Malgré les polémiques grossières sur Pétain lancées par un Macron en mal de popularité, la grogne sur la pression fiscale ne semble pas faiblir. Et alors que se tient à Cannes un « Salon international de l’émigration et de l’immobilier de luxe », sobrement rebaptisé « salon de l’évasion fiscale » par une bande de paléo-communistes particulièrement fumaces, on apprend que Darmanin, le ministre de l’Action et des Comptes publics, entend combattre pied-à-pied chaque petite tentative ridicule des Français visant à réduire leur joug fiscal.
Et pour cela, Gégé a un plan, un truc magique qui va lui permettre de traquer, débusquer et coincer les fraudeurs de toutes trempes qui sévissent encore bien trop dans les contrées fiscales françaises.
Gégé, c’est un petit gars moderne. Sémillant trentenaire, il pratique la branchitude et les réseaux sociaux avec le brio qui sied à sa génération : il sait comment ça marche, il sait ce qui est possible ou pas, il maîtrise. À tel point que c’est lui qui est en charge du Prélèvement de l’impôt à la source et qu’on sait qu’avec un tel chef de projet, ça va marcher du feu de Dieu, dépoter sévère et envoyer du lourd.
Et comme il a tout compris des réseaux sociaux, qu’il a en outre noté avec sa perspicacité de fin limier de l’impôt que certains affichaient sur ces derniers un train de vie manifestement incompatible avec les revenus qu’ils déclarent officiellement à Bercy, il s’est dit : « Mon Gégé, pas de doute, il y a un truc à faire, là. »
C’est donc tout naturellement que Gégé, lors d’une interview accordée à l’émission Capital, en vient à proposer une solution radicale : analyser les réseaux sociaux à la volée pour déterminer ceux qui auraient un décalage entre leur train de vie affiché et leurs revenus déclarés. Dans sa bouche, cela donne ceci :
« Nous allons pouvoir mettre les réseaux sociaux dans une grande base de données. Il y aura la permissivité de constater que si vous vous faites prendre en photo, de nombreuses fois, avec une voiture de luxe alors que vous n’avez pas les moyens de le faire, peut-être que votre cousin ou votre copine l’a prêtée, ou peut-être pas »
Pour résumer grossièrement, dès le début de l’année prochaine, les fines équipes de Darmamin et l’ensemble du portique multitaxe de Bercy vont faire exactement ce que les cambrioleurs font lorsqu’ils scrutent sur Facebook les départs en vacances pour intervenir en toute quiétude, à la différence que ce ne sera pas du vol pour Bercy puisqu’ils auront des cerfas à vous faire signer avant.
Que voilà une idée formidable ! Grâce à ce nouveau Service Téléinformatique pour l’Assurance de la Sécurité de l’Information, Bercy – qui, je vous rassure, a reçu toutes les autorisations et tous les petits votes favorables à l’Assemblée Nationale, bisous – va pouvoir espionner absolument tout le monde et intervenir rapidement en envoyant sa brigade d’efficaces inspecteurs pour redresser les torts et les comptes cachés.
Tout ceci s’annonce extrêmement bien et on entrevoit déjà, comme le fait remarquer Vincent Bénard sur Twitter, la suite logique de cette nouveauté technologique mise en place par notre admirable administration fiscale : puisqu’on va pouvoir lancer des contrôles fiscaux sur base de photos Instagram ou Facebook, pourquoi ne pas carrément se la jouer Pekin-Style en demandant à tous les citoyens de se noter entre eux, charge aux administrations de tomber ensuite à bras raccourcis sur les moins bien notés et les plus dénoncés ?
Normalement, après une stupéfaction logique et une période de sidération consternée, ces déclarations devraient déclencher une vague de protestations dans toute la classe politique : les dérives de ce genre de systèmes sont flagrantes.
Or, il n’en est rien.
On pourrait charitablement mettre cette absence de réaction sur la sagesse des députés acquise au fil des années : peut-être prennent-ils en compte qu’en matière d’informatique, l’État est extraordinairement nul (les déboires de Pôle Emploi illustrent fort bien ce point) et que les déclarations de Darmanin n’engagent dès lors que ceux qui croient aux pénibles bobards de la frétillante endive frisée ministérielle ; l’analyse des réseaux sociaux sera menée avec le même brio que les précédents projets informatiques de l’État, et foirera donc dans un feu d’artifice de dépenses publiques rassurant pour les libertés civiles.
Malheureusement, il est assez peu probable que les politiciens se soient effectivement rendu compte de cette constance dans l’erreur. L’autre explication possible est, en revanche, bien plus inquiétante.
Elle tient en deux éléments.
D’une part, des politiciens savent, confusément ou pas, que l’État a maintenant un besoin impérieux de lancer ces opérations, tant est vitale la récupération de chaque ponction fiscale pour financer son train de vie. Du reste, le prélèvement à la source, qui promet sur le papier un taux de recouvrement record, laisse espérer quelques pourcents budgétaires supplémentaires ; à 3 milliards d’euros le pourcent, la galette devient vite alléchante. Si l’espionnage des réseaux sociaux permet de gagner un ou deux milliards d’euros supplémentaires dans la besace de Bercy, ce sera toujours ça de pris. Au moment où la France s’appauvrit, cela devient rapidement indispensable.
D’autre part, nos « élites » politiques, étonnamment peu bavardes sur le sujet, constituent l’archétype d’un groupe qui aura tout intérêt à se serrer les coudes pour garantir son avenir.
Pour que l’État puisse perpétuer son emprise sur tous, il lui faut par nature s’assurer de troupes dociles.
Dans ce cadre, tout sera fait pour la recherche d’un consensus social, d’une pensée de groupe aussi uniforme et aussi neutralisante possible : ainsi, à mesure que la situation (économique et politique, notamment) se tend et se fait plus périlleuse, la pression sociale augmente sur les membres du groupe et sur ceux qui savent qu’ils ont bien plus à perdre qu’à gagner d’un changement majeur de paradigme politique et économique. Le conformisme devient de plus en plus important et avec lui, l’obligation de montrer qu’on se conforme bien comme le groupe le demande.
Et alors que l’idée même d’un espionnage tous azimuts par les sbires de Bercy aurait déclenché une bronca dans toute la classe politique il y a peut-être vingt ans, elle apparaît comme absolument normale et nécessaire, voire désirable par l’actuelle coterie qui nous gouverne : personne n’ose plus récriminer, de peur de passer pour un séditieux fasciste ultra-néolibéral qui refuserait de participer à la collectivité en imposant des barrières à la collecte de l’impôt…
J’exagère ?
J’aimerais bien. Pourtant, c’est ici et maintenant qu’on observe des phénomènes de chasse au sorcière de plus en plus fréquents, les nouveaux convertis au dogme collectif (et qui étaient jusqu’alors neutres) redoublant d’effort pour montrer leur conformité, aboutissant à des débordements de plus en plus violents. Comment expliquer ce dernier exemple en date où un professeur de philosophie se trouve évincé d’une université française pour ses opinions politiques et ses occupations privées ? Qu’aurait-on dit s’il avait été viré parce qu’il s’était affiché dans une gay-pride ?
Non, pas de doute : Darmanin ne fait que surfer sur une tendance maintenant claire et très inquiétante. La France se radicalise et elle le fait par le centre.