In the same category

Degré zéro de la régulation

IMG Auteur
 
Published : January 07th, 2011
2011 words - Reading time : 5 - 8 minutes
( 2 votes, 4.5/5 )
Print article
  Article Comments Comment this article Rating All Articles  
0
Send
0
comment
Our Newsletter...
FOLLOW : Hong Kong Nickel
Category : Editorials

 

 

 

 

Constater que l’actualité est faite de dominantes écrasantes, mais en contrepartie éphémères, est d’une grande banalité. En l’espace de quelques jours, les projecteurs sont braqués sur un événement, vite délaissé puis oublié.


Il en est ainsi de la guerre des monnaies, des tensions extrêmes du marché obligataire européen, qui ont tous deux provisoirement disparu des manchettes, ou de la spéculation sur les prix des matières premières, dûment annoncée en son temps.


A ne pas en douter, la guerre des monnaies n’est pourtant pas terminée, en dépit du silence qui l’entoure. C’est en Amérique Latine qu’elle suscite actuellement des contre-offensives en série. La banque centrale chilienne va acheter 12 milliards de dollars pour tenter de lutter contre l’appréciation du peso et défendre ainsi ses exportations. Depuis octobre dernier, la Colombie l’avait précédée en achetant 20 millions de dollars par jour, afin de limiter l’appréciation du peso colombien. Guido Mantega, le ministre brésilien des finances reconduit par Dilma Roussef, a pour sa part affirmé que celle-ci ne permettrait pas que « le dollar fonde » face au réal, sans encore préciser les mesures qui pourraient être prises. En sept ans, la valeur du réal a doublé par rapport au dollar.


Dans tous ces pays, la guerre du dollar est profondément déstabilisatrice, tant sur le plan économique que financier, et les mesures tentant d’y faire face ne feront pas le poids. Les Etats-Unis font payer au monde entier les émissions monétaires destinées à les soulager, et ce n’est pas fini.


L’intense activité diplomatique chinoise, avec la tournée européenne de Li Kequiang, vice-premier ministre, et la préparation à Washington de la prochaine visite aux Etats-Unis du Président Hu Jiantao, met la Chine au centre du jeu et relance les spéculations. D’un côté, elle multiplie les gestes de soutien aux pays européens de la zone des tempêtes, de l’autre elle laisse espérer aux yeux des plus optimistes une réévaluation du yuan.


Signe de cet activisme sur le marché monétaire, la Banque Mondiale vient de lancer sa première émission obligataire en yuans, tandis que Pékin annonce la troisième et que des grandes entreprises occidentales s’engagent dans cette même voie depuis Hong Kong. Une partie destinée à durer est engagée, pour laquelle les mises sont encore symboliques, confirmant que pas moins d’une décennie sera nécessaire pour qu’il commence à s’éclaircir.


En Europe, les rythmes sont nettement plus soutenus. La litanie des émissions obligataires a repris, avec ses hauts et surtout ses bas. Au titre des premiers, quoique relatifs, les émissions allemandes et de l’Union européenne (afin de financer l’Irlande), et des seconds celle du Portugal. En attendant celles de l’Italie et l’Espagne, à venir très prochainement. Le taux grec à 10 ans a atteint 12,593% et les Portugais ont du concéder 6,667% pour une émission de même maturité, ce qui se passe dans les deux cas de commentaires. Les achats de la BCE, au mieux, se contentent de limiter les dégâts. Rien n’a changé, tout continue comme avant.


Le marché obligataire européen reste pestiféré, comme en témoignent aussi les hausses des taux du Bund Allemand (2,941%) et de l’OAT Française (3,337%). Sans illusions, les marchés sont dans l’attente de nouvelles annonces politiques franco-allemandes, qui ne changeront pas la face de l’Europe, et ils n’accordent qu’un intérêt relatif aux achats chinois de dette européenne, les assimilant à des jeux diplomatiques. Contrairement aux manchettes de la presse, se disent-ils, la Chine ne se prépare pas à être le banquier de l’Europe ; tout au plus est-elle prête à concéder des facilités de caisse.


