent
que tant en France qu'en Corée du Sud, la productivité des
entreprises urbaines augmentent quand le nombre d'emplois atteignables par
tout individu dans un délai de 30 minutes augmente (étude payante,
hélas, mais il y a une version résumée en
.doc ici). Waller et Hugues, pour le plutôt
à gauche Progressive Policy Institute, notent que la sortie de la
pauvreté est le plus souvent liée à la capacité de se doter d'une automobile
bon marché, alors que la proximité de transports en commun
n'apporte pas réellement d'avantages en ce domaine. Hartgen et
Fields ont calculé le retour sur investissement que rapporterait une
dimonution de la congestion dans plusieurs agglomérations américaines,
et leurs résultats montrent que l'impact d'une meilleure
connectivité routière notamment de banlieue à banlieue
serait extrêmement positif pour les économies locales (résumé, PDF complet).
Les
conséquences sociales d'un jusqu'au boutisme de l'urbanisme
"orienté transports collectifs" seraient donc sans aucun doute
tout à fait désastreuses. L'enfer urbain est pavé de
bonnes intentions planificatrices...
La civilisation centrée sur les transports en commun
rêvée par les planificateurs se muerait vite en une sorte de
métro-boulot dodo où seule la minorité qui conserverait
la possibilité d'user de sa voiture se verrait offrir les meilleures
opportunités professionnelles et personnelles. Est-ce vers cette
réalité que les citoyens "ordinaires" veulent aller ?
Certainement pas, à condition que ces enjeux ne leur soient pas
masqués par le rabâchage des pseudo-arguments
anti-étalement urbain.
L'anti-modèle
suisse
Cette vision n'est hélas pas que théorique. Plusieurs
cités helvétiques, telles que Berne ou Zurich, pour celles dont
j'ai pu trouver les chiffres, ont mis en oeuvre des politiques drastiques de
limitation de la circulation urbaine automobile en réduisant
considérablement la "roulabilité" des grandes
artères et en augmentant non moins considérablement les taxes
sur les stationnements. Ces politiques sont souvent citées en exemples
par les partisans de la planification urbaine coercitive. Mais la
contrepartie en temps perdu dans les transports est dramatique.
En 2002 à Berne (aire urbaine de 310 000 habitants), le temps
passé quotidiennement dans les transports était de 91 minutes,
et de 88 minutes dans l'aire Zürichoise (935 000 habitants). A Nantes,
ville pourtant deux fois plus peuplée que Berne, le temps passé
dans les transports n'était "que" de 53 minutes, et à
Paris, dans une agglomération 12 fois plus peuplée que
Zürich, le temps passé n'était "que" de 83
minutes.
Le "Transport-en-communisme" que les lobbys concernés ont
réussi à vendre aux suisses (par référendums...)
se révèle à l'usage être un véritable
handicap en terme de qualité de vie.
L'exemple de Hong
Kong
La cité de Hong Kong, jusqu'en 1997, a servi d'aimant aux populations
sino-vietnamiennes cherchant à fuir leurs régimes communistes,
et de ce fait, a accumulé une population supérieure à 7
Millions d'habitants sur 1000 km2, avec un fort relief de surcroît. La
ville de Hong Kong ne pouvant s'étendre par la
périphérie pour d'évidentes raisons, a du adopter un
modèle de croissance en hauteur, et dispose d'un réseau de
transport en commun de tout premier ordre (et
entièrement privé au moins jusqu'en 2000, faiblement
subventionné depuis le retour de la Chine aux commandes),
lequel assure 73% des déplacements urbains (source),
un record mondial absolu, même si ce pourcentage était de 80% en
1980. Avec une densité moyenne sur l'ensemble de son territoire
supérieure à 7 000 hab/km2, et bien plus dans l'hypercentre,
Hong Kong ne pourrait absolument pas se passer de son métro et de ses
lignes de bus. Il n'est donc pas ici question de dire que la mobilité
de la presqu'île pourrait reposer uniquement sur la route, mais de
savoir si le modèle de développement fondé sur des
hautes densités et la prééminence du transport collectif
est susceptible d'être un facteur améliorant la qualité de
vie.
Malgré son réseau de TC remarquable, comme le rappelle Wendell
Cox dans cette interview, le Temps
de déplacement moyen journalier est de 100 minutes, bien plus que dans
des agglomérations de taille comparable mais plus
étalées (40 minutes à Houston 6M hab, 83 à Paris,
#10M...). Hong Kong n'avait pas le choix de son mode de développement
urbain, mais force est de constater que la contrainte géopolitique imposée
par l'histoire n'a pas été favorable à l'allocation de
plus de temps libre utile pour ses citoyens via une réduction du
besoin en temps de transport, bien au contraire.
