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Démonstration par l’absurde

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Paul Jorion.
Published : May 05th, 2010
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Ce texte est un « article presslib’ » (*)


On pouvait encore s’interroger, il y a quelques jours, sur la démonstration que les gouvernements européens étaient en train de nous faire. Ce n’est plus le cas, deux jours seulement après qu’ils soient parvenus à un accord timidement présenté comme assurant leur maîtrise retrouvée de la crise.

Ils pensaient pouvoir s’appuyer sur les marchés réclamant la réduction à marche forcée des déficits publics pour retrouver le chemin vertueux d’un pacte de stabilité rompu par presque tous, forcés et contraints par la crise, et préserver ainsi l’euro ainsi qu’une construction inachevée de l’Europe. Ils croyaient aussi que l’épreuve serait dure, faite de rigueur, d’austérité et de sacrifices, mais qu’ils parviendraient à l’imposer à force de résignation en se servant comme levier du cas de la Grèce, qu’il fallait faire plier pour l’exemple. En fait, ils ne voulaient, tout comme les financiers, ne rien changer.

A ce jour, ils ne sont parvenus qu’à faire preuve de leur légèreté et de leur sous-estimation de la situation, de leur incapacité à y faire face, sauf en utilisant un expédient. Or la crise européenne va inévitablement rebondir, sans que l’on sache quel est l’indice qui va le mieux l’annoncer, aucun n’étant de bonne augure.

Faut-il donc être pendu aux cours des Bourses, qui continuent de ne pas aller fort, et scruter les cours des valeurs financières, en premier lieu responsables de leur baisse ? Continuer de surveiller la fort lente décrue des taux obligataires, qui ne semble pas non plus témoigner d’une grande confiance dans un plan de sauvetage dont l’encre n’est pas sèche et dont l’activation est encore une course d’obstacles en raison des Slovaques ? Suivre les estimations du nombre des manifestants à Athènes pour tenter d’anticiper la capacité que le gouvernement grec va avoir à suivre la feuille de route qui lui a été délivrée, alors que les indécentes rodomontades de nombre de ses collègues, qui tentent ainsi de conjurer le mauvais sort, continuent de fuser ?

A cet égard, il ne faut pas manquer de saluer au passage et comme il convient la fulgurante déclaration du ministre des Finances autrichien, Josef Proell: « Quand on voit les mouvements de protestations en Grèce, notre patience, à moi et au reste de l’Europe, est quasiment à bout »,

Parmi les commentaires moins désinvoltes qui ont suivi la réunion de dimanche dernier des ministres des finances de l’eurozone, l’un d’entre eux doit être particulièrement relevé. Celui de Dominique Strauss Kahn, directeur général du FMI, qui a expliqué que l’objectif du plan de trois ans était d’éviter que la Grèce ait besoin de recourir au marché pour se refinancer dans les prochains dix-huit mois. Une bien courte période pour que les taux obligataires redescendent à un niveau redevenu supportable. Plus qu’une éternité dans le cours de la crise actuelle.

Cette déclaration éclaire l’un des dessous du sauvetage en cours de la Grèce, à savoir la situation des banques grecques et européennes dont on sait la grande fragilité. Car s’il leur est publiquement demandé, par les Allemands et désormais par les Français également, de contribuer symboliquement au financement du plan de sauvetage, les discussions qui sont engagées avec elles portent en réalité sur sujet bien plus important. Il ne faudrait pas qu’elles se délestent pas des obligations grecques qu’elles possèdent, entraînant à nouveau le marché obligataire dans la tourmente, risquant de précipiter une crise avec un autre pays. Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, l’a tout uniment reconnu  : «si les banques allemandes maintenaient leurs engagements actuels en obligations grecques, cela serait déjà un succès ».

Il a été entendu par les principales banques et compagnies d’assurance allemands, qui se sont engagées à prolonger jusqu’à fin 2012, dans la mesure de leurs possibilités, les lignes de crédit accordées à leurs créanciers grecs et à souscrire aux obligations que la banque publique KfW va émettre sur les marchés afin de réunir le financement allemand du plan de sauvetage européen. Pour des montants pudiquement pas précisés.

Le fonds de stabilité des banques grecques, dont il avait dans un premier temps été annoncé qu’il disposerait de 10 milliards d’euros pris sur le plan de sauvetage européen, va être finalement doté de 15 milliards, vient d’annoncer le gouvernement grec, aux premières loges de la situation des banques du pays. C’est aussi une manière, en confortant préventivement celles-ci, de rassurer les banques européennes et d’obtenir leurs concour. Tout se tient étroitement, c’est là le problème.

Un son de cloche discordant a toutefois été entendu en provenance des caisses d’épargne allemandes, qui ont refusé de s’associer à cette action menée sous les auspices de la Deutsche Bank. L’interview accordée dans un langage direct au quotidien Handelblatt par leur responsable, Heinrich Haasis, n’a pas besoin d’être décryptée : « ce sont ceux qui ont aidé la Grèce avec une comptabilité inventive et des crédits inusuels qui sont concernés. Et ceux qui ont voulu gagner de l’argent en spéculant sur la solvabilité de la Grèce. Les caisses d’épargne n’appartiennent à aucun des deux groupes » a-t-il asséné en visant ses collègues.

