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Ce texte est un « article presslib’ »
(*)
C’est
le sujet de la rentrée. Rappel : certains analystes, au premier rang
desquels les experts de la BCE, ont ces derniers temps insisté sur le
fait qu’il y a avait déflation et déflation, ne pas
confondre ! Que ce que nous enregistrions en avait certes l’apparence,
mais que celle-ci était trompeuse. Qu’il ne fallait pas se fier
aveuglément aux chiffres (pour une fois que ce sont eux qui le disent
!) et prendre en compte que le niveau historiquement très
élevé des prix du pétrole, il y a un an, faussait la
comparaison. Tout va rentrer dans l’ordre à la fin de
l’année, prédisent-ils, sans expliquer si c’est de
la hausse du pétrole, et d’une manière
générale des matières premières, qu’il va
falloir attendre cette amélioration des données de
l’inflation, effaçant un peu magiquement la déflation
constatée. Car cela serait alors tomber de Charybde en Scylla, la
déflation ne serait peut-être plus aux portes (ce qui reste
à vérifier), mais la hausse du prix des « commodities » ferait en contrepartie obstacle
à la relance économique. De fait, la hausse du prix des
matières premières est attendue par de nombreux commentateurs
financiers. Comme il sera difficile de l’expliquer par une forte
demande résultant d’une croissance économique échevelée,
les mauvais esprits considéreront certainement qu’elle
résultera de la spéculation financière. Arguant du fait
qu’il faut bien se refaire une santé et qu’il n’y a
pas tant de terrains de jeux disponibles, depuis qu’un certain nombre
d’entre eux sont désertés. Mais n’anticipons pas !
Quoi
qu’il en soit, le Financial Times, vient d’annoncer que les prix
des produits industriels avaient chuté de 7,8 % en un an en Allemagne,
ce qui ne s’était jamais vu depuis la fin de la seconde guerre
mondiale (1949), « éclairant la faiblesse des pressions
inflationnistes dans toute l’Europe », précise le journal
avec une de ces formules contournées qui sont l’apanage des
financiers et le privilège de ceux qui ne veulent pas employer les
mots qui blessent. Le même article, signé de Ralph Atkins,
correspondant à Francfort, considère que cette donnée
« renforce la crainte que les forces déflationnistes se
renforcent dans la principale économie européenne. » Le
mot est finalement dit.
L’appréciation
des données déflationnistes n’est pas un exercice
d’école. Les économistes sont familiers avec la notion de
« core inflation » (noyau de
l’inflation), qui exclut du calcul de celle-ci le prix de
l’énergie et des produits alimentaires, considérés
comme les plus volatiles et pouvant être trompeurs. Le malheur veut que
cette mesure du noyau de l’inflation est
déjà négative en Irlande et qu’il est difficile de
soutenir que ce n’est pas un signe inquiétant qui pourrait se
révéler précurseur. Selon Eurostat, l’office de
statistiques Européen, les prix à la consommation, et donc le
taux d’inflation (incluant pétrole et produits alimentaires),
sont négatifs à -0,6% en juillet (sur
une année), accentuant le – 0,1% du mois de juin
précédent. Il ferait bien voir que ces pourcentages modestes ne
puissent pas être considérés comme significatifs, alors
que l’on fait des gorges chaudes de modestes pourcentages identiques
lorsqu’ils mesurent la croissance (en Allemagne et en France).
Pour le moins, il peut
être dit que la déflation est rampante en Europe. Ce qui pose
immédiatement le problème de savoir si cela va se confirmer
dans les mois qui viennent, avec comme conséquence connue, de grandes
difficultés à sortir ensuite de la « spirale
déflationniste », une fois installé dans celle-ci. Marek Belka, directeur du département Europe du FMI, tout en se défendant d’avoir une
appréciation différente de celle de la BCE, estime certes que
le risque de déflation « demeurait minimal », mais rajoute
que « nous devons être vigilants et ne pas complètement en
exclure la possibilité »… On a beau être
économiste, on n’en est pas moins diplomate ! Dans un
précédent article du Financial Times, daté du 31 juillet
dernier, Ralph Atkins se référait à l’opinion de
Nick Kounis, de la banque Fortis, selon laquelle le
danger de la déflation était plus à moyen terme
qu’à court terme. D’une discussion sur les « pousses
vertes », nous avons toutes les chances de passer prochainement
à une autre sur la déflation.