Ce qui conduit à affirmer que lorsque l'on a le choix, une autre forme
de développement urbain doit être trouvée.
L'extension des
capacités routières, seul moyen d'accompagner la croissance
démographique urbaine
Laisser se développer au delà du raisonnable la congestion
automobile aurait également un coût social insupportable, pour
les mêmes raisons. Il est donc légitime de la combattre. Comment
?
Si l'approche par le report modal de l'automobile vers les TC se
révèle contre productive sauf dans le cas très
particulier des hyper-centres urbains très denses tels que New York, Paris, Londres ou Hong
Kong, il ne reste comme option valide dans l'immense
majorité des villes que d'augmenter les capacités des
infrastructures routières, soit en augmentant le nombre de voies, en
dénivelant les carrefours les plus fréquentés quand cela
est possible, en améliorant les outils de gestion des trafics urbains
(feux, etc...).
Bien que n'étant pas gratuits non plus, le retour sur investissement
de l'amélioration des capacités routières est sans
commune mesure avec celui des transports en commun sur rail en site propre.
Et le financement par concession de ces investissements (comme pour le tunnel
de l'A86 à l'Ouest de Paris), lorsqu'il est techniquement possible,
permet de faire supporter la charge à l'usager et non au contribuable.
Mais surtout, laisser la ville se développer par la
périphérie, et donc réduire les densités
moyennes, tout en laissant les zones d'emploi s'imbriquer avec les zones
d'habitation, permettrait des gains très importants. Tant les
études du fournisseur de systèmes d'info-trafic Inrix que
celles du Texas Transportation Institute suggèrent une
corrélation positive entre densité moyenne de l'aire urbaine et
temps perdus dans des épisodes de congestion routière aux USA (source).
Cela se comprend aisément. Le développement de la ville par la
périphérie selon des mécanismes de marché n'est
pas, contrairement à ce que les avocats de la planification à
outrance affirment, "anarchique" ou "incohérent".
Au contraire, les décisions des agents économiques sont prises
en fonction d'un existant, et la recherche de la réduction des temps
de parcours est une des informations prises en compte par les agents
économiques lorsqu'ils vont décider d'implanter qui sa maison,
qui son entreprise. Hayek a défini la notion "d'ordre spontané"
pour qualifier les harmonies qui naissent d'un marché régi par
la liberté sous contrainte de la responsabilité.
Comme le montrent Hartgen et Fields cités plus haut, des villes qui
peuvent respirer à leur périphérie et dont les
investissements routiers, notamment de banlieue à banlieue, permettent
de maintenir la congestion dans des limites supportables, tendent à
augmenter la prospérité et la productivité urbaine. Mais
de plus, elles peuvent, en diminuant les temps de parcours et en augmentant
la mobilité globale de la population, considérablement
augmenter la qualité de vie.
Oui, mais le CO2 ?
A ce stade, si vous tentez d'évoquer ce qui précède dans
une conversation de salon, on vous rétorquera que la ville
"étalée" et "auto-mobile" telle que je la
défends serait une catastrophe au plan écologique, et notamment
climatique, car elle rejetterait plus de ce satané CO2.
Même en admettant que le climato-sceptique que je suis se trompe et le
CO2 soit bel et bien la bête noire de notre climat des années
futures, un développement urbain basé sur de fortes
densités serait générateur de plus de rejets de ce gaz
que celui fondé sur l'étalement urbain. C'est la conclusion
d'une étude menée par une association écologiste
australienne sur toutes les grandes agglomérations de l'ile continent,
étude citée ici par le président
d'une association pro-développement des banlieues libres, Tony Recsei.
Il en ressort que le principal fournisseur de CO2 à
l'atmosphère, tant en phase de fabrication qu'en phase de
consommation, est le logement, et non le transport, et que les zones
d'habitat individuel sont moins émettrices de CO2 que celles
constituées d'immeubles. Il en résulte que les zones les plus
denses sont celles qui émettent le plus de CO2, tant en phase de
construction qu'en fonctionnement quotidien.
Point n'est besoin d'aller en Australie pour constater que la consommation
d'énergie de l'habitat individuel est moins élevée qu'en
collectif. Le peu suspect de sympathies libérales Joseph Comby, ancien
président de l'ADEF, et ex-rédacteur en chef
de la revue "études foncières", favorable à la
maîtrise planifiée de l'étalement urbain par ailleurs,
lors d'un discours prononcé à Bordeaux sur le thème de
l'étalement urbain (PDF),
a affirmé, je cite, que:
Ne pas se tromper de cible, c’est ne pas se battre
contre la maison individuelle. Car c’est une erreur,
c’est prendre l’opinion publique à rebrousse poil et
c’est tout à fait inutile, la question n’est pas
là. Tout le monde veut avoir une maison individuelle. On voit bien
quand on regarde les autres pays européens, que dans les pays
où l’on trouve beaucoup d’habitat individuel, ils
n’ont pas pour autant un usage anarchique de l’espace agricole et
naturel, ils les défendent même fort bien, comme la Suisse, les
Pays-Bas et l’Allemagne.
