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Déflation ou pas ?

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Paul Jorion.
Published : August 22nd, 2009
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Category : Editorials





Ce texte est un « article presslib’ » (*)



C’est le sujet de la rentrée. Rappel : certains analystes, au premier rang desquels les experts de la BCE, ont ces derniers temps insisté sur le fait qu’il y a avait déflation et déflation, ne pas confondre ! Que ce que nous enregistrions en avait certes l’apparence, mais que celle-ci était trompeuse. Qu’il ne fallait pas se fier aveuglément aux chiffres (pour une fois que ce sont eux qui le disent !) et prendre en compte que le niveau historiquement très élevé des prix du pétrole, il y a un an, faussait la comparaison. Tout va rentrer dans l’ordre à la fin de l’année, prédisent-ils, sans expliquer si c’est de la hausse du pétrole, et d’une manière générale des matières premières, qu’il va falloir attendre cette amélioration des données de l’inflation, effaçant un peu magiquement la déflation constatée. Car cela serait alors tomber de Charybde en Scylla, la déflation ne serait peut-être plus aux portes (ce qui reste à vérifier), mais la hausse du prix des « commodities » ferait en contrepartie obstacle à la relance économique. De fait, la hausse du prix des matières premières est attendue par de nombreux commentateurs financiers. Comme il sera difficile de l’expliquer par une forte demande résultant d’une croissance économique échevelée, les mauvais esprits considéreront certainement qu’elle résultera de la spéculation financière. Arguant du fait qu’il faut bien se refaire une santé et qu’il n’y a pas tant de terrains de jeux disponibles, depuis qu’un certain nombre d’entre eux sont désertés. Mais n’anticipons pas !

Quoi qu’il en soit, le Financial Times, vient d’annoncer que les prix des produits industriels avaient chuté de 7,8 % en un an en Allemagne, ce qui ne s’était jamais vu depuis la fin de la seconde guerre mondiale (1949), « éclairant la faiblesse des pressions inflationnistes dans toute l’Europe », précise le journal avec une de ces formules contournées qui sont l’apanage des financiers et le privilège de ceux qui ne veulent pas employer les mots qui blessent. Le même article, signé de Ralph Atkins, correspondant à Francfort, considère que cette donnée « renforce la crainte que les forces déflationnistes se renforcent dans la principale économie européenne. » Le mot est finalement dit.

L’appréciation des données déflationnistes n’est pas un exercice d’école. Les économistes sont familiers avec la notion de « core inflation » (noyau de l’inflation), qui exclut du calcul de celle-ci le prix de l’énergie et des produits alimentaires, considérés comme les plus volatiles et pouvant être trompeurs. Le malheur veut que cette mesure du noyau de l’inflation est déjà négative en Irlande et qu’il est difficile de soutenir que ce n’est pas un signe inquiétant qui pourrait se révéler précurseur. Selon Eurostat, l’office de statistiques Européen, les prix à la consommation, et donc le taux d’inflation (incluant pétrole et produits alimentaires), sont négatifs à -0,6% en juillet (sur une année), accentuant le – 0,1% du mois de juin précédent. Il ferait bien voir que ces pourcentages modestes ne puissent pas être considérés comme significatifs, alors que l’on fait des gorges chaudes de modestes pourcentages identiques lorsqu’ils mesurent la croissance (en Allemagne et en France).

Pour le moins, il peut être dit que la déflation est rampante en Europe. Ce qui pose immédiatement le problème de savoir si cela va se confirmer dans les mois qui viennent, avec comme conséquence connue, de grandes difficultés à sortir ensuite de la « spirale déflationniste », une fois installé dans celle-ci. Marek Belka, directeur du département Europe du FMI, tout en se défendant d’avoir une appréciation différente de celle de la BCE, estime certes que le risque de déflation « demeurait minimal », mais rajoute que « nous devons être vigilants et ne pas complètement en exclure la possibilité »… On a beau être économiste, on n’en est pas moins diplomate ! Dans un précédent article du Financial Times, daté du 31 juillet dernier, Ralph Atkins se référait à l’opinion de Nick Kounis, de la banque Fortis, selon laquelle le danger de la déflation était plus à moyen terme qu’à court terme. D’une discussion sur les « pousses vertes », nous avons toutes les chances de passer prochainement à une autre sur la déflation.

