J’étais dans les rues de Chicago
en 1968, pendant la Convention démocrate. Seuls quelques mois s’étaient
écoulés depuis les assassinats de Bobby Kennedy et Martin Luther King. L’établissement,
comme nous l’appelions à l’époque, se tenait prêt à nominer le Vice-président
Hubert Humphrey, venu du Midwest, qui avait fait ses débuts à Washington en
tant qu’adepte d’une politique progressiste mais était désormais perçu par la
jeunesse hippie des Etats-Unis comme un escroc et un allié des forces
diaboliques responsables de la guerre du Vietnam.
Je n’étais pas exactement un
manifestant. J’étais un proto-journaliste, venu sur les lieux pour être
témoin d’un évènement historique. J’ai vécu trois journées folles entre
Lincoln Park et Grant Park, puis enfin sur Michigan Avenue la nuit de la
terrible apothéose d’Humphrey, où la situation a escaladé au point que fusent
les nébuliseurs de gaz lacrymogène. Mais rien d’autre ne s’est passé.
Personne n’a été tué par la police, et nous sommes tous retournés sur nos
campus (mon université de l’Etat de New York me coûtait alors 500 dollars par
an, soit dit en passant). Nixon a été le prix de consolation.
A l’époque, assassiner une figure
politique était très à la mode. Aujourd’hui, l’assassinat de policiers est
plus en vogue. Il est difficile d’imaginer des cibles plus faciles. Là où
mijote le trouble, ils se tiennent au premier plan, facilement
reconnaissables, dans leurs uniformes. C’est exactement là l’image publiée
aujourd’hui sur la Une du The
New York Times : une fine ligne bleue, à Cleveland, où se
tiendra cette semaine la Convention républicaine chargée de nominer le
nouveau deus ex machina,
Donald Trump. Très peu de choses peuvent être prédites avec certitude, mais
compte tenu des graves évènements de ces dernières semaines, il est difficile
de voir comment des échanges de coups de feu pourront être évités à la
Convention républicaine de 2016.
Peut-être la police
décidera-t-elle simplement de rester cloîtrée et de ne pas s’exposer comme
cible potentielle. Mais elle ne ferait jamais une chose pareille. Les chefs d’Etat
de l’Ohio parlent de suspendre le droit de porter une arme à feu pendant la
durée de l’évènement. Voilà qui serait mieux que d’avoir à faire face à des
groupes armés brandissant des fusils automatiques. Mais même si cette loi
était suspendue, il n’est pas difficile d’imaginer des gens transporter des
armes dans un étui de guitare ou un sac à dos. La boîte de Pandore du meurtre
ne fait tout juste que de s’ouvrir.
Peut-être est-il temps pour
notre premier Président Noir, M. Obama, de s’adresser à la population Noire
et de lui expliquer que sa haine de la police n’est pas fondée, dirons-nous, qu’Alton
Sterling n’était pas un citoyen innocent mais un criminel condamné armé d’un
pistolet, que nous ne savons toujours pas ce que faisait Philando Castile
quand il a été abattu dans sa voiture ; mais aussi de secoueer la
poussière de l’affaire Michael Brown (assassiné à Ferguson), ou encore de l’incident
Tamir Rice (et son pistolet en plastique) et de toutes les autres situations
ambigües de ces dernières années qui font que les relations raciales sont
aujourd’hui en crise.
La situation commence aujourd’hui
à ressembler à une guerre raciale. Les chefs politiques et d’opinion ont pour
le moment manqué d’établir une pourtant nécessaire « conversation sur la
question raciale ». Il semblerait qu’elle soit un sujet trop douloureux.
Les prétendus sont devenus ridicules – Hillary Clinton est récemment allée
jusqu’à dire que les « Blancs devraient reconnaître l’étendue de leur
privilège », et nous demander de nous « unir ».
L’Amérique, Noire comme Blanche
(et notamment libérale) devrait se demander pourquoi nous avons promu l’idée que
les Noirs n’ont pas besoin de s’assimiler à la culture commune (ou ce qu’il en
reste). C’est ce que fait le culte absurde de la diversité, et l’idée plus
bête encore selon laquelle une « inclusion » est nécessaire pour
ceux qui choisissent de ne pas être inclus à la culture commune. Les dommages
causés par ces cinquante dernières années de tabous sont désormais évidents.
Mais les émotions portent les deux camps au-delà de la remise en question.
Peut-être un dialogue sur la question raciale aura-t-il lieu après une grande
convulsion, quand les gens en auront enfin assez de ce qu’aura semé la
malhonnêteté.