Il y a aussi de
mauvais arguments pour lutter contre l’étalement urbain.
Il est très étonnant de voire de quelle façon les
études sont montées pour essayer de montrer
l’indémontrable. On n’a pas envie pour des raisons
subjectives qu’un territoire soit gâché par une
urbanisation anarchique, donc on cherche à rationaliser ce rejet au
nom de différents arguments, notamment au nom de la croissance des
dépenses communales. On entend dire cela très
fréquemment.
Finalement, ce n’est pas vrai du tout. On a fait le calcul à
l’Adef : on a pris toutes les communes situées entre 15 et 30 km
du centre de Paris et par simple traitement de fichiers informatisés
des impôts, on a regardé les budgets communaux d’une part,
et d’autre part les résultats du dernier recensement. On a
classé chaque point en fonction du taux de logements individuels dans
le parc. Cela nous donne un nuage de points, qui traduit, par la droite de régression,
que plus il y a d’individuel, moins l’urbanisation est
chère.
Il est vrai que l’individuel coûte moins cher à construire
que le collectif. Il y a toutes sortes de résultats qui sont
contre-intuitifs. On
est persuadé que dans une maison individuelle on consomme plus
d’énergie que dans un immeuble collectif. Quand on regarde les
factures on observe le résultat inverse. Pourquoi ? Et
bien dans un logement individuel, quand les gens s’en vont, ils
éteignent le chauffage, alors que dans un immeuble collectif ils le
laissent ouvert. Les factures énergétiques sont plus
élevées dans l’habitat collectif que dans l’habitat
individuel.
La lutte contre les rejets de CO2 n'est donc en rien favorisée par un
développement urbain fondé sur l'accroissement des densités,
ce qui condamne un des derniers arguments en faveur des politiques de
"Développement orienté par le transport collectif".
Conclusion
Revenons au titre de cet article. Dans
quelle ville voulons nous vivre demain ? Celle qu'auront
conçue pour nous des planificateurs professionnels biaisés par
la prééminence de certaines idéologies fondées
sur la culpabilisation permanente de l'humain, et par les comportements
induits par la sociologie administrative qui les force à trouver en
permanence des arguments permettant la justification de leur emploi ? Celle
qu'auront voulue des "experts" qui se sont toujours trompés
dans leurs projections d'avenir, à qui nous devons tant de
"villes nouvelles" tellement rieuses, qui nous parlent
désormais d'éco-polis,
et qui nous rappellent à chaque instant combien ils en savent plus que
nous sur ce qui nous rendra "collectivement heureux" ?
Ou bien voulons nous une ville donnant aux individus le choix entre des
environnements urbains variés, permettant au plus grand nombre de ceux
qui en rêvent de vivre en maison individuelle, tout en donnant à
la minorité plus urbanophile la possibilité de choisir d'autres
formes d'habitat plus collectives ? Une ville où les habitants
pourront choisir entre un large panel de modes de vie et tisser des liens
fructueux grâce à une mobilité aisée et choisie ?
Une ville où se loger selon ses désirs restera
financièrement accessible ?
Mais, faute de prise de conscience suffisante du grand public des
désastres que la bureaucratie planificatrice leur a fait subir, comme la
bulle immobilière récente
créée par la raréfaction foncière
réglementaire, faute d'intérêt des ménages pour un
urbanisme purement technocratique devenu abscons, il est à craindre
que les grands prêtres de la "lutte contre l'étalement
urbain" vont remporter une victoire législative sans
précédent grâce aux lois Grenelle 2. Une
victoire au détriment de la qualité de vie et du pouvoir
d'achat de l'ensemble des populations modestes et des classes moyennes,
principalement.
Vincent
Bénard
Objectif Liberte.fr
Vincent Bénard est Président de l'institut Hayek
(Bruxelles) et Senior Fellow de Turgot
(Paris), deux thinks tanks francophones dédiés à la
diffusion de la pensée libérale, et sympathisant des deux seuls
partis libéraux français, le PLD et AL.
Publications
:
"Logement: crise publique,
remèdes privés", dec 2007, Editions Romillat
Avec
Pierre de la Coste : "Hyper-république,
bâtir l'administration en réseau autour du citoyen",
2003, La doc française, avec Pierre de la Cos