Dans les milieux financiers, à lire les analystes qui l’expriment tout cru, le plan de sauvetage grec est considéré comme une manière d’acheter du temps, faute de mieux. L’opinion générale semble établie : la Grèce n’évitera pas, tôt ou tard, de négocier une restructuration de sa dette, mettant les banques de la Grèce, mais tout aussi bien celles d’Allemagne et de France, en mauvaise posture vu leur lourde exposition. Que peut-on en conclure ? Que cela ne va contribuer à la détente sur les marchés obligataires, tout au contraire, et qu’il est demandé aux banques de ne pas réduire leur exposition, alors qu’elles ont toutes les raisons de procéder à l’inverse. Cela méritera compensation.

La BCE, dont la prochaine réunion à lieu à Lisbonne ce jeudi, a joué sa partition en annonçant prendre désormais en pension la dette grecque, quelle que soit sa notation, mais pourra-t-elle en rester là et ne va-t-elle pas devoir étendre cette largesse à d’autres dettes souveraines ? Plus que toutes les discussions qui s’engagent à mots publiquement feutrés entre les chefs d’Etat et de gouvernement, ce vendredi prochain lors de leur sommet, cette décision ainsi que sa possible suite logique symbolisent le fait que, forcé et contraints, ils vont devoir revoir les dispositions du pacte de stabilité dont les Allemands font encore leur credo et que les Français aimeraient bien amender.

Est-ce cette situation qui éclaire, si l’on peut dire, la face préoccupée des ministres des finances depuis dimanche ? Le fait est que la tentative de temporisation autour laquelle ils sont réunis risque de faire long feu, selon une échéance bien plus rapprochée que celle que leur a accordé le directeur général du FMI.

Dès jeudi prochain, le gouvernement espagnol va présenter sur les marchés une émission obligataire à trois ans, afin de récolter au moins deux milliards d’euros. Les Portugais ont différé l’émission qu’ils avaient prévu d’effectuer la semaine dernière, dans l’attente de jours meilleurs. A Madrid et à Lisbonne, dès ce mardi matin, les Bourses manifestaient leur grande nervosité dans cette attente (pour employer le vocabulaire de base des commentateurs). Des rumeurs font état d’une nouvelle dégradation de la note de l’Espagne et du Portugal, ou même d’un appel au secours au FMI espagnol, l’ambiance n’y est pas. Dans les salles de marché, on parle d’un besoin de financement de Madrid de 280 milliards d’euros. Sur les deux places, les banques sont en train de se ramasser un sérieux gadin. Cette situation montre que le sort des deux pays est lié, comme le sont de plus en plus devenus leurs économies et leurs systèmes financiers. En d’autre terme, que ce n’est pas le Portugal qui est le suivant de la Grèce sur la liste, mais la péninsule Ibérique dans son ensemble. Ce qui donne toute la dimension de l’incertitude qui règne.

Les Etats-Unis s’intéressent à nouveau à l’Europe, Barack Obama a téléphoné à Georges Papandréou l’autre jour, suite aux admonestations de Tim Geithner à l’encontre des Européens qui ne réglaient pas assez vite la crise grecque. Dans la presse américaine de référence, l’accent est mis sur le thème que le remède administré à la Grèce va tuer le malade. Ce n’est plus de récession que l’on parle, mais de déflation. Pas seulement dans le cas de la Grèce, mais aussi pour toute la région. Quant à la première, une fois encore, on privilégie outre-Atlantique l’hypothèse d’une restructuration à venir de sa dette.

Joseph Stiglitz estime quant à lui que le plan européen est carrément contre productif, chargeant exagérément la barque grecque. Fidèle à ses déclarations précédentes, alors que les économistes américains rivalisent pour prédire la fin de l’euro, il a appelé à nouveau les gouvernements européens et la BCE à définir ensemble un mécanisme commun de sauvetage, sans préciser lequel.

Vendredi prochain, si rien n’est intervenu d’ici là qui en bouleverse l’ordre du jour, les chefs d’Etat et de gouvernement vont entamer un nouveau round de négociations. Christine Lagarde, la ministre des finances Française, a pesé ses mots. « L’Allemagne et la France sont parfaitement d’accord pour tirer ensemble les conséquences de la crise, notamment sur la régulation et la gouvernance économique de la zone euro », a-t-elle affirmé avant de montrer le bout du nez  : «Cela va nous conduire à réfléchir avec l’ensemble de nos partenaires, et notamment avec nos amis allemands, sur le gouvernement économique, la convergence économique et la réduction des écarts économiques ». « Il faut impérativement inclure dans notre radar l’examen de la compétitivité et de la stabilité financière » a-t-elle tout aussi allusivement proclamé. L’idée semble être d’échanger de futures garanties de bonne conduite données à l’Allemagne contre un assouplissement de règles que le gouvernement Français ne se voit pas pouvoir respecter. Cité par l’AFP, l’entourage de la ministre a traduit ses propos en évoquant « une surveillance mutuelle des éventuels déséquilibres économiques, pas seulement financiers ». Suivez mon regard.

Il est à craindre que les événements ne précipitent un peu les délicats pourparlers qui s’engagent. Comment se comporte l’euro, sur les marchés ? Toujours à la baisse. La situation est très instable.



Billet rédigé par François Leclerc


               

Paul Jorion

pauljorion.com




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.


Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).





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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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