Mardi 27 novembre, cent
députés socialistes ont signé une tribune intitulée
Engagés
pour l’égalité des droits, dans laquelle ils défendent le mariage et l'adoption pour les couples homosexuels, ainsi que la
procréation pour les couples de femmes, grâce à la PMA
(procréation médicalement assistée). Le manifeste souligne
qu'il s'agit de la « première grande
initiative collective de parlementaires sur ce projet de loi ».
Qu’est-ce que l’engagement pour
l’égalité des droits ? « C’est combattre
l'injustice, les inégalités, les discriminations », répond
Mediapart, qui publie cette tribune sur
son site. Au cœur de ce débat, il y a donc le sujet,
ô combien épineux, de la discrimination et en particulier de la discrimination envers les homosexuel(le)s pour l'accès
à l'adoption. François Hollande en avait fait un thème de
campagne. Engagement n°31 : « J’ouvrirai le droit au mariage
et à l’adoption aux couples homosexuels ».
Ce thème n’est pas nouveau. Il a été pour
la première fois porté devant la Cour européenne des
droits de l'homme il y a quinze ans et il vaut la peine d’en rappeler les
termes, pour bien comprendre les enjeux actuels.
L’adoption pour
tous ?
Tout commence en octobre 1991 quand Philippe Fretté, 37 ans
à l'époque, enseignant et célibataire, entreprit les
démarches nécessaires auprès de la Ddass (Direction
départementale de l'action sanitaire et sociale) de Paris pour adopter
un enfant, sans dissimuler à ses interlocuteurs qu'il était
homosexuel. L'administration lui refusa l'agrément, invoquant son « choix
de vie ». Dans un
rapport du 3 mai 1993, la Ddass précisa que «
Monsieur Fretté possède des qualités humaines et
éducatives certaines», mais releva « l'absence de
référence maternelle constante offerte par le
requérant» et ses «difficultés
à projeter dans le concret les bouleversements occasionnés par
la vie d'un enfant ». Saisi, le tribunal administratif de Paris
donna raison à l'enseignant, mais, en 1995, le Conseil d'État valida
finalement la décision de la DDASS. Se jugeant victime de
« discrimination fondée sur l'orientation
sexuelle », Philippe Fretté décida alors de porter
plainte contre la France le 1er avril 1997 devant la Convention
européenne des droits de l'homme, invoquant la loi de 1966 (article
343 du code civil) qui ouvre le droit à l'adoption à toute
personne célibataire, quel que soit son sexe.
Par quatre voix contre trois, la France échappa à une
condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme pour discrimination,
sur la base des articles 8 et 14 de la Convention de 1950. Sur les quatre, un seul
juge affirma qu’empêcher l'adoption
d'un enfant à Philippe au seul motif qu'il est homosexuel était
légitime. Les trois autres, peu à l'aise dans la gestion
de cette affaire, préférèrent se prononcer sur la forme
plutôt que sur le fond, invoquant le fait que
Philippe avait subi « une violation de son droit à un
procès équitable parce qu'il n'a pu assister à une
audience du Conseil d'État faute de convocation »…
Les trois magistrats minoritaires estimèrent au contraire qu'en
interdisant l'adoption à Philippe Fretté, la France
s'était rendue coupable de violation des droits de l'homme. Dans une
« opinion dissidente » rendue publique en même
temps que l'arrêt, les trois juges écrivirent : « A
partir du moment où un système juridique accorde un droit, en
l'espèce le droit à toute personne de demander
l'agrément en vue de l'adoption, il ne peut, sans violer l'article 14 (qui interdit toute
discrimination), l'accorder de
manière discriminatoire
».
Aujourd’hui, c’est le point de vue de ces trois magistrats
qui est retenu par le gouvernement français dans son projet de loi,
soutenu par les députés de gauche. Mais il y a bien
affrontement de deux camps : ceux qui disent que l’État est
fondé à établir une discrimination pour
l’accès à l’adoption et ceux qui dénoncent
cette discrimination au nom de l’égalité des droits. Il y
a le camp des conservateurs étatistes et le camp des progressistes
étatistes.
En finir avec le
monopole étatique de l’adoption
* Plus de 10 000 demandes d’adoption sont déposées
chaque année, chiffre qui a presque doublé en 15 ans.
* En moyenne, il faut 9 mois pour obtenir un agrément qui a une
durée de validité de 5 ans.
* Près de 30 000 familles agrées étaient toujours
en attente d’un enfant en 2011.
* Aujourd’hui, 80% des enfants adoptés le sont
grâce à l’adoption internationale.
* Mais les adoptions internationales en France sont passées de
3504 en 2010 à 1995 en 2011, soit une chute de -43%
Avec le vote de la loi sur le mariage et l’adoption pour tous,
l’adoption à l’international risque de se réduire
encore davantage. Beaucoup de pays étrangers ne tolèrent pas l’adoption
par des couples homosexuels.
Aujourd’hui déjà, les candidats à
l'adoption sont confrontés à des conditions durcies à
l'étranger et à un faible nombre d'enfants légalement
adoptables en France. Les enfants doivent en effet faire l'objet d'un
« désintérêt manifeste » de la part
de leurs parents biologiques, une notion complexe rarement
décidée par la justice. C’est pourquoi certains souhaitent
remplacer cette notion par celle de « délaissement
parental », moins floue.
Quoi qu’il en soit, le problème de l’adoption est
d’abord un problème administratif. Les critères de
sélection des enfants adoptables, comme des parents adoptifs, sont par
nature des critères subjectifs. Or vouloir imposer une
législation collective dans ce domaine, c’est nécessairement
heurter les préférences individuelles et rendre impossibles les
solutions contractuelles, plus souples, plus rapides et mieux adaptées
aux différents besoins.
C’est pourquoi l’adoption ne doit pas rester seulement un service
public mais doit aussi devenir un service rendu par des personnes
privées sur la base de contrats. Ces personnes pourraient ainsi décider, en
leur âme et conscience, ce qui convient le mieux à
l’intérêt des enfants. Elles pourraient également
établir une légitime sélection entre les bons et les
mauvais candidats à l’adoption (enfants ou parents), ce qui est
la définition même du verbe discriminer :
établir une différence.
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