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De conciliabules en bricolages et tâtonnements

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Paul Jorion.
Published : June 01st, 2010
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)


Une nouvelle série de réunions internationales au plus haut niveau format G20 est en préparation dans les antichambres. Des ministres des finances et des présidents des banques centrales, en Corée du sud les 4 et 5 juin, puis des chefs d’Etat, à Toronto les 26 et 27 juin. A croire que la tenue de ces rencontres obéit à une loi étrange : moins elles aboutissent à des décisions pratiques, plus elles se multiplient. Comme si toute une énergie devait leur être dépensée, consacrée à la difficile rédaction d’un communiqué final aussitôt classé que publié.

De quoi sera faite l’unité de circonstance qui va être affichée ? Deux grands sujets vont former la trame publique de ces réunions : la quadrature du cercle d’une réduction des déficits publics n’affectant pas la croissance, toutes deux présentés comme salvatrices, et l’ajustement international des mesures de régulation financière, dont les chefs d’Etat ont besoin de se prévaloir, puisque les marchés sont par ailleurs les maîtres incontestés, voire même revendiqués. Un troisième sujet sera certainement évoqué, mais pas nécessairement depuis les tribunes : la fragilité toujours très grande du système financier et bancaire, comme la crise européenne vient de l’illustrer.

De toutes les voix qui commencent à s’exprimer à propos du danger que représenterait un arrêt brutal des aides publiques à la relance de l’économie, en raison de réductions budgétaires trop précoces au nom de la lutte contre les déficits, une mérite d’être mise en exergue. Celle de Wen Jiabao, le Premier ministre chinois. « Certains disent que l’économie mondiale est déjà repartie et que nous pourrions arrêter les mesures de soutien, mais je considère ce jugement trop hâtif », a-t-il estimé à Tokyo devant le patronat japonais. « La crise de la dette dans quelques pays européens pourrait entraver la reprise économique de l’Europe (…), le taux de chômage aux Etats-Unis ne baisse pas ». Prédisant que « Nous devons nous préparer à des difficultés », il a assuré que la Chine en tirait sans attendre les conséquences, faisant en sorte « de rester en alerte et de prendre des mesures avec calme (….) afin d’éviter une nouvelle baisse de la croissance ».

Son auditoire était d’autant plus attentif que l’économie japonaise dépend étroitement de ses exportations vers l’Asie et en premier lieu la Chine, ses exportations vers les autres régions dépendant de leurs propres croissances et sa demande intérieure restant très faible, alimentée par une déflation dont le pays ne voit pas le terme.

Les Chinois, pour leur part, ne s’en tiennent pas aux mots. Ils tentent, utilisant toute la palette des mesures à leur disposition, de réduire la gigantesque bulle immobilière crée à la faveur de leur plan de relance et de l’ouverture des vannes du crédit bancaire. Une phase de recapitalisation des banques est engagée, afin de les renforcer. La Bank of China – l’une des quatre grandes banques publique commerciale – va émettre pour près de 5 milliards d’euros d’obligations convertibles afin de renforcer ses fonds propres, annonçant une série de nouvelles émissions par d’autres banques, prises à l’instigation de la Commission de régulation bancaire chinoise (CBRC). Au total plusieurs dizaines de milliers de dollars seraient recherchés.

Par ailleurs, un projet d’introduction de CDS sur le marché chinois a été repoussé après avis négatif de la Banque centrale et des organismes de régulation. Un petit projet de titrisation, lancé il y a quatre années, a de son côté été gelé après n’avoir pratiquement pas décollé. Tentées de suivre l’attractif modèle des grands frères financiers, les autorités chinoises y ont finalement mis le holà.

On sait combien les Américains continuent de surveiller de près les développements de la crise en Europe, après que Tim Geithner soit directement intervenu dans celle-ci. Tout ce qui pourrait porter atteinte à la croissance américaine, dont ils mesurent la fragilité, étant un danger potentiel. L’idée d’une Allemagne parvenant seule à tirer son épingle du jeu grâce à ses exportations ne les rassurant pas, risquant d’atteindre les exportations américaines vers l’Europe dans son ensemble.

Giulio Tremonti, le ministre italien de l’économie, fait de son côté état des mêmes inquiétudes dans une interview à Il Corriere della Sera. « Nous devons redessiner la structure de notre modèle social et économique » a-t-il à nouveau déclaré, menaçant pour une part et interrogatif de l’autre. N’évoquant rien de moins que « l’effondrement de l’économie réelle », il constate qu’aujourd’hui l’Europe « produit plus de dette que de richesse, plus de déficit que de PIB », créant une dynamique insoutenable qui touche au « processus même de la construction européenne ».

Se réunir autour d’une stratégie commune de stabilisation, car c’est de cela qu’il s’agit et de rien de plus ambitieux, ne va pas être affaire facile, dans une situation où chacun à tendance à privilégier ses propres intérêts. Tous ceux qui le peuvent brûlant un cierge sur l’autel du commerce international, qui fait l’objet de plus de dévotions qu’il ne peut en satisfaire. Cela ne va être plus aisé sur le terrain de la régulation financière, le moment étant venu de commencer à accorder les violons des deux côtés de l’Atlantique. Car c’est précisément celui qu’a choisi le gouvernement Allemand pour ruer dans les brancards, avec l’intention de susciter autour de lui des vocations.

