Ce texte est un « article presslib’ » (*)
On
me dit : « Vous avez annoncé la fin du capitalisme et la Bourse
repart ! Et la récession est finie (selon 27 des 47 économistes
consultés par le Wall Street Journal, onze autres disant que
c’est pour le mois prochain) ! Et tous les penseurs qui avaient
retourné leur veste en devenant marxistes l’année
dernière, et qui la remettent aujourd’hui à
l’endroit en redevenant ultralibéraux ! Qu’est-ce que vous
en faites ? »
Je
dis : « On n’a encore rien vu ». La raison, elle tient en
un seul mot : « contradiction ». Il vient un moment où
toute chose disparaît minée par ses contradictions. Ça se
trouve chez Mao-Tsé-Toung (d’où
le titre) et avant lui chez Marx bien entendu, mais ça se trouvait
déjà avant eux chez Hegel, et avant Hegel, chez Aristote. Le
capitalisme s’effondre sous le poids de ses contradictions. L’une
des formes que prend en ce moment la contradiction, c’est la personne
de Mr. Andrew Hall.
La
presse parle beaucoup de lui. Voici pourquoi. Mr. Hall a fait gagner beaucoup
d’argent l’année dernière à son employeur CitiGroup. Malgré l’argent gagné par
Mr. Hall, CitiGroup a perdu tant d’argent
l’année dernière que l’État américain
a dû le tirer d’affaires avec l’argent du contribuable,
pour la somme rondelette de près de 50 milliards de dollars. Le bonus
auquel Mr. Hall a droit s’élève à 100 millions de
dollars. Il les a gagnés en spéculant à la hausse du
prix du pétrole.
La
contradiction n’est pas très difficile à énoncer :
le contribuable américain va verser 100 millions de dollars pour
récompenser Andrew Hall de lui avoir fait payer l’essence plus
cher l’année dernière.
On
cherchera tant qu’on voudra, ce genre de problèmes n’a pas
de solution à l’intérieur du système qui agonise
depuis deux ans et demi : il n’a de solution qu’à
l’intérieur d’un autre. Ça ne sert à rien de
dire : il faut cesser de récompenser la prise de risque excessive, il
faut cesser de rétribuer le profit à court terme, le gain
immédiat. On le ferait, que Mr. Hall serait toujours là. Avec
ses 100 millions versés par le contribuable pour avoir fait grimper le
prix du pétrole et enrichi sa banque. Si la « main invisible
» des marchés qui fait émerger
l’intérêt général de l’ensemble des
intérêts particuliers existe bien, ce n’est en tout cas
pas là qu’on la trouve.
En
principe, CitiGroup gagne de l’argent en
faisant se rencontrer les épargnants et les entrepreneurs. C’est
une belle et bonne chose, et grand bien lui fasse. Mais ce n’est pas en
ayant fait cela que ses affaires s’arrangent un petit peu ces jours-ci
: c’est au contraire en s’en abstenant soigneusement. Et de
même pour les banques aux joues à nouveau bien roses : JP Morgan
Chase et Goldman Sachs. Non : c’est en utilisant les fonds qu’on
leur prête pour jouer à la roulette.
Quand
Mr. Hall spécule à la hausse du prix du pétrole, il joue
pour sa banque et ses actionnaires, pour ses dirigeants, pour son bonus
à lui, un tout petit peu pour les employés du rang de CitiGroup, et massivement contre la collectivité
toute entière. Quand c’est le contribuable qui le paie pour
jouer contre la collectivité, la contradiction apparaît en
pleine lumière. Ça ne veut pas dire qu’elle
n’était pas là avant : le spéculateur a toujours
joué contre la collectivité, le spéculateur joue
toujours « perso » contre le reste du monde. Mais quand les
choses vont mal comme maintenant – excusez-moi, « quand les
choses vont pseudo-bien comme maintenant », la contradiction fait la
une des journaux.
« Thank you
Mr. Hall ! Made my day !
»
Paul Jorion
pauljorion.com
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Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
Les vues
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siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de
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