Olivier Blanchard, chef économiste de la FMI, vient de communiquer à la presse un article intitulé « Soutenir une reprise mondiale », destiné à paraître en septembre dans la revue « Finance and Development ». Pour lui, « la reprise a commencé ». Mais ce qui apparaît comme une profession de foi très politique est suivi de considérations moins péremptoires: « Dans les récessions normales, aussi destructives soient-elles pour les entreprises et l’emploi, les choses se redressent de manière prévisible », mais, reconnaît-il, « la récession mondiale actuelle est loin d’être normale ». En conséquence, « le redressement ne sera pas simple. La crise a laissé des cicatrices profondes qui auront des conséquences tout à la fois sur l’offre et la demande pendant plusieurs années ». Pour soutenir la reprise « des rééquilibrages seront nécessaires, tant à l’intérieur des pays qu’entre les pays ». Concernant ces derniers, Olivier Blanchard exclut une reprise américaine résultant de la consommation des ménages, d’une relance de l’investissement ou de relances budgétaires successives et ne voit que le développement des exportations nettes en direction de la Chine et de l’Asie en général pour la susciter. On attend avec intérêt la livraison suivante de « Finance and Development » et la suite de son article pour connaître les secteurs d’activités qui en seront à l’origine. Quant aux rééquilibrages internes, faut-il comprendre qu’ils résulteront d’une augmentation de la pression fiscale ?

Ambrose Evans-Pritchard, dans sa chronique du Daily Telegraph, développait il y a quatre jours un tout autre point de vue, dans la veine provocatrice qu’il affectionne souvent. La situation, estime-t-il données chiffrées impressionnantes à l’appui, est marquée par des capacités de production mondiales en fort excédent : « …Si les dirigeants Américains et Européens ont su cette fois prévenir une implosion de la masse monétaire et un effondrement bancaire en cascade, ils n’ont pas résolu la cause première de notre (mal nommée) crise du crédit. Ils ne le peuvent pas. »

Dès que l’on sort des affirmations à la petite semaine des analystes, penchés sur les mouvements erratiques des cours boursiers et les indices lus dans leur boule de cristal, le débat se fait plus âpre, les prévisions plus incertaines. Tout en réservant son jugement par rapport à l’analyse d’un « keneysien de gauche » qu’il cite (le professeur James Livingston de Rutgers University), Ambrose Evans-Pritchard se demande ainsi, faussement interrogatif, si « nous n’avons pas été aveuglés par Milton Friedman, qui a convaincu nos élites économiques, et par dessous tout le Président de la Fed Ben Barnanke, que la dépression était un +accident du crédit+ pouvant être évité grâce au souffle monétaire créé par son hélicoptère arrosant le marché de liquidités. Selon ce schéma, nous devrions être sortis de la zone de risque dans peu de temps. » « Les gens parlent trop de liquidité – un terme glissant – et pas suffisamment de la demande concrète. » conclut-il.

Champions des points de vue tranchés, les financiers américains semblent avoir entre eux des approches divergentes de la situation. Certains considèrent qu’à force d’avoir été contenue en quelque sorte, il y aurait à l’heure actuelle de disponible un fort « réservoir de demande » pour une rapide relance économique. C’est par exemple le cas de James Glassman (JP Morgan), Laurence Meyer (ancien gouverneur de la Fed) ou Stephen Stanley (RBS Securities), cités par l’agence Bloomberg. D’autres, comme Mohamed El-Erian (PIMCO) persistent à dire que « les indicateurs continuent de mettre en évidence une lente croissance à moyen terme aux Etats-Unis », s’opposant à l’idée d’une reprise en « V ».

Il faut reconnaître que les tenants de cette dernière thèse, soutenue envers et contre tout, nous interrogent. Non pas parce qu’ils pourraient avoir raison (et nous tort), mais parce que l’on peut se demander quelle peut bien être la source de leurs certitudes, de leur foi, pour ne pas dire de leur aveuglement. De leur arrogance intellectuelle, aussi (quand elle se limite à cela), qui leur fait refuser toute mise en cause de leurs schémas de pensée, en dépit du gigantesque chambardement que nous connaissons. Comme si une telle réévaluation était de l’ordre de l’indicible. Ce qui est un peu effrayant, pour eux comme pour nous.




Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com


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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).



Les vues présentées par Paul Jorion sont les siennes et peuvent évoluer sans qu’il soit nécessaire de faire une mise à jour.   Les articles présentés ne constituent en rien une invitation à réaliser un quelconque investissement.  . Tous droits réservés.




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