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Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Une
nouvelle série de réunions internationales au plus haut niveau
format G20 est en préparation dans les antichambres. Des ministres des
finances et des présidents des banques centrales, en Corée du
sud les 4 et 5 juin, puis des chefs d’Etat, à Toronto les 26 et
27 juin. A croire que la tenue de ces rencontres obéit à une
loi étrange : moins elles aboutissent à des
décisions pratiques, plus elles se multiplient. Comme si toute une
énergie devait leur être dépensée,
consacrée à la difficile rédaction d’un
communiqué final aussitôt classé que publié.
De
quoi sera faite l’unité de circonstance qui va être
affichée ? Deux grands sujets vont former la trame publique de
ces réunions : la quadrature du cercle d’une réduction
des déficits publics n’affectant pas la croissance, toutes
deux présentés comme salvatrices, et l’ajustement
international des mesures de régulation financière, dont les
chefs d’Etat ont besoin de se prévaloir, puisque les
marchés sont par ailleurs les maîtres incontestés,
voire même revendiqués. Un troisième sujet sera
certainement évoqué, mais pas nécessairement depuis les
tribunes : la fragilité toujours très grande du
système financier et bancaire, comme la crise européenne vient
de l’illustrer.
De
toutes les voix qui commencent à s’exprimer à propos du
danger que représenterait un arrêt brutal des aides publiques
à la relance de l’économie, en raison de
réductions budgétaires trop précoces au nom de la lutte
contre les déficits, une mérite d’être mise en
exergue. Celle de Wen Jiabao,
le Premier ministre chinois. « Certains disent que
l’économie mondiale est déjà repartie et que nous
pourrions arrêter les mesures de soutien, mais je considère ce
jugement trop hâtif », a-t-il estimé à Tokyo
devant le patronat japonais. « La crise de la dette dans quelques
pays européens pourrait entraver la reprise économique de
l’Europe (…), le taux de chômage aux Etats-Unis ne baisse
pas ». Prédisant que « Nous devons nous
préparer à des difficultés », il a
assuré que la Chine en tirait sans attendre les conséquences,
faisant en sorte « de rester en alerte et de prendre des mesures
avec calme (….) afin d’éviter une nouvelle baisse de la
croissance ».
Son auditoire
était d’autant plus attentif que l’économie
japonaise dépend étroitement de ses exportations vers
l’Asie et en premier lieu la Chine, ses exportations vers les autres
régions dépendant de leurs propres croissances et sa demande
intérieure restant très faible, alimentée par une déflation
dont le pays ne voit pas le terme.
Les
Chinois, pour leur part, ne s’en tiennent pas aux mots. Ils tentent,
utilisant toute la palette des mesures à leur disposition, de
réduire la gigantesque bulle immobilière crée à
la faveur de leur plan de relance et de l’ouverture des vannes du
crédit bancaire. Une phase de recapitalisation des banques est
engagée, afin de les renforcer. La Bank of China – l’une
des quatre grandes banques publique commerciale – va émettre
pour près de 5 milliards d’euros d’obligations
convertibles afin de renforcer ses fonds propres, annonçant une
série de nouvelles émissions par d’autres banques, prises
à l’instigation de la Commission de régulation bancaire
chinoise (CBRC). Au total plusieurs dizaines de milliers de dollars seraient
recherchés.
Par
ailleurs, un projet d’introduction de CDS sur le marché chinois
a été repoussé après avis négatif de la
Banque centrale et des organismes de régulation. Un petit projet de
titrisation, lancé il y a quatre années, a de son
côté été gelé après n’avoir
pratiquement pas décollé. Tentées de suivre
l’attractif modèle des grands frères financiers, les
autorités chinoises y ont finalement mis le holà.
On
sait combien les Américains continuent de surveiller de près
les développements de la crise en Europe, après que Tim Geithner soit directement intervenu dans celle-ci. Tout
ce qui pourrait porter atteinte à la croissance américaine,
dont ils mesurent la fragilité, étant un danger potentiel.
L’idée d’une Allemagne parvenant seule à tirer son
épingle du jeu grâce à ses exportations ne les rassurant
pas, risquant d’atteindre les exportations américaines vers
l’Europe dans son ensemble.
Giulio
Tremonti, le ministre italien de
l’économie, fait de son côté état des
mêmes inquiétudes dans une interview à Il Corriere della Sera. « Nous devons redessiner la
structure de notre modèle social et économique »
a-t-il à nouveau déclaré, menaçant pour une part
et interrogatif de l’autre. N’évoquant rien de moins que
« l’effondrement de l’économie
réelle », il constate qu’aujourd’hui
l’Europe « produit plus de dette que de richesse, plus de
déficit que de PIB », créant une dynamique
insoutenable qui touche au « processus même de la
construction européenne ».
Se
réunir autour d’une stratégie commune de stabilisation,
car c’est de cela qu’il s’agit et de rien de plus
ambitieux, ne va pas être affaire facile, dans une situation où
chacun à tendance à privilégier ses propres
intérêts. Tous ceux qui le peuvent brûlant un cierge sur
l’autel du commerce international, qui fait l’objet de plus de
dévotions qu’il ne peut en satisfaire. Cela ne va être
plus aisé sur le terrain de la régulation financière, le
moment étant venu de commencer à accorder les violons des deux
côtés de l’Atlantique. Car c’est
précisément celui qu’a choisi le gouvernement Allemand
pour ruer dans les brancards, avec l’intention de susciter autour de
lui des vocations.
