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Les
économistes illettrés économiques (c'est-à-dire la
grande majorité d'entre eux) ont dans leur arsenal théorique le
concept bidon de « défaillance du
marché » (market failure). Cela signifie que les
résultats qu'on observe en laissant les individus libres d'agir et de
transiger entre eux comme ils le souhaitent, ne sont pas ceux que
l'observateur, de sa tour d'ivoire, aurait souhaité voir.
Ce constat d'échec ne s'appuie cependant sur aucune logique.
Dans les cas où le marché fonctionne bien, l'observateur ne
peut logiquement porter un jugement de l'extérieur et qualifier
d'échec des résultats qu'il n'aime pas de son point de vue
subjectif idéaliste, alors que les participants eux-mêmes les
ont souhaités. Par ailleurs, presque toujours, le marché en
question est faussé par une protection inadéquate des droits de
propriétés ou une réglementation étatique qui
engendre des distorsions dans les prix et autres signaux, ce qui modifie le
comportement des acteurs. On devrait alors parler plutôt de
« défaillance de l'intervention
étatique », un concept beaucoup moins populaire notamment
parce les économistes universitaires sont eux-mêmes des
employés de l'État et que ce type de recherche ne favorise
pas l'obtention de bourses des fondations publiques.
Les
défaillances de l'intervention étatiques sont pourtant
légion et font les manchettes tous les jours. Alors qu'il est
impossible pour l'observateur extérieur d'évaluer
adéquatement le résultat d'un processus de marché parce
qu'il n'a pas d'objectif collectif défini d'avance et qu'on ne peut
savoir avec certitude ce qui ressortira de l'interaction spontanée de
millions d'individus, les interventions étatiques, elles, sont des cas
de laboratoires parfaits. On détermine au départ une
série d'objectifs avec des procédures à suivre pour y
arriver, on nomme des exécutants, on leur donne des moyens d'actions
et on établit un calendrier d'étapes.
Et qu'est-ce qu'on
observe la plupart du temps? Que les objectifs n'ont pas été
atteints, ou même que c'est le contraire qui est survenu! Pourquoi?
Parce que l'interventionnisme étatique s'appuie sur l'illusion qu'on
peut planifier le développement social et économique, alors que
les planificateurs n'ont jamais à leur disposition toutes les
informations spécifiques nécessaires concernant l'état
du système dans son ensemble qu'ils essaient de manipuler, la
société étant trop complexe. Ces millions de
données informationnelles spécifiques émergent en cours
de processus dans un marché libre et il est impossible de les compiler
de façon centralisée.
Les planificateurs s'appuient également sur une vision
mécaniste des phénomènes sociaux: on instaure une
règle, on pèse sur le piton et hop, ça s'enclenche et
tous les rouages se mettent en marche tel que prévu. La
réalité, celle des incitations individuelles à agir dans
un sens ou dans l'autre par exemple, est bien plus compliquée que
cela. Si une partie seulement des processus impliqués se mettent
à bouger dans un sens différent de celui prévu, on peut
arriver à des résultats diamétralement opposés.
C'est la loi des
conséquences inattentues.
Friedrich Hayek
appelait cette croyance dans la capacité de contrôler les
facteurs sociaux et économiques pour leur faire produire un objectif
précis la « présomption fatale » des
interventionnistes.
Un bel exemple de
défaillance de l'intervention étatique qui faisait la manchette
le 9 septembre dernier est le programme « Agir
autrement » de lutte contre le décrochage scolaire en
milieu défavorisé du ministère québécois
de l'Éducation qui, apprend-on,
a mené à des résultats contraires à ceux qu'on
visait huit ans et 300 millions de dollars plus tard. Notez le nom du
programme: ça fait des décennies que les fonctionnaires du
gouvernement du Québec s'amusent à transformer le
système d'éducation et pour justifier une autre
expérience de manipulation, rien de mieux que de faire à
nouveau table rase et recommencer « autrement ».
Voici
comment une éditorialiste du Devoir résume
les résultats du programme, tel que décrits dans un rapport du
Groupe de recherche sur les environnements scolaires (GRES) de
l'Université de Montréal:
La
stratégie de lutte contre le décrochage scolaire Agir
autrement, reconduite année après année à fort
prix par un ministère de l'Éducation sans boussole, est un
échec retentissant. Une véritable catastrophe qui met en
lumière l'incapacité de Québec et de son réseau
scolaire de penser et mener des réformes à l'école.
Le rapport publié hier par une équipe d'évaluateurs,
sous la direction du chercheur Michel Janosz, est dévastateur. Il
confirme la faillite du principal programme de lutte contre le
décrochage du Québec. Les chercheurs posent des constats
préoccupants, qu'ils attribuent en grande partie à
l'implantation ratée de la stratégie. On proposait aux
écoles de « faire autrement » en espérant
que changer les manières de faire allait bonifier le carnet de notes
des écoliers. Ce fut pensée magique.
Coincées dans de mauvais plis, la majorité des écoles
ont utilisé les sommes octroyées pour faire un peu plus de ce
qu'elles faisaient déjà. Résultat? Sur la
réussite scolaire, l'effet est nul. Il est même pire que nul:
dans les écoles où Agir autrement a été bien
expliquée, comprise et implantée, « certains indices
pointent même vers une légère détérioration
du rendement scolaire en langue d'enseignement et en
mathématiques ». Encore? « Il n'y a aucun effet
positif de la Stratégie sur la motivation, et même quelques traces
d'une détérioration de l'utilité perçue de
l'école, de l'attribution du succès à l'effort et de
l'engagement scolaire ». Et le coup fatal: « Le risque
de décrocher tend à s'accroître chez les
élèves qui fréquentent les écoles où la
Stratégie a été le mieux implantée. »
Là où elle fut le mieux accueillie et réalisée,
par rapport à ses objectifs initiaux, la stratégie a donc nui
plutôt que d'aider.
Ne pensez surtout pas que ce constat va mener à une remise en question
de la stratégie bureaucratique de transformation constante du
système d'éducation publique. Une défaillance de
l'intervention étatique n'a jamais pour effet de mener à une ou
libéralisation ou une privatisation du secteur en question, mais
plutôt à une nouvelle tentative « mieux
planifiée » avec un budget supérieur. On peut
déjà la voir poindre dans les 13 recommandations
du groupe de professeurs du GRES pour rectifier le tir:
Au
coeur des recommandations se trouve un appel au ministère et aux
commissions scolaires à accroître leur capacité à
soutenir le développement d'expertise dans les écoles, à
concentrer ce soutien sur la mobilisation du personnel et la mise en oeuvre
de pratiques reconnues efficaces. L'établissement d'un partenariat
étroit entre les universités et le réseau de
l'éducation, à travers la création d'un institut
voué au développement de pratiques et au transfert de
connaissances, est une des voies proposées pour y parvenir.
Un nouvel institut avec des bureaucrates, des sociologues, pédagogues
et autres logues patentés pour mieux planifier la prochaine
expérience de laboratoire à grande échelle de
l'État dans ses écoles-éprouvettes: voilà qui
devrait enfin mener à des résultats probants!
Martin Masse
Le Quebecois Libre
Martin
Masse est diplômé de l'Université McGill en science
politique et en études est-asiatiques. Il a été directeur des
publications à l’Institut économique de Montréal
de 2000 à 2007 et a lancé Le Québecois Libre en 1998. Il
a traduit en 2003 le best-seller international de Johan Norberg, Plaidoyer pour la mondialisation
capitaliste, publié au Québec par l'Institut
économique de Montréal avec les Éditions St-Martin et
chez Plon en France.
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