Quant aux matières premières, la fin de l’année a été l’occasion de pratiquer cet exercice imposé que sont les rétrospectives. Mettant en évidence les énormes hausses qui sont intervenues tant pour l’énergie, les métaux industriels et précieux que les denrées alimentaires. Tous les prix flambent à l’unisson, du pétrole au blé, du café au coton, du sucre au caoutchouc et du cuivre à l’argent. Le nickel a progressé en 2010 de 30% et l’étain de 60% ; la palme revenant au cuivre, dont le prix a triplé en deux ans. Le sucre brut a gagné 140% depuis juin dernier, celui du blé a doublé en un an, etc


Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), « les cours du pétrole sont entrés dans une zone dangereuse pour l’économie mondiale ». En décembre, le baril de brut a franchi le seuil des 90 dollars, la barre des 100 dollars désormais en ligne de mire. Enfin, valeur refuge par excellence, les métaux précieux n’ont pas été en reste, l’or gagnant sur l’année 25% et l’argent 83%.


On va beaucoup parler des matières premières, du rôle que joue la spéculation financière dans la hausse des cours et de la nécessité d’y mettre un terme. Tous ces marchés sont complexes et le plus souvent opaques, et de nombreux facteurs concourent à la formation des prix sur ceux-ci. Ici des inondations ou des sécheresses, là des grèves ou des accidents miniers, ou bien encore des menaces de guerre civile. Sans qu’il soit toujours aisé de déceler ce qui résulte de l’action des uns et de l’autre, des calamités naturelles et de celle que représente la spéculation financière. Ce qui est en soi un problème.


Ce n’est pas le seul, car l’on vient d’apprendre que l’on renoue avec l’inflation. Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, annonce en effet une inflation à 2,2% en décembre dernier, et l’Europe bascule, qui croyait être aux portes de la déflation. Sans distinguer dans cet accroissement l’effet de la hausse du pétrole et des matières premières, notamment alimentaires. Que l’on exclut du calcul de l’inflation, alors dénommée sous-jacente, quand on ne veut pas les prendre en compte étant donné leur volatilité qui fausse les comparaisons. Ou pour neutraliser les hausses de prix spéculatives des matières premières, pour appeler les choses par leur nom.


En n’entrant pas dans ces subtilités, Eurostat vient d’introduire une nouvelle complication dans l’équation de la crise européenne : 2,2% d’inflation impliquerait de la BCE, en bonne logique, l’abandon de son dispositif de soutien aux établissements financiers, de sa mise à disposition de liquidités et de son taux directeur à 1%, ainsi que de ses achats obligataires pour faire bonne mesure…


En s’appuyant sur l’actualité, les têtes de chapitre du lourd dossier de la spéculation financière sur les prix des matières premières peuvent commencer à être évoquées.


Ainsi, qui n’a pas entendu parler de la concentration du trading des commodities (les matières premières) entre les mains d’un nombre restreint d’opérateurs et des positions dominantes prises par des opérateurs sur ces marchés ? Selon le Wall Street Journal, qui n’identifie pas nommément JP Morgan mais en suggère le nom, un seul négociant détiendrait actuellement sur le London Metal Exchange (LME) entre 80 et 90% du cuivre coté, ce qui représente « la moitié du cuivre échangé sur les marchés réglementés du monde et vaut environ trois milliards de dollars ».


Hasard et bonne fortune, le cours du cuivre bat simultanément tous ses records, à 9.353,50 dollars la tonne. Des situations identiques ne sont d’ailleurs pas rares sur le marché de l’aluminium, du zinc, de l’étain et du nickel, produisant alors les mêmes effets. Elles n’ont d’ailleurs rien d’illégal, à condition d’être signalées.


Au lieu d’intervenir afin d’interdire de telles situations de position dominante, avec leurs conséquences, il a été décidé d’étendre les possibilités d’accéder à ces marchés, grâce à la création d’un nouvel instrument financier baptisé ETF, pour Exchange-Traded Funds. Ceux-ci s’était déjà installés sur les marchés d’actions et d’obligations, mais ils n’existaient pas sur celui des métaux. Cela sera chose faite au début de l’année. Les ETF sont de produits hybrides, proposés à leur clientèle par les banques, côtés en bourse et s’apparentant à des fonds type OPCVM, FCP ou SICAV. On les appelle aussi trackers.


En fin connaisseur, JP Morgan vient d’ailleurs d’annoncer qu’il allait lancer un ETF sur le cuivre. Alors que des poursuites collectives (class actions) sont engagées contre JP Morgan et HSBC à propos de manipulations des cours, non pas du cuivre mais de l’argent.