Ben
Bernanke, le président de la Fed, vient de
déclarer que «au niveau mondial, la capacité de direction
du groupe des 20 (…) sera essentielle pour faire en sorte que les
réformes ne soient pas seulement fortes et efficaces, mais
également coordonnées et cohérentes entre les
pays ». Ajoutant, pour souligner ce rôle
considéré comme « essentiel » du G20, « Il
faudra une coopération internationale approfondie pour renforcer le
système financier international, et faire en sorte que les
institutions financières soient régulées avec soin, bien
capitalisées, transparentes, et que leur bilan ait un bon degré
de liquidité ».
On
remarquera qu’il décrit a minima les
mesures à prendre, faisant pour l’essentiel
référence au renforcement des fonds propres des banques.
C’est que la loi américaine va laisser entièrement ouvert
le marché des produits dérivés, les mégabanques
ayant remporté la bataille qui leur importait sans doute le plus. Que
vont peser, dans ces conditions, les projets de taxe bancaire
européens, déjà très flous, ou celui des
Allemands d’interdire les CDS nus ?
Dans
le cadre d’un entretien accordé au Financial Times, Stephen
Cecchetti, le chef économiste de la Banque des règlements
internationaux (BRI), traite précisément de la question. Il
vient opposer publiquement ses arguments à ceux des banques qui
luttent pour minorer les futures règles de Bâle III,
dévoilant au passage ceux-ci. Critiquant les conséquences
« apocalyptiques » agitées par les banques, si
les mesures actuellement proposées devaient être maintenues et
appliquées, il défend ces dernières. Tout tourne, du
point de vue des banques, autour des conséquences négatives
qu’elles auraient sur la croissance, car elles appuient là
où cela fait mal aux gouvernements. De ce point de vue, les deux
dossiers du prochain G20 que sont la croissance et la régulation
financière se rejoignent donc. L’un des arguments de Stephen
Cecchetti ne manque pas de sel :
« Nous devons toujours garder à l’esprit qu’une
des causes de la crise était une croissance trop rapide du
crédit », ce qui lui permet de rejeter les mises en garde
des banques à propos des risques que celui-ci encoure.
Des
résistances se développent ces derniers temps, tant chez
certains régulateurs que parmi de rares gouvernements, mais aussi au
sein des organisations internationales. Elles ont en commun de chercher des
leviers pour s’opposer au retour triomphant et sans obstacles de
l’activité financière. Ainsi, aux Etats-Unis, la FDIC
(garantie des dépôts bancaires), la CFTC (marché des
options et des futures) ou la FASB (définition des normes comptables)
y participent, chacun dans son domaine respectif. C’est notable et
significatif, mais pour l’instant du moins sans portée
réelle.
La
SEC – régulateur américain des marchés boursiers
– vient de révéler un grand projet,
révélateur en soi de la gageure que représente la
régulation financière si elle n’est pas prise à
bras le corps. Il s’agit de concevoir et mettre en fonction un
système informatique afin d’être en mesure de suivre en
temps réel l’ensemble des ordres de trading
de toutes les plates formes boursières et de compensation
américaines, y compris celles des brokers et des dark
pools, afin d’être en mesure de les auditer. Ce projet est
né du krach boursier du 6 mai dernier et de la tentative de la SEC,
inachevée et sans succès à ce jour, de comprendre ce qui
s’est passé. Mary Shapiro, en charge de la SEC, a reconnu
à ce propos : « c’est comme si l’on
était devant un gigantesque puzzle dont on devrait assembler les
pièces sans en avoir la vue d’ensemble ».
La
description des obstacles qui n’ont toujours pas été
surmontés afin d’y parvenir, ainsi que de ceux qu’il
faudrait dépasser pour mettre au point ce projet global, est en soi
édifiante. Depuis la standardisation des données, très
disparates, jusqu’à l’incompatibilité des
systèmes informatiques utilisés. En passant par la
nécessité de synchroniser l’ensemble au millième
de seconde, en raison de la cadence à laquelle opère le high frequency trading. Non compte-tenu que le système
coûterait 4 milliards de dollars en développement et 1,7
milliards de dollar en entretien. Mieux encore, si l’on peut dire, le
projet de la SEC exclu, pour le moment en tout cas, le marché des OTC
(les produits dérivés), dont seulement une partie – ceux
qui seront considérés comme standards par le
régulateur – à vocation suivant la future loi à
utiliser des chambres de compensation.
On
conçoit qu’il faut prendre le mal à la racine et que ce n’est
pas précisément la voie qui a été
empruntée. Le reste en découle, à savoir que la
tâche est impossible. Comme l’a été la mesure du
risque de la réglementation de Bâle II et le seront les
mesures de démantèlement dans l’ordre des banques en
difficultés, que l’Institut International de la Finance (lobby
des mégabanques) préconise comme
mesure anti-systémique phare.
Quant
à la croissance, nous allons avoir l’occasion de contempler
à l’oeuvre les gouvernements
occidentaux dans le délicat exercice de tâtonnement où
ils s’engagent prudemment. Il ne suffira pas d’inscrire dans la
Constitution des mesures en trompe l’oeil, ni
déclarer qu’il faut à tout prix sauver la note AAA
accordée à la dette souveraine, pour réduire le
déficit. Les Espagnols, les Grecs et les Portugais ont commencé
à montrer, chacun à leur manière, qu’ils
n’entendaient pas si facilement tendre le cou.
Billet rédigé
par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
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