Olivier
Blanchard, chef économiste de la FMI, vient de communiquer à la
presse un article intitulé « Soutenir une reprise mondiale
», destiné à paraître en septembre dans la revue
« Finance and Development ». Pour lui,
« la reprise a commencé ». Mais ce qui apparaît
comme une profession de foi très politique est suivi de
considérations moins péremptoires: « Dans les
récessions normales, aussi destructives soient-elles pour les
entreprises et l’emploi, les choses se redressent de manière
prévisible », mais, reconnaît-il, « la
récession mondiale actuelle est loin d’être normale
». En conséquence, « le redressement ne sera pas simple.
La crise a laissé des cicatrices profondes qui auront des
conséquences tout à la fois sur l’offre et la demande
pendant plusieurs années ». Pour soutenir la reprise « des
rééquilibrages seront nécessaires, tant à
l’intérieur des pays qu’entre les pays ». Concernant
ces derniers, Olivier Blanchard exclut une reprise américaine
résultant de la consommation des ménages, d’une relance
de l’investissement ou de relances budgétaires successives et ne
voit que le développement des exportations nettes en direction de la
Chine et de l’Asie en général pour la susciter. On attend
avec intérêt la livraison suivante de « Finance and Development » et la suite de son article pour
connaître les secteurs d’activités qui en seront à
l’origine. Quant aux rééquilibrages internes, faut-il
comprendre qu’ils résulteront d’une augmentation de la
pression fiscale ?
Ambrose
Evans-Pritchard, dans sa chronique du Daily Telegraph, développait il
y a quatre jours un tout autre point de vue, dans la veine provocatrice
qu’il affectionne souvent. La situation, estime-t-il données
chiffrées impressionnantes à l’appui, est marquée
par des capacités de production mondiales en fort excédent :
« …Si les dirigeants Américains et Européens ont su
cette fois prévenir une implosion de la masse monétaire et un
effondrement bancaire en cascade, ils n’ont pas résolu la cause
première de notre (mal nommée) crise du crédit. Ils ne le
peuvent pas. »
Dès
que l’on sort des affirmations à la petite semaine des
analystes, penchés sur les mouvements erratiques des cours boursiers
et les indices lus dans leur boule de cristal, le débat se fait plus
âpre, les prévisions plus incertaines. Tout en réservant
son jugement par rapport à l’analyse d’un « keneysien de gauche » qu’il cite (le
professeur James Livingston de Rutgers University), Ambrose Evans-Pritchard se demande ainsi,
faussement interrogatif, si « nous n’avons pas été
aveuglés par Milton Friedman, qui a convaincu nos élites
économiques, et par dessous tout le Président de la Fed Ben Barnanke, que la dépression était un
+accident du crédit+ pouvant être évité
grâce au souffle monétaire créé par son
hélicoptère arrosant le marché de liquidités. Selon
ce schéma, nous devrions être sortis de la zone de risque dans
peu de temps. » « Les gens parlent trop de liquidité
– un terme glissant – et pas suffisamment de la demande
concrète. » conclut-il.
Champions
des points de vue tranchés, les financiers américains semblent
avoir entre eux des approches divergentes de la situation. Certains
considèrent qu’à force d’avoir été
contenue en quelque sorte, il y aurait à l’heure actuelle de
disponible un fort « réservoir de demande » pour une
rapide relance économique. C’est par exemple le cas de James Glassman (JP Morgan), Laurence Meyer (ancien gouverneur
de la Fed) ou Stephen Stanley (RBS Securities), cités par
l’agence Bloomberg. D’autres, comme Mohamed El-Erian (PIMCO) persistent à dire que « les
indicateurs continuent de mettre en évidence une lente croissance
à moyen terme aux Etats-Unis », s’opposant à
l’idée d’une reprise en « V ».
Il
faut reconnaître que les tenants de cette dernière thèse,
soutenue envers et contre tout, nous interrogent. Non pas parce qu’ils
pourraient avoir raison (et nous tort), mais parce que l’on peut se
demander quelle peut bien être la source de leurs certitudes, de leur
foi, pour ne pas dire de leur aveuglement. De leur arrogance intellectuelle,
aussi (quand elle se limite à cela), qui leur fait refuser toute mise
en cause de leurs schémas de pensée, en dépit du
gigantesque chambardement que nous connaissons. Comme si une telle
réévaluation était de l’ordre de
l’indicible. Ce qui est un peu effrayant, pour eux comme pour nous.
Billet rédigé par
François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
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le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
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Paul Jorion, sociologue et
anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard :
2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
Les vues présentées par
Paul Jorion sont les siennes et peuvent
évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise
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