Les
interrogations se multiplient à propos de la politique d’un
gouvernement français qui se livre peu et du
rétrécissement de ses marges de manœuvre, ainsi que sur sa
capacité à jouer au plus fin dans le cours de la partie
qu’il a engagée.
Après
avoir entériné la stratégie de désendettement
préconisée par le gouvernement allemand, les socialistes
français veulent croire à un retour de politesse, gardant
notamment en tête que le pacte d’austérité
budgétaire qu’ils veulent faire adopter comporte une clause
permettant de l’amender en cas de déficit « structurel
», c’est-à-dire dû à la conjoncture économique.
La décision que vient de prendre la Troïka à propos
des objectifs de réduction des déficits du Portugal, à
qui une année de plus a été accordée, sur le mode
déjà employé par la Commission européenne pour
l’Espagne, peut donner quelque crédibilité à un
jeu de poker menteur qui spécule sur le fait que le pacte ne sera pas
respecté.
Cette
attitude renvoie d’ailleurs à la rumeur selon laquelle le
Conseil constitutionnel allemand pourrait demander une porte de sortie pour
le gouvernement allemand, au cas où ses engagements au sein du MES
deviendraient trop lourds à force de renégociations des plans
de sauvetage…
En
attendant, le gouvernement français cherche à moduler, pour
mieux les faire accepter, les mesures de rigueur qu’il prépare
selon un savant cocktail qu’il n’a pas dévoilé,
ainsi que les réformes de la réglementation du travail
qu’il veut également négocier. Par précaution, sa
feuille de route n’est rendue publique que par bribes, en
s’abritant derrière des mesures symboliques pour
préserver autant que faire se peut sa marque de fabrique. La
valeur des marques est bien connue des spécialistes en marketing et il
n’y a pas de politique qui tienne si elle ne repose pas sur une bonne
stratégie de communication.
À
son tour, l’exécutif engage une course de vitesse entre un
ralentissement économique, qui se poursuit et qu’il ne peut qu’entériner,
et une réduction du déficit public qui devient de plus en plus
difficile, quand elle ne se révèle pas impraticable comme on le
constate dans d’autres pays où ses objectifs doivent être
révisés. Demain sera un autre jour, se disent quotidiennement
ceux pour qui le pragmatisme tient lieu de conviction et les fait vivre.
Les
contours de la nouvelle période dans laquelle nous sommes
entrés se dessinent par touches successives, une fois acquises des
prévisions économiques qui convergent pour prédire un
approfondissement de la récession européenne, les
dernières en date concernant l’Italie qui s’y enfonce.
Faisant preuve de peu de clairvoyance (ou de franchise) sur la durée
de celle-ci, Mario Monti a assumé devant les organisations syndicales
qu’il recevait le fait d’avoir contribué par son action
à l’aggravation de la récession, avec ce commentaire :
« seul un idiot peut penser qu’il serait possible d’agir
sur des problèmes structurels datant de plusieurs décennies
sans provoquer pour une brève période une aggravation en raison
d’une baisse de la demande ».
Plus
réaliste dans son domaine et n’ayant d’ailleurs pas le
choix, la Deutsche Bank vient de diminuer ses objectifs de rendement de ses
fonds propres – qui avaient atteint jusqu’à 25 % –
pour les ramener à 12 %, tout un symbole de la nouvelle donne du
système bancaire. L’agence Standard & Poor’s
voit loin en estimant que les taux d’intérêts, qui se
situent pour les privilégiés à un niveau historiquement
faible, pourraient le rester durant encore 5 à 7 ans sous
l’influence des mesures prises par les banques centrales. Selon
l’un des membres du directoire de la BCE, Jörg Asmussen,
celles-ci auraient « un double rôle, en tant que gardiens de la
stabilité monétaire mais aussi un rôle de gestion de la
crise », ce qui est une nouveauté. Voilà qui en tout cas
accrédite l’idée que le capitalisme est sous assistance
de longue durée !
Le
gouvernement britannique confirme à sa manière celle-ci en
annonçant, nécessité faisant vertu, la création
d’une banque soutenue par l’État et destinée
à aider les entreprises à se financer. Il entérine ainsi
que le secteur bancaire n’y pourvoit toujours pas en dépit des
tentatives renouvelées de la Banque d’Angleterre
l’incitant financièrement à le faire. Comment sortir de
la récession, si les PME à qui il est accordé le plus de
potentiel de croissance n’ont pas de point d’appui financier, les
grandes compagnies transnationales évoluant dans autre monde
visiblement inaccessible ?
Enfin,
l’office de statistique Destasis confirme
l’augmentation de la proportion des travailleurs pauvres en Allemagne,
ceux dont le salaire est inférieur aux deux tiers du salaire
médian (environ 10 euros brut horaire), et qui
bénéficient de contrats à durée
indéterminée, à temps partiel ou intérimaire.
Telle est l’image de l’évolution promise du marché
du travail, qui plus est dans le meilleur des cas. Si les réformes
qui ont été réalisées ont permis de diminuer le
chômage, cela s’est fait à la faveur d’un
accroissement des inégalités sociales.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, Les
CHRONIQUES DE LA GRANDE PERDITION vient de
paraître
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