On ne sera pas surpris, dans ce contexte renouvelé d’innovation, si les cours continuent en 2011 à gravir la pente ascendante de 2010. Les ETF ont pour sous-jacent des quantités physiques de métaux, dont il n’est donc pas véritablement fait commerce, ce qui ne les empêchera pas d’influer fortement sur leur prix. On n’emprunte pas vraiment le chemin d’une interdiction des paris sur les fluctuations des prix !


Une étude effectuée par Luvata, l’un des grands industriels mondiaux consommateur de cuivre, vient d’être publiée. Elle décrit la crainte manifestée au sein de ce secteur que la création d’ETF pour les métaux, notamment du cuivre, introduise de fortes distorsions sur le marché de ce dernier, en particulier en terme de volatilité des prix. Le génie de la finance ayant tout prévu – ou presque – il restera aux industriels la possibilité de se couvrir en acquérant des produits dérivés ad hoc, de gré à gré et non pas utilisant des chambres de compensation qui surenchérissent leur coût d’assurance.


En Europe et aux Etats-Unis, les régulateurs travaillent d’arrache-pied sur le sujet. Michel Barnier, commissaire chargés des marchés financiers, dénonce « l’hyper-spéculation scandaleuse » sur les matières premières agricoles, un terrain moins susceptible d’affrontement avec les Britanniques qui couvent leur LME, car ils sont négociés aux Etats-Unis, principalement à Chicago. « Je ne vois pas pourquoi les Européens seraient moins rigoureux que les Américains », s’est-il exclamé, laissant donc supposer chez ces derniers une grande rigueur.


La proposition de Bruxelles devrait être formalisée au courant de cette année, dans le cadre d’une révision de la législation du MiFID, la directive européenne concernant les marchés des instruments financiers. L’idée est de reprendre, une fois adopté, le dispositif américain de la CFTC (Commodity Futures Trading Commission), le régulateur spécialisé. Il pourrait imposer des limitations aux positions prises par les courtiers, qui devraient être déclarées. Et donner aux régulateurs la possibilité de les rappeler à l’ordre en cas de dépassement, mais il faut entrer dans les détails.


Au terme d’une longue réflexion, la CFTC préconise en effet un système de plafond pour les positions prises sur les marchés du pétrole, des produits agricoles et des métaux. Mais ces maximums – qui ont été relevés par rapport aux seuils initialement prévus – ne seront obligatoires que dans les jours qui précéderont l’échéance des contrats… Cette louable disposition épargnera les spéculateurs qui, par définition, n’attendent jamais cette échéance pour déboucler leurs contrats papier.


De plus, ces nouvelles règles, quand elles seront adoptées, ne concerneront que les contrats utilisant les services de chambres de compensation, car si la CFTC a désormais dans ses attributions la surveillance du marché de gré à gré, elle ne dispose pas encore de données sur celui-ci.


Autant dire que cette régulation est un total simulacre.


Lorsque l’on s’aventure à par exemple essayer de comprendre le fonctionnement des marchés de l’or et de l’argent, à Londres et sur le Comex (New York), on est vite très dérouté. Car les transactions physiques de ces deux métaux précieux ne sont que la pointe d’un iceberg s’enfonçant dans des eaux impénétrables. Le règne des transactions papier, des positions débouclées avant que les contrats n’arrivent à maturité, du trading de gré à gré des produits d’assurance (dérivés) destinés à la couverture des risques. Sans qu’il soit possible même aux experts d’avancer dans cet environnement des données chiffrées précises, ne pouvant qu’évoquer la taille énorme du marché des dérivés correspondant, sans commune mesure avec les quantités physiques d’or et d’argent disponibles sur le marché. Rien de tout cela ne devrait changer.


On va pourtant beaucoup en entendre parler, de la régulation du marché des matières premières…



Billet rédigé par François Leclerc


 

Paul Jorion

 

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

   

 

 

 

 

 

 

 

 

Data and Statistics for these countries : Hong Kong | All
Gold and Silver Prices for these countries : Hong Kong | All
<< Previous article
Rate : Average note :4.5 (2 votes)
>> Next article
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
Comments closed
Latest comment posted for this article
Be the first to comment
Add your comment
Top articles
World PM Newsflow
ALL
GOLD
SILVER
PGM & DIAMONDS
OIL & GAS
OTHER METALS
Take advantage of rising gold stocks
  • Subscribe to our weekly mining market briefing.
  • Receive our research reports on junior mining companies
    with the strongest potential
  • Free service, your email is safe
  • Limited offer, register now !
Go to website.