Ben Bernanke, le président de la Fed, vient de déclarer que «au niveau mondial, la capacité de direction du groupe des 20 (…) sera essentielle pour faire en sorte que les réformes ne soient pas seulement fortes et efficaces, mais également coordonnées et cohérentes entre les pays ». Ajoutant, pour souligner ce rôle considéré comme « essentiel » du G20, « Il faudra une coopération internationale approfondie pour renforcer le système financier international, et faire en sorte que les institutions financières soient régulées avec soin, bien capitalisées, transparentes, et que leur bilan ait un bon degré de liquidité ».

On remarquera qu’il décrit a minima les mesures à prendre, faisant pour l’essentiel référence au renforcement des fonds propres des banques. C’est que la loi américaine va laisser entièrement ouvert le marché des produits dérivés, les mégabanques ayant remporté la bataille qui leur importait sans doute le plus. Que vont peser, dans ces conditions, les projets de taxe bancaire européens, déjà très flous, ou celui des Allemands d’interdire les CDS nus  ?

Dans le cadre d’un entretien accordé au Financial Times, Stephen Cecchetti, le chef économiste de la Banque des règlements internationaux (BRI), traite précisément de la question. Il vient opposer publiquement ses arguments à ceux des banques qui luttent pour minorer les futures règles de Bâle III, dévoilant au passage ceux-ci. Critiquant les conséquences « apocalyptiques » agitées par les banques, si les mesures actuellement proposées devaient être maintenues et appliquées, il défend ces dernières. Tout tourne, du point de vue des banques, autour des conséquences négatives qu’elles auraient sur la croissance, car elles appuient là où cela fait mal aux gouvernements. De ce point de vue, les deux dossiers du prochain G20 que sont la croissance et la régulation financière se rejoignent donc. L’un des arguments de Stephen Cecchetti ne manque pas de sel  : « Nous devons toujours garder à l’esprit qu’une des causes de la crise était une croissance trop rapide du crédit », ce qui lui permet de rejeter les mises en garde des banques à propos des risques que celui-ci encoure.

Des résistances se développent ces derniers temps, tant chez certains régulateurs que parmi de rares gouvernements, mais aussi au sein des organisations internationales. Elles ont en commun de chercher des leviers pour s’opposer au retour triomphant et sans obstacles de l’activité financière. Ainsi, aux Etats-Unis, la FDIC (garantie des dépôts bancaires), la CFTC (marché des options et des futures) ou la FASB (définition des normes comptables) y participent, chacun dans son domaine respectif. C’est notable et significatif, mais pour l’instant du moins sans portée réelle.

La SEC – régulateur américain des marchés boursiers – vient de révéler un grand projet, révélateur en soi de la gageure que représente la régulation financière si elle n’est pas prise à bras le corps. Il s’agit de concevoir et mettre en fonction un système informatique afin d’être en mesure de suivre en temps réel l’ensemble des ordres de trading de toutes les plates formes boursières et de compensation américaines, y compris celles des brokers et des dark pools, afin d’être en mesure de les auditer. Ce projet est né du krach boursier du 6 mai dernier et de la tentative de la SEC, inachevée et sans succès à ce jour, de comprendre ce qui s’est passé. Mary Shapiro, en charge de la SEC, a reconnu à ce propos : « c’est comme si l’on était devant un gigantesque puzzle dont on devrait assembler les pièces sans en avoir la vue d’ensemble ».

La description des obstacles qui n’ont toujours pas été surmontés afin d’y parvenir, ainsi que de ceux qu’il faudrait dépasser pour mettre au point ce projet global, est en soi édifiante. Depuis la standardisation des données, très disparates, jusqu’à l’incompatibilité des systèmes informatiques utilisés. En passant par la nécessité de synchroniser l’ensemble au millième de seconde, en raison de la cadence à laquelle opère le high frequency trading. Non compte-tenu que le système coûterait 4 milliards de dollars en développement et 1,7 milliards de dollar en entretien. Mieux encore, si l’on peut dire, le projet de la SEC exclu, pour le moment en tout cas, le marché des OTC (les produits dérivés), dont seulement une partie – ceux qui seront considérés comme standards par le régulateur – à vocation suivant la future loi à utiliser des chambres de compensation.

On conçoit qu’il faut prendre le mal à la racine et que ce n’est pas précisément la voie qui a été empruntée. Le reste en découle, à savoir que la tâche est impossible. Comme l’a été la mesure du risque de la réglementation de Bâle II et le seront les mesures de démantèlement dans l’ordre des banques en difficultés, que l’Institut International de la Finance (lobby des mégabanques) préconise comme mesure anti-systémique phare.

Quant à la croissance, nous allons avoir l’occasion de contempler à l’oeuvre les gouvernements occidentaux dans le délicat exercice de tâtonnement où ils s’engagent prudemment. Il ne suffira pas d’inscrire dans la Constitution des mesures en trompe l’oeil, ni déclarer qu’il faut à tout prix sauver la note AAA accordée à la dette souveraine, pour réduire le déficit. Les Espagnols, les Grecs et les Portugais ont commencé à montrer, chacun à leur manière, qu’ils n’entendaient pas si facilement tendre